Agrandissement : Illustration 1
Je suis la somme de mes échecs. Mes fuites, mes démissions, mes ruptures, mes abandons m’ont chaque fois creusé un peu plus ma place, ma consistance. C’est comme un monde inversé que je suis. Ce que je n’étais pas – refusais – a construit peu à peu ce que je suis. Plutôt que de parvenir à habiter le monde, comme je le rêvais, je deviens son absence même, rendue présente. Le manque, l’impossible, devenu le seul plein, le possible.
Le patineur sur la glace, j’ai connu cette sensation, parfois, quelques secondes ou plus, glissade, le corps attrapé dans le bleu du ciel, et elle est restée, toutes les sensations sont restées à me constituer un corps vivant, existant, au fil de ses limites, passant de l’une à l’autre, tournant glissant s’écartant ou se retournant de l’une sur l’autre. Voilà la danse rythmée de la marche, du regard, de la pensée, l’air tracé traçant le dessin, de la hanche, du sol, de l’arbre, du poumon, la place de l’être croisé, homme, femme, oiseau, image, son, cri, murmure. En espace ouvert aux temps passant filant claquant comme voile au vent. Ou retombant, aussi solide qu’un coquillage ou un rocher sous le ruisseau. Aussi silencieux que les lointaines étoiles.
Assez parlé de moi.
il tourne le coin de la rue se fait cueillir par un homme robotisé dont sort une parole bien imitée et des bras terminés en armes, passant rapidement de la question à la pression désossant le corps coupant la chair le sang coule la douleur est insupportable l’enfer s’ouvre, personne pour le sauver
Je sais bien que c’est moi pareil à moi le robot les hommes retournés en chien mais les liens les fils les limites je les ai perdus ou lâchés ou jamais tenus, le tissage de la trame m’a échappé m’échappe. Être main dans la main n’est pas le plus simple geste au contraire de ce qui semble dessiné de cinq doigts en étoile délicieux fruit palmé qui s’échappe libre comme dans la nuit.
L’enfer est au ciel est au grand jour puisque nous n’avons su le retenir comme ils voulaient enfoui sous terre. Il n’y a pas d’espace hors des limites du temps. Rien de fixe et d’assigné. Tout ce qui n’est pas peut être.
En ce moment le gris du ciel semble vouloir tourner à la neige. Il s’épaissit. Bientôt il vacille et s’éclaire. Il devient mauve. Le soleil lèche les façades, les toits, glisse dans les rues.
Collage de Marie Hubert