Dimanche aprem', après une petite balade ensoleillée à refaire à l'envers le cortège de la manif des anti-ivg pour arracher au mobilier urbain leurs autocollants frappés de croix celtiques ou de slogans novateurs du genre « ta féminité, c'est ta maternité »... on est allés voir Fanon.
Fanon, le film qui n'est projeté que dans un cinéma à Lyon, quatre à Paris et quelques dizaines en tout dans la France entière.
Et c'était d'autant plus réjouissant de voir la grande salle du Comoedia archi-remplie d'un public jeune, très mélangé et enthousiaste, applaudissant à la fin de la projection cette histoire singulière de solidarité anti-coloniale. Car le nom de Franz Fanon a beau être familier, on ne peut pas dire que le parcours du psychiatre et théoricien qui a analysé les analogies et spécificités du régime colonial martiniquais où il a grandi et de sa terre d'adoption algérienne pour l'indépendance de laquelle il s'est battu reste bien méconnu.
Evidemment, à mettre en parallèle le nombre ridicule de cinémas projetant « Fanon », et cette salle comble de jeunes gens, dont beaucoup se sentant sans doute bien concernés par le sujet, on ne peut éviter de penser à une forme de censure, de mépris, en tout cas, pour cette histoire pourtant bien actuelle.
Alors que l'autre cinglée fascistoÏde convoque Martin Luther King lorsqu'elle se fait attraper en train de piquer dans la caisse, on se rend compte que si le repoussoir de l'Amérique ségrégationniste peut désormais être instrumentalisée même par l'extrême droite, c'est sans doute pour mieux tenir à distance le racisme colonial à la française qui reste, lui, largement invisibilisé.
On oublie souvent d'ailleurs que la nostalgie de cet ordre colonial a été un des moteurs les plus importants de la création du parti lepeniste. Et qu'elle reste centrale dans un champ politique et médiatique virant toujours plus réactionnaire.
Depuis quelques temps, c'est le festival : c'est Jean-Michel Apathie suspendu de sa radio pour avoir rappelé que les Bugeaud et les Kitchner qui ornent encore pompeusement nos plaques de rues ont commis dans les colonies des massacres comparables à celui d'Oradour sur Glane, c'est le raidissement des relations avec l'Algérie mis en spectacle quotidien, le retour à la brutalité en Kanaky, le mépris présidentiel à l'égard des habitants de Mayotte, des Antilles, ses positions sur le Sahara occidental... C'est, bien sûr, la politique spécifique de maintien de l'ordre dans les quartiers populaires, l'obsession pour le voile, la condamnation de toute manifestation de solidarité avec les massacres coloniaux commis à Gaza...
La grille de lecture coloniale n'est peut être pas la seule pour comprendre nos sociétés et leur évolution, mais elle est quand même pas mal structurante.
Bref, il y a clairement quelque chose de politique à aller voir Fanon au cinéma. Et c'est déjà un petite satisfaction de voir qu'il remplit grave les salles où il est programmé (comme, à l'inverse, il est quand même un peu satisfaisant de voir que Marine Le Pen est, pour l'instant, à la peine pour lancer son assaut sur le Capitole).