Il peut être utile de le rappeler aux parents qui en douteraient : le smartphone n’est pas obligatoire pour rentrer en 6ème .
Il n’y a aucune obligation légale mais pas non plus d’impératif moral, éducatif, social, affectif à munir un enfant de dix ans d’un objet de valeur, truffé de métaux rares, et un million de fois plus puissant que l’ordinateur qui a permis à l’humain de se rendre sur la lune.
Un objet qui, une fois acquis, sauf épuisement des ressources ou changement radical de modèle de société, ne le quittera pas de sa vie. Sans cesse changé, détruit, mis à jour, racheté, dans un cycle sans fin qui pourrait définir à lui seul la notion d’obsolescence programmée.
Non, il n’y pas d’obligation à pousser son enfant plus vite que de raison dans cette fuite en avant consumériste. Pas vraiment de motif pour anticiper le moment où cet écran deviendra pour lui le centre du monde, regardé en moyenne 221 fois par jours, 30 heures par semaine. Pour précipiter la disparition des rires et des jeux au profit d’une « enfance silencieuse » qui pourra, indifféremment, être posée ici ou là, absorbée par son Précieux.
Cet état où chaque silence, chaque temps mort, chaque possibilité de rêvasser sera immédiatement chassé par la consultation d’un short, par un regard affamé de contenus. Cette écoute flottante de ce qui nous entoure physiquement (le « présentiel »:-)) qui est devenue, pour une grande part, notre manière d’être au Monde, notre quotidien. Ce forçage du réel dont nous n’avons aucunement décidé, que nous n’avons pas eu le temps de penser et avec lequel nous autres, adultes, nous dépatouillons déjà tant bien que mal.
Il semble un peu tôt à dix ou onze ans pour placer sa vie dans une concurrence permanente avec celle des autres, pour surfer entre les mille et un pièges tendus par les marchands qui constituent désormais l’écrasante majorité du réseau, pour se créer une « identité numérique », pour déterminer à quelles multinationales on va prêter allégeance alors qu’on est, à la sortie de l’école primaire, tout juste en train de se rencontrer soi même. Sans parler des discours très craignos, notamment masculinistes, surreprésentés dans les "contenus".
Pourquoi s'exprimer sur ce qui relève d’un choix personnel ? Par ce que cette question n’est en fait pas si intime et concerne l’idée même qu’on se fait de la société et de la place que doit y tenir le numérique. Par ce que l’usage, les normes, et cela est particulièrement vrai pour la numérisation à marche forcée de la société, sont évidemment bien plus qu’un ensemble de décisions individuelles mûrement réfléchies. Que face à la force de frappe des techno-capitalistes qui sont arrivés à laisser entendre que le smartphone était une évidence dès le plus jeune âge, il importe de défendre collectivement un autre point de vue. Par ce que, le simple fait que plusieurs enfants dans une classe ne possèdent pas le fameux objet remet en cause le caractère indiscutable de la chose.
Mais aussi, par ce qu’autant convaincus qu’on puisse l’être qu’un IPhone 15 n’a rien à faire dans la poche d’un gamin de 10 piges, on peut se mettre à douter et avoir besoin que d’autres nous confirment que ce n’est pas nous qui délirons.
Exemple n’a pas force de démonstration, mais ma petite expérience aurait tendance à me conforter dans l’idée que c’est plutôt pas mal de laisser son enfant prendre un peu de temps avant d’entrer dans cette relation fusionnelle avec l’engin. Qu'il n'en sortira pas, pour autant, traumatisé, que dans un univers, de toutes manières, cafi d’écran, il ne loupera pas trop de « refs » ni n'aura trop de mal à s’emparer des applications le temps venu. Simplement, tout comme le gamin qui rejoint l’école à pieds ou en transport en commun, aura, peut être, un peu moins tendance à considérer la voiture comme l’horizon indépassable des déplacements, le smartphone tardif peut, éventuellement, contribuer à lui faire garder un peu de recul, voire un certain regard critique sur la chose, à considérer qu'il ne constitue pas l'alpha et l'oméga de nos relations au Monde.
Il y a des sans smartphone en 6ème, en 5ème … et cela ne semble pas constituer le chemin direct vers la relégation sociale que beaucoup nous promettent. Il y a des enfants sans smartphone, il peut y en avoir encore d’avantage, et la norme en la matière peut changer. Alors que, la situation se présente de nouveau pour moi, je trouve ça pas mal de se le redire : le smartphone n’a rien d’obligatoire pour faire sa rentrée en 6ème.