L'immense lâcheté du cinéma français
Vous avez peut être pas regardé les Césars samedi dernier ? Moi non plus. Mais, sans doute, avez vous eu vent de cette militante écologiste s'invitant sur le plateau, cette intrusion brève du réel entre petits fours et trophées. Obsessif comme je le suis, j'ai cherché les images, j'ai questionné les quelques aficionados parmi mes proches qui, depuis leur plus tendre enfance, ne rateraient pour rien au monde une cérémonie des Césars et, effectivement, le crime semble bien caractérisé : non-assistance à Planète en danger !
Alors, bien sûr, si une actrice, un réalisateur avait, ce soir là, saisi la perche tendue par cette militante pour éventer l'illusion et aborder le sujet, cela n'aurait pas immédiatement fait tomber les degrés, revenir la pluie, stopper la destruction des sols et l'effondrement de la biodiversité. Mais, outre un léger sursaut de dignité, qui n'est jamais superflu en cette époque, il est évident que si cette intrusion avait suscité un petit mot à chaque passage des un.e.s et des autres sur la scène, cela aurait un tout petit peu occupé l'espace médiatique et fissuré l'invraisemblable black-out «bollorien ».
Car, pour résumer, la chaîne a donc « annulé » la jeune femme qui arborait sur son tee-shirt un message en faveur du climat, en suspendant purement et simplement la retransmission de la cérémonie pendant tout le temps qu'a duré son arrivée puis son expulsion. De retour à l'antenne, les deux acteur.ice.s /animateur.ice.s hilares, dans une vertigineuse mise en abyme du film climato-satyrique « Don't look up », se mirent à se moquer du tee-shirt pas repassé de l'intruse, et à s'esclaffer du fait qu'ils s'étaient justement souhaités avant la cérémonie : « tout, mais pas ça !».
Et après ?
Rien.
Aucune des personnes qui se sont succédé, par la suite, au micro n'a cru bon de revenir sur l'évènement qui s'était passé en début de soirée. Un désintérêt qui, finalement, résonne avec le peu de place accordée à la question dans les films eux même, tant sur le fond que sur la forme.
Et ça peut paraître surprenant, tant le moindre alinéa d'un rapport du GIEC pourrait à lui seul nourrir d'incroyables scenarii... Pourtant, en dehors du genre « zombie », assez tendance, et qui a évidemment à voir avec nos représentations de la catastrophe, pas grand chose de ce côté là. Et même en allant plus loin que les histoires et les thématiques en tant que telles, la planète en feu semble être un « non-contexte » qui ne participe jamais de l'épaisseur des personnages. Pire, de plus en plus de héros, dans les séries mais aussi au cinéma, ont tendance à devenir des placements de produits, avant-postes d'un modèle de consommation mortifère.
Alors quelle sensibilité à la chose pouvait on attendre de cette soirée de paillettes ?
Le multi-primé Dominik Moll a bien co-signé avec Cyrille Dion, quelques jours plus tard, une tribune sur le sujet dans Le Monde, mais on a du mal à se dire qu'en termes d'impact elle puisse valoir ce qu'aurait été la mise à profit d'une de ses nombreux passages dans la soirée devant plus d'un million de téléspectateurs.
On peut imaginer que, peut être, si les réalisatrices mises à l'honneur par les « Cléopatres », sorte de prix alternatifs imaginé pour protester contre l'hégémonie masculine dans la catégorie phare du meilleur film, en avaient eu l'occasion, elles n'auraient pas esquivé de la sorte le sujet. Théorie confortée par le fait que ce sont uniquement des femmes, et pas les plus connues, qui ont glissé l'air de rien un peu de politique dans cette cérémonie bourgeoise notamment autour du mouvement contre la réforme des retraites.
« Dernière rénovation », c'est le nom du collectif auquel appartient la jeune militante écologiste. Ça fait un peu magasin de bricolage et le choix d'un message en anglais n'est pas forcément le plus judicieux face à un public francophone. Plus sérieusement on peut avoir quelques réserves sur un mouvement qui affiche Yann-Arthus Bertrand sur son site, et considère la rénovation énergétique comme l'ABC d'une révolution écologique.
Cela étant dit, l'action est courageuse et il me semble qu'en ces temps, tout est bon à prendre pour percer le silence, faire réagir.
Dans le spectacle vivant, la bande dessinée, dans nombre d'essais, dans la littérature, l'éducation populaire, le documentaire, la question irrigue désormais la création et la réflexion. Certains films de fiction sont, malgré tout, aussi nourris de cette « actualité » dans le propos comme dans la forme. Dans l'année qui vient de s'écouler : la jubilatoire comédie « La Petite bande » ou le tragique « As Bestas » (dont, est ce un hasard que le réalisateur ait évoqué son trajet en train depuis Madrid lorsqu'il est allé chercher son prix ?) en sont des exemples. Mais ça reste des niches.
A la manière dont le féminisme et l'antiracisme à force de luttes et de coups d'éclat sont arrivés à faire peu à peu bouger le couvercle qui étouffait nos représentations, il est vital que la question de notre bien et de notre avenir commun traverse également les images que nous nous faisons de notre présent. Vital que nous ne laissions pas Vincent Bolloré recouvrir d'un voile le Monde qui frappe à la porte.