Bon, ben là, il va falloir y aller hein... Je sais, c'est pas très sympa de vous le rappeler. Ça vous énerve un peu. Mais comme y a quand même un petit risque que vous perdiez soudainement la mémoire ce dimanche, vous qui, d'habitude, n'oubliez jamais d'aller voter, ben on se permet une petite piqure de rappel.
On sait, c'est pas marrant.
Mais si vous avez besoin d'un peu de soutien, de conseil, n'hésitez pas à nous solliciter : on commence à être de vieux routards du barrage. Et, vu que pour vous c'est la première fois, on compatit.
Notre première à nous, c'est qu'elle commence à remonter. C'était en 2002, avec Chirac. Ah, on s'en souvient bien.
Et puis, on a eu le premier « barrage » Macron. Et le deuxième, qui, évidemment, était encore plus dur, puisqu'entre temps on avait compris à quel point il nous détestait, et comment il était déterminé à faire passer comme bon lui semblait toute sa casse sociale dans un déchainement inédit d'autoritarisme et de violence. Cette fois là, on a encore plus tiré du nez que les deux premières, mais, in fine, on est beaucoup à y être allés quand même.
Et puis, aujourd'hui, pour nombre d'entre nous, ça va être encore bien difficile, mais le péril cette fois ci est imminent, et, bien qu'on ait pu jurer que non... ben on va s'y remettre. C'est que la Gauche, avec son bon vieux et pavlovien réflexe antifasciste, a dès le soir du premier tour, immédiatement retiré, tou.te.s les candidat.e.s qui pourraient permettre à un R.N d'arriver à la députation.
Et à certains endroits, ça va vraiment piquer.
Quand, dans certaines circonscriptions, il s'agira de voter pour Laurent Wauquiez ou Gérald Darmanin, il faudra pas se planter et se rappeller, au moment de mettre le bulletin, que c'est pas eux les candidats d'extreme droite. Il ne faudra pas trop non plus se demander si leurs « convictions républicaines » tiendront encore après le 7 juillet en cas de victoire du R.N. Bref, en terme d'abnégation, pour nous, ça sera un barrage de niveau dix. Genre, pour vous donner une idée, pour vous, ça équivaudrait à voter Mathilde Panot pour empêcher Lutte Ouvrière d'avoir la majorité absolue.
Mais on est comme ça nous, éternels dindons de la farce, parallèlement à la défense de nos idéaux, nous n'avons de cesse de tout faire pour éviter à tout prix la possibilité fasciste, fusse, souvent, en s'en prenant plein la gueule juste après.
Alors, voilà, vous verrez que vous allez passer par plusieurs stades. Vous allez beaucoup en parler avec vos ami.e.s, vous énerver. Vous allez même trouver des idées saugrenues du genre aller voter avec une pince à linge sur le nez ou des gants mapa pour montrer à quel point ce bulletin vous dégoute.
On connait, on est passés par là.
En pensant à ce vote, vous vous direz « traumatisé » : «Vous imaginez ? Moi ? Voter pour un écolo ou un insoumis ? ». Vous allez en parler autour de vous, avec votre entourage, alterner entre le « ah ça jamais » et le « non, mais là, on est obligés quand même ». Vous allez très certainement vous disputer avec des proches qui refusent de participer au barrage, et qui, pourraient être tentés par un petit « ciotisme ». Certain.e.s qui, à l'instar de la quasi unanimité des éditorialistes français, trouvent qu'on parle beaucoup du danger de l'extreme droite mais pas assez de celui de l'extreme gauche, que le R.N a quand même beaucoup changé et que ce n'est quand même pas comme l'AFD allemande... Oui, vous allez vous chercher toutes les excuses du monde pour nier l'évidence : celle d'un pays qui s'apprête à basculer dans le pire. Par ce que si vous êtes un tout petit peu honnête avec vous mêmes, ce n'est pas, comme dans vos fantasmes inquiets, le califat wokiste d'un timonier Mélenchon, qui n'a de toute façons aucune possibilité statistique d'obtenir une majorité, qui inquiète en ce moment les démocrates du monde entier.
Mais le grand risque qui pèse sur le pays, c'est aussi ce doute qui vous ronge.
Est ce que, finalement, les directions du parti que vous soutenez, et vos idées elles mêmes ne vous rapprochent pas plus du Rassemblement National que du vote impossible que vous vous apprêtez à faire ? Car c'est vrai qu'une grande partie des mesures du gouvernement actuel auraient pu être proposées telles quelles par le R.N : Loi Sécurité Globale, loi Immigration, réforme de l'assurance chômage, suppression du R.S.A, remise en cause du processus de paix en Calédonie... Nous mêmes, depuis notre bord politique, avons bien du mal à distinguer ce qu'il n'y a pas « d'extrême droite » dans la pratique actuelle du Pouvoir. Mais nous sommes nombreux à penser que si les mesures racistes, injustes et autoritaires peuvent être « opportunistes » dans la droite libérale, elles sont le cœur de l'idéologie de l'extrême droite à partir de laquelle elle change en profondeur, la structure même de la société et de ses institutions.
Il est assez cocasse que ce soit LFI, ce parti que vous avez exclu de l'arc républicain qui donne l'exemple en la matière sur ce coup là, et que, vous, qui avez toujours le mot « république » à la bouche ayez soudainement des pudeurs de gazelle pour la défendre au moment où elle est le plus menacée.
Rassurez vous, ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Un moment bien plus court en tout cas que le sentiment d'indignité qui pourrait vous accompagner longtemps si Matignon se bardellisait dans quelques jours.
Que notre force de petits castors vétérans vous accompagne.