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Billet de blog 7 septembre 2023

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Nous aussi, on veut le pass à 49 euros !

L'Allemagne, ce pays qu'on nous a toujours vendu comme très décentralisé, l'Allemagne aux Landers super puissants de nos cours de géographie, l'Allemagne, antithèse de notre France jacobine, a, pourtant, institué nationalement un pass mensuel à 49 euros qui permet d'utiliser l'ensemble des transports collectifs du pays.

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L'Allemagne, ce pays qu'on nous a toujours vendu comme très décentralisé, l'Allemagne aux Landers super puissants de nos cours de géographie, l'Allemagne, antithèse de notre France jacobine, a, pourtant, institué nationalement un pass mensuel à 49 euros qui permet d'utiliser l'ensemble des transports collectifs du pays (bus, métros, trams de toutes les villes, cars, trains, à l'exception des T.G.V).

Après l'expérience du ticket à 9 euros l'été dernier, et même si le prix est, bien sûr, un peu moins symbolique, il y a quand même clairement une incitation à utiliser le train, mais aussi, plus largement, à le replacer au cœur du quotidien pour le travail, les loisirs et même dans les manières d'habiter.

Pendant ce temps-là, dans la fameuse France « centralisée » où une mesure de ce genre pourrait, du coup, sembler facile à imposer aux différentes collectivités et administrations, l'usager du train ou celui qui aimerait « trenifier » l'ensemble de ses déplacements (la visite dominicale à la famille, les vacances à l'autre bout de la France, les déplacements professionnels, le week-end dans un pays voisin...) est obligé de batailler avec la grande agence de voyage qu'est devenue la SNCF, ses sous-traitants, ses concurrents, et la dizaine de petites succursales régionales fonctionnant au bon vouloir des exécutifs locaux.

Par exemple, chez Wauquiez, avant Wauquiez, l'intermittent du spectacle que j'étais avait droit à 70% de réduction sur les trains d'Auvergne-Rhône-Alpes avec la carte illico-solidaire. Et clairement, nombre d'artistes de ma connaissance, même bien accros à la bagnole, avaient alors changé leurs habitudes de déplacements. Le prix obtenu avec cette réduction donnait d'ailleurs une idée assez juste de ce que devrait coûter le billet de train pour tout le monde si on voulait vraiment inciter tout.e un.e chacune à laisser la voiture au garage. Mais, Wauquiez arrivant, décida que tout ça c'était fini. Que seuls les chômeurs ayant une indemnisation aux minimas bénéficieraient désormais de cette réduction, et qu'en revanche, les policiers auraient dorénavant la gratuité totale et permanente sur tous leurs trajets (on ne se refait pas).

Et il en est ainsi dans toutes les régions livrées à l'arbitraire des exécutifs locaux avec des décisions plus ou moins heureuses (en ce moment, notamment, la libéralisation des T.E.R).

Une seule évidence : celle qu'il n'y a aucune cohérence dans tout ça, et surtout aucune volonté de se mobiliser nationalement en faveur d'un moyen de transport parmi les plus justes, les plus efficaces et les moins polluants. Ainsi, sommes nous livré·es à ce grand n'importe quoi entre nouvelles prérogatives des Régions et délires entrepreneuriaux de la SNCF et de ses consoeurs s'ébrouant dans l'âge de la concurrence ferroviaire.

Un billet pour faire 100 kms en T.E.R entre deux grandes villes voisines pourrait bien te coûter plus cher qu'un trajet Lille /Marseille. Car si l'agence de voyage SNCF a décidé de remplir tel TGV, de faire des promos sur telle destination comme un vulgaire easy-jet sur rails, il n'y a pas à chercher plus loin. Les distances, les missions de service public n'ont plus de sens. Et la SNCF peut faire valoir ses promos à 10 euros pour arguer du fait que, tout confondu, ses tarifs n'ont pas tant augmenté que ça.

