Tu passes en gare. L’accueil est poli et agréable au guichet. Tu renouvelles ta carte Avantage. Tu es dans le train, accueilli par des annonces en plusieurs langues, des bruits feutrés, pneumatiques, ronronnement modéré, propreté, ombres et reflets de soleil mouvant au sol devant toi font l’effet d’un voyage en mer.
J’arrive, non pas à Gaza mais dans une ville de France, très affairée au shopping, au loisir, à son urbanité quotidienne et déjà estivale avec un grand tournoi de pétanque. Le rassemblement de protestation contre l’horreur de la guerre sans merci au peuple palestinien se fraye malgré tout une place, avec ses drapeaux, ses appels courageux, ses témoignages, ses discours argumentés enflammés et généreux, que l’ordinaire des gens affairés autour ne semble ni voir ni entendre.
De l’intérieur la manifestation a quelque chose d’involontairement théâtral — plus proche d’une répétition que d’un spectacle — pourtant tout le jeu, le factice, se trouve à l’extérieur, dans la foule prise par son rêve.
L’avenue est comme un torrent en rage, qui épuise la voix de la sono, ce n’est pas une armée, seulement une disparate famille de peurs et de malheurs, d’envies, de paresse et de joies. La guerre n’est pas dans ces mains subalternes. La couleuvre de la vie revient s’y écraser, déborder sur les trottoirs, dans les ruelles, les magasins, rejoindre les solitudes et amitiés familières, les rêves du quotidien.
Rêve et réalité, pourtant, les deux mondes s’imbriquent, vivent ou meurent l’un de l’autre sans partage. Quelqu’un… quelque force dominatrice… bloque leur passage fin l’un dans l’autre.
Non loin il y a un vaste parc. Des arbres très hauts touchent le lointain ciel d’été, leurs pieds plongent dans la lourde terre. C’est sous cette ombre claire qu’un espace unifiant invite à écrire.
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Photo de Jean Dieuzaide, 1948