Je me cache pour écrire. Nul ne voit mon front qui descend devant mes yeux, ma face tout entière qui s'assombrit, devient ce museau lisse, fait cape de mon corps qui se ramasse. L'écriture vient, ou ne vient pas, crachote ou s'écoule aisément, ou fait flaque d'urine, crottes, crotillons. L'écriture du rat sent le rat. Du moins pour les autres rats. Ainsi ils se reconnaissent, se transmettent leurs maladies et leurs remèdes.
Une fois dans son trou il remet toutes les pendules à l'heure. La pendule du fromage qui est faite d'un vieux cadre de garde-manger accroché au plafond à un anneau de fer rouillé, l'horloge de niveau d'eau qui se mesure à queue trempée, la pendule bibliothèque où dorment les chauves-souris, l'horloge musicale en peau de bique qui signale l'heure du concert nocturne alentour, les pendules jongleuses qui se font face de l'est à l'ouest, la pendule lunatique, la pendule des quatre vérités qui balance au bout de sa longue queue de poêle noire, et frappe au derrière quand on lui passe devant, la pendule des mille et une trouées dans le firmament, toute de petites languettes de mica cousues dans une robe de bal, les pendules du fond des âges qu'il faut aller régler à l'aveuglette dans l'obscurité du puits, la pendule, enfin, de sommeil et de rêves par laquelle il a coutume de finir car elle réclame le rythme de ses ronflements.
La porte s'ouvre et une main gantée de bleu dépose un petit paquet sur le sol. Ratine en train de rêver, le ventre plein d'une sublime douceur de rivière amniotique et d'or du soir, perçoit le hic. Il n'a pas l'habitude de recevoir du courrier de cette façon, à cette heure. Ce n'est pas pour lui, il se rendort, il se réveille, il a rêvé de Tom et Jerry, ce n'est pas une bombe, tout de même ! Il va grignoter la ficelle, sachant peu retenir sa gourmandise, mais ragaillardi, il compisse le paquet.
Quoi que l'humain ganté voulut donner — ou remettre, ou abandonner, ou infliger — au rat, il en était pour ses frais. Le rat lui faisait honte. L'humain ne voulait pas se salir les mains en confiant au rat quelque chose de suffisamment précieux pourtant pour requérir toute cette ingéniosité et qu'il le lui descendît à la cave en personne, par les marches usées et se courbant sous les voûtes encombrées de toiles d'araignées. De la honte ! Voilà le mot non écrit qui se manifestait entre eux avec on ne peut plus d'éclat.
Je me rappelle ma petite sœur qui se roulait par terre dans des accès furieux de caprices, célèbres dans la famille et chez les voisins et qu'on appelait de ce vilain mot, des "rats". Je me demandais toujours où passaient ces rats qu'elle faisait qui devaient être si véloces que je n'arrivais jamais à en voir le bout d'une queue.
Noir et blanc, sont aussi les touches du piano à queue sur lequel elle fait de la musique. Je l'entends lorsque je remonte, les notes crèvent le plafond et les murs, s'envolent comme des bulles, emplies du bois de la forêt ou du velours du vent.