Alors, pour qui est motivé, ou non motorisé, on se blinde de cartes : la carte avantage, qui permet d'avoir des réductions sur certains trains nationaux, mais qui ne fonctionne pas, ou pas dans les mêmes conditions, sur les réseaux régionaux, ce qui nous amène à prendre la carte à 30 balles de la région où on habite voire celle d'une autre région où l'on est amené à se déplacer souvent. Et cette carte SNCF qui ne fonctionne pas sur les T.E.R, ne fonctionne évidemment pas non plus sur les Ouigo, les Trenitalia, le R.E.R, ni sur les cars et les transports urbains.

Il en résulte que, dans un grand nombre de cas, un trajet seul en auto (pour qui en possède une) sera moins cher que son équivalent en train. Et que, dès lors qu'on est plusieurs à voyager ensemble, l'avantage est, presque systématiquement, et souvent de très loin, en faveur de l'auto.

Ajoutons à cela le manque total d'informations partagées sur les itinéraires impliquant différents types de réseaux : national, régional, départemental, urbain, international... Chose qui impliquerait un genre de coordination avec les autres réseaux de transports, plus appréciable, sans doute, que les partenariats envahissants de la SNCF avec les loueurs de S.U.V, les hôtels Accor voire les compagnies aériennes s'affichant sur l'écran à la moindre recherche de billet.

Cette SNCF qui prend un malin plaisir à rendre moins fluide, simple et spontané l'usage du train, avec des billets nominatifs, des conditions d'échanges de moins en moins souples, des dates de naissances et numéros de cartes à connaître et à remplir à l'avance quand on achète un billet pour une autre personne, des portiques à l'entrée des quais, des petites gares sans guichet transformées en « hub » Amazon...

Imaginons un instant que l'automobiliste doive renseigner à l'avance toutes les données administratives des personnes avec lesquelles il voyage pour acheter son ticket d'autoroute, ticket qu'il devrait acheter longtemps avant son déplacement pour ne pas subir une hausse vertigineuse des prix. Qu'il doive également consulter les sites de compagnies d'autoroutes concurrentes car la voirie ne serait pas de la responsabilité du même opérateur selon les horaires choisis. Qu'il doive ensuite, pour établir son parcours, avoir recours à des services différents pour chaque tronçon de route utilisée selon qu'elle soit nationale, départementale ou urbaine...

L'automobile est bichonnée, là où l'usager·e des transports collectifs, exception faite de l'utilisateur régulier et aisé des TGV entre Paris et les grandes métropoles, est bien délaissé. D'autant que, désormais, il n'est pas rare, sur le réseau régional, de voir des trains pourtant annoncés être purement et simplement supprimés en dernière minute par manque de personnel (à force d'attaquer le statut du « privilégié », à la fin il se lasse). Et peu à peu, parmi nombre de foyers possédant une voiture, on voit la culture du train, dans un pays qui serait pourtant particulièrement adapté à son usage, disparaître en même temps que les lignes.

En Allemagne donc, mais aussi en Autriche, en Espagne, au Portugal, des mesures incitatives sont mises en place pour favoriser le rail.

En Italie, on peut encore, pour 10 euros, parcourir en train le triple de la distance qu'on pourrait effectuer en France. Et pour 50 euros, traverser le pays du Nord au Sud, de nuit, dans une couchette.

Ici, je dois payer plus de 20 euros pour effectuer les 100 kms qui séparent Lyon de Grenoble, m'attendre à me retrouver dans un autocar, en guise de train, pour relier les deux métropoles régionales que sont Lyon et Clermont-Ferrand, compter sur la bonne volonté et l'incertain succès d'une coopérative « Railcoop » pour espérer retrouver la ligne, supprimée il y a quelques années, reliant les 3eme et la 6eme plus grandes villes françaises.

Le Pays de Galle décide d'arrêter la construction de nouvelles routes, la France débloque 18 milliards pour de nouvelles infrastructures routières. 18 milliards, c'est bien plus que ce que coûte le pass établi en Allemagne.

