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Le Rwanda vient de lancer une nouvelle opération de communication de grande envergure, en annonçant qu’il est en pourparlers avec l’administration Trump au sujet d’un éventuel accord pour accueillir des migrants expulsés des États-Unis. À première vue, cela pourrait sembler être un geste humanitaire. Mais je crois fermement qu’il s’agit en réalité d’une manœuvre diplomatique stratégique, destinée à redorer l’image du pays à un moment où le régime fait face à une condamnation internationale croissante, à des sanctions sévères et à une instabilité économique grandissante.
Cette annonce intervient à un moment particulièrement opportun pour Kigali. La communauté internationale a exprimé de vives critiques à l’encontre du Rwanda pour son soutien présumé au groupe rebelle M23, responsable de violences massives, d’occupations illégales de territoires dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), et d’une crise humanitaire régionale de grande ampleur. Ces accusations ont été relayées par plusieurs résolutions, notamment la Résolution 2776 du Conseil de sécurité de l’ONU, ainsi que par des déclarations officielles de l’Union européenne, appelant explicitement le Rwanda à retirer ses troupes et à cesser tout soutien aux groupes armés.
En réponse, plusieurs donateurs historiques du Rwanda, dont les États-Unis, ont suspendu ou annulé leur aide financière. Le pays se trouve désormais sous pression diplomatique et militaire pour se désengager du conflit congolais. C’est dans ce contexte tendu que Kigali a pris l’initiative de proposer un accord migratoire à Washington. Et il est essentiel de noter que cette proposition semble avoir été formulée par le Rwanda lui-même, et non par les États-Unis.
Cette hypothèse est soutenue par l’observation du mode de communication de l’administration Trump. Historiquement, toute nouvelle politique migratoire surtout lorsqu’elle est aussi controversée que l’externalisation des expulsions est annoncée en grande pompe par Washington. Le fait que ce soit Kigali qui ait pris l’initiative de communiquer sur cet accord suggère fortement que c’est le régime rwandais qui a présenté l’idée, et non l’inverse.
La logique derrière cette initiative est limpide. L’administration Trump a fait des expulsions forcées un pilier de sa politique migratoire. Récemment, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a déclaré publiquement que les États-Unis cherchaient des pays pour accueillir « certains des êtres humains les plus méprisables ». Une rhétorique dure qui montre jusqu’où l’administration est prête à aller. Le Rwanda a vu là une opportunité de s’insérer dans ce dispositif, et de se positionner comme partenaire exécutant de cette politique, aussi impopulaire soit-elle.
Si l’accord venait à être signé, le Rwanda deviendrait un acteur clé dans la mise en œuvre de cette stratégie migratoire. Cela placerait alors les États-Unis dans une position diplomatique délicate. Il leur deviendrait difficile de soutenir des sanctions contre Kigali, même face à des preuves accablantes de son implication en RDC. Une telle dépendance politique réduirait la capacité de Washington à se joindre aux résolutions onusiennes ou européennes ciblant le régime de Kagame, et pourrait même l’obliger à revoir sa propre position vis-à-vis de Kigali.
Ce type de realpolitik n’est pas sans précédent. La France se trouve actuellement dans une situation comparable. Malgré sa condamnation publique des agissements rwandais en RDC, l’Élysée a adopté un ton mesuré. Pourquoi ? Parce que des troupes rwandaises assurent la sécurité des installations de TotalEnergies au Mozambique, face à la menace d’insurgés islamistes. Ces sites avaient été contraints de fermer temporairement, causant d’importantes pertes financières à l’État français. Ainsi, Paris se montre prudente dans ses critiques, de peur de compromettre ses investissements.
Je pense que le régime de Kagame maîtrise parfaitement l’art de retourner à son avantage les dynamiques géopolitiques. Ce projet d’accord migratoire avec les États-Unis n’est que le dernier épisode d’une longue série de manœuvres similaires, visant à détourner l’attention, à obtenir des financements non conditionnés, et à renforcer sa légitimité sur la scène internationale.
Les motivations économiques sont tout aussi claires. Le Rwanda est en besoin urgent de devises étrangères. Avec la suspension de l’aide extérieure et la perte de confiance des investisseurs, le pays a récemment émis une obligation du Trésor à 10 ans pour un montant de 7,7 millions de dollars, dans le but de combler un déficit budgétaire croissant.
Mais les indicateurs économiques restent alarmants. Le franc rwandais a perdu une part importante de sa valeur face aux devises régionales : -32,75 % face au shilling kényan, -12,85 % face au shilling tanzanien, -12,73 % face au shilling ougandais, et -5,37 % face au franc burundais. Il a également lourdement chuté face au dollar américain. Cette situation témoigne d’une économie sous tension, exacerbée par l’isolement diplomatique et les sanctions.
Pourtant, malgré cette crise économique, le Rwanda persiste à investir massivement dans son image. Kigali vient d’annoncer un accord de sponsoring avec le club espagnol de football Atlético de Madrid, sous l’étiquette « Visit Rwanda ». Ce contrat, bien que non chiffré publiquement, pourrait, selon moi, atteindre au moins 10 millions de livres sterling sur trois ans, à l’image des précédents partenariats avec Arsenal (Royaume-Uni) et le PSG (France).
Ce contrat a été révélé une semaine seulement avant l’émission de l’obligation du Trésor, soulevant de sérieuses questions sur les priorités budgétaires du pays. Comment justifier de tels investissements en marketing international alors que l’on emprunte pour couvrir des dépenses essentielles ? Je pense que cela illustre l’obsession du régime pour son image, qui l’emporte systématiquement sur le bien-être de sa population.
Il faut aussi souligner l’objectif de communication interne. Face à la multiplication des critiques internationales et des sanctions, le régime cherche à rassurer la population. En annonçant un partenariat avec les États-Unis, la plus grande puissance mondiale, le Rwanda projette l’image d’un pays influent, contredisant ainsi les discours alarmistes sur son isolement diplomatique.
Mais il est évident que cette manœuvre n’a rien à voir avec la protection ou le bien-être des migrants. Je suis convaincu que ni la compassion, ni les droits humains, ni les considérations humanitaires n’ont guidé cette initiative. Ce que cherche Kigali, ce sont des fonds, une reconnaissance diplomatique, et une immunité politique. Le sort des migrants n’est qu’un prétexte, un outil dans un jeu de stratégie beaucoup plus vaste.
Le Rwanda ne devient pas une terre d’accueil pour les vulnérables; il instrumentalise des vies humaines pour acheter du silence, sécuriser des ressources, et continuer à mener une politique régionale agressive en toute impunité. Et tant que la communauté internationale continuera à céder à ce type de diplomatie manipulatrice, l’histoire se répètera au détriment des principes, de la justice, et des droits fondamentaux.