On a beau se creuser la tête depuis 2017, on n'arrive toujours pas à comprendre ce qui est censé distinguer le macronisme du reste de la Droite. Certaines tournures de style ? Certaines références ? Un peu plus d'arrivisme et de décomplexion ? Peut être aussi, me disais-je, quelques nuances à trouver dans le rapport à la Culture. Car, depuis le début, le macronisme joue cette carte d'un amour immodéré des arts et des lettres. D'ailleurs, le "monde de la culture" le lui rend bien, qui a tendance à évacuer de ses récits l'autoritarisme et la violence sociale spécifique à ce Pouvoir : "Tant que nos théâtres, nos festivals et nos films sont financés, c'est bien que nous vivons dans une belle démocratie !" semble clamer en choeur ce petit monde.
Et c'est vrai, quand on est intermittent, on s'étonnerait presque de voir notre statut surnager au dessus du jeu de massacre et sembler, pour l'instant, ne pas être directement menacé alors que l'ensemble du service public et des systèmes de solidarité sont méticuleusement pilonnés.
Le petit épisode cannois de ce week-end a donc eu le grand mérite de faire craquer le vernis et de montrer que ce gouvernement n'est un ami des arts que dans la mesure où ceux ci savent rester bien à leur place. Il a suffi que la lauréate de la palme ramène, à travers son discours, un peu de la réalité sociale du moment dans ce temple du strass pour que les têtes de la « majorité » se vautrent tout de go dans de la Wauquiezerie pur jus. Ainsi, à la manière dont le président de la Région Auvergne Rhône Alpes décide qu'il peut d'un coup d'un seul couper les subventions d'un théâtre dont le directeur s'exprime un peu trop librement, à Renaissance, après le discours de Justine Triet on se dit « estomaqués par ce discours d'extrême gauche », on déclare qu'il « est peut-être temps d’arrêter de distribuer autant d’aides à ceux qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils coûtent aux contribuables », et, au sommet de l'Etat, on boude les habituelles félicitations à la lauréate.
C'est qu'une cinéaste primée dans le palais des festivals ne peut pas trop se faire bousculer, gazer, maintenir à quelques kilomètres derrière un cordon de sécurité, et qu'elle seule pouvait dissimuler une casserolade nichée au creux même de ses mots et la porter sous les projecteurs.
Une mission, et nous lui en sommes grées, dont elle s'est acquittée avec brio en acceptant, de ce fait, de prendre le torrent d'excréments qui allait immédiatement lui tomber dessus.
En espérant que la mode soit lancée et que cela participe, comme l'intervention de Dominik Moll pour la remise du prix des lycéens, à faire sortir un peu les un.e.s et les autres de leurs silence. Ça ne vaut pas le blocage d'une raffinerie ou des journées de grèves mais symboliquement, ça compte : que ce Pouvoir qui joue plus que jamais la surdité et l'indifférence ne soit pas tranquille, non plus, dès lors qu'un micro est ouvert.
Et sans faire des raccourcis trop hâtifs entre les qualités d'un film et le courage politique de sa réalisatrice, je crois qu'on est quelques un.e.s à avoir bien envie de rattraper notre retard sur la filmo de Justine Triet, en attendant la sortie de "Anatomie d'une chute".
Pour rétablir quelque peu les faits sur le financement du cinéma
https://www.huffingtonpost.fr/culture/video/a-cannes-justine-triet-n-a-pas-crache-dans-la-soupe-dit-pierre-lescure_218489.html