Il ne s'agît pas d'idéaliser la situation du reste de l'Europe en terme de transports collectifs, ni d'ignorer une forme d'hypocrisie de ces pays qui continuent, aussi, à soutenir massivement l'industrie automobile. Et puis, ces mesures, aussi évidentes puissent-elles paraître, doivent évidemment s'accompagner d' investissements massifs dans le réseau. Mais elles permettent de constater qu'il est possible d'aller dans ce sens avec un peu de volonté politique, et a contrario, d'être sidéré par l'absolu manque de perspectives en la matière, en France, si ce n'est toujours plus de morcellement et de libéralisation.

Cela n'est pas bien étonnant de la part du gouvernement d'un président dont le premier fait d'armes connu fut la réinvention de la 3eme classe avec ses fameux cars Macron. Moins confortables, moins écologiques, moins ponctuels et désormais beaucoup moins « discount » qu'à leur lancement. Envoyer sur les routes entre Lyon et Paris des autobus qui mettent autant de temps que le TER reliant les deux villes plutôt qu'augmenter la cadence et baisser le prix de celui ci, était une sacrée idée.

La voiture individuelle est le premier contributeur de gaz à effets de serre en France. Avec ses infrastructures, le type de constructions et l'étalement urbain qui sont liées à son hégémonie sur les déplacements, elle porte également une grosse responsabilité dans l'artificialisation des sols et la disparition des espèces.

Evidemment, le train ne pourra pas à lui seul résoudre tous les problèmes liés aux choix d'habitat, de consommation, d'activités qui ont été faits ces dernières décennies. Mais, avec un peu de volonté, dans un pays où, historiquement, 90% des communes se trouvent à moins de 10 km d'une gare, il pourrait bien être la colonne vertébrale d'un grand changement de mobilités.

Tout dans le moment politique actuel va, malheureusement, à l'opposé de ces nécessaires changements. Ce gouvernement, une bonne partie de l'administration et même la direction de la SNCF détestent le service public et n'ont aucune intention de revenir en arrière sur cette grande braderie.

Mais nous n'avons, pour autant, aucune obligation de réduire la voilure de nos ambitions, de nous résoudre à abandonner les revendications qui nous semblent les plus justes et les plus raisonnables.

Aucune raison de nous résigner à cette soi disant verdisation des transports qui consisterait à électrifier nos autoroutes, à attendre un improbable kérozène vert pour faire voler les avions, à ne compter que sur le co-voiturage pour les longues distances et à n'avoir pour seule ambition à l'égard du train que des projets pharaoniques de lignes transalpines plutôt qu'un redéploiement et une optimisation de l'existant.

Nous n'avons aucune raison de tenter, désespérément, de palier nous mêmes à un réseau démantelé en essayant de recréer dans une jungle de concurrence un service « alternatif » à base de coopératives ou d'associations que nous ne pourrons jamais porter tel que le ferait une régie publique.

L'idée d'un service de transport public ambitieux, largement financé par la collectivité n'a rien de démodé et semble même un des moyens indispensables pour planifier une société plus écologique. Il doit rester notre horizon politique en la matière.

Et d'ici à l'atteindre, nous pouvons revendiquer le « droit opposable au transport le plus écologique » : tout trajet en avion ou en voiture devrait avoir son équivalent moins cher en train.

Et aussi, on veut le pass à 49 euros !

(Breaking news : the Président, récemment interrogé sur la question du pass ferroviaire, expliquait, après l'avoir bien critiqué, n'avoir désormais rien contre si... le régions décidaient de se mettre d'accord pour le mettre en place. Le ministre des transports l'évoque désormais pour l'été prochain. A surveiller de près, les empêchements au train restent énormes dans un pays où l'on continue de fermer des lignes, où la SNCF « s'auto-privatise », et où les ministres n'imaginent pas se déplacer autrement qu'en avion pour rejoindre Rennes depuis Paris.)

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