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Billet de blog 19 juillet 2022

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De la méthode de voir arriver le réchauffement

En été, je travaille. le record de température est battu ce lundi 18 juillet dans ma ville moyenne tout juste devenue grande. Chaque degré en plus est une chance d'ouvrir les yeux sur qui nous amène vers le précipice. Déprime, détachement, rage, espoir, humour, comment faire face au dérèglement climatique. Chronique de la journée des records.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Départ ce matin à la fraîche. Je passe nourrir le chat d'un ancien voisin en vacances puis file au boulot à vélo, petit moment de fraîcheur sous les frondaisons du plus grand parc de la ville. Parc dans lequel je me faisait au début de ce siècle courser par les gardiens. Les cyclistes y étaient alors persona non grata. Les temps changent quand même un peu.

J'ouvre les fenêtres de l'open-space en arrivant pour rentrer de l'air frais et créer un courant d'air dans la zone. Toujours curieux de voir la passivité des collègues, arrivés bien avant moi ce matin pour avoir les meilleures places du « flex desk ». Ils ne savent pas composer avec ce que la nature nous donne. Ou peut-être feignent-ils d’ignorer que rentrer un maximum d’air frais la nuit et le matin constitue une climatisation naturelle. Ils sont assis passivement et attendent que la température atteigne 26°C pour que se déclenche la climatisation. Passivité, « lissitude » imposée par des années de management infantilisant ? Celui qui en début de carrière avait été surnommé « Le Che » par une cheffe ancienne école, demande à la cantonade ce qui transgresse le silence imposé tacitement par l’open space puis aère.

Fermeture des fenêtres vers 10h30, il fait déjà 27°C.

Pause pipi, tous les mitigeurs des lavabos sont réglés sur chaud au maximum. Je me demande bien pourquoi les gens se lavent les mains à l'eau chaude ?  C'est si agréable de se laver les mains à l'eau fraîche ? Peut-être n'ont-ils pas conscience de l'impact environnemental du réchauffage de l'eau ? Parfois, j'ai l'impression d'être anormal. Notez que je ne suis pas un jésuite de l’écologie et je n’en pipe mot.

Cet après midi, je suis allé faire de la maintenance dans notre data-center. C'est fou ce qu’on prend bien soin des machines ! C'est là qu'il fait le plus frais dans l'immeuble et dans un vrombissement de ventilateurs. Les machines soufflent le chaud, beaucoup de chaud. Je souffre lorsque je travaille derrière elles. Le vent brûlant qui s'en échappe est cinglant. Il dessèche la peau.

Les machines dont je m'occupent : une grappe d’ordinateurs totalisant 3 ou 4 douzaines de GPU (processeurs graphiques) ultra puissants utilisés pour faire des calculs d'Intelligence Artificielle. Ça doit bien consommer 7 KW d'électricité quand les collègues « jouent » leurs algorithmes. Cette électricité part majoritairement en chaleur. Et ce n’est qu’une baie dans la salle informatique composée de plusieurs travées. L'IA, on appelle ça « le progrès », le nouvel « el dorado » dans les milieux d'affaires et les entreprises de la tech.

Corvée semestrielle de charge des batteries. Pour les entretenir il faut les recharger périodiquement. Incroyable ce qu'on a comme batteries dans notre travail. Elles alimentent toute une série de petits appareil portatifs. Elles sont de toutes les tailles, de toutes le formes, de toutes les capacités. J'ai du en mettre 22 en charge je crois, et j'en aurai une autre fournée à faire demain.

Retour à vélo en fin d’après midi. Elle est belle ma ville "grenouille". Mais elle voudrait devenir "bœuf". Bien classée dans les villes de France ou il fait bon vivre et très bien classée dans les villes à embouteillages.

L’espace urbain entre les habitations est de plus en plus plat, minéral, les vieux arbres sont arrachés, des ralentisseurs fleurissent. Il pousse du béton, du bitume, de la pierre et du granit. Ces nouveaux aménagements ce soir sont une fournaise. Il fait bien meilleur dans les quartiers populaire qui ont réussi a échapper aux travaux trop souvent clientélistes en période pré-électorale. Ces quartiers ont conservés leurs grands arbres, un peu d’herbe et de terre.

Des fois au jardin ou dans des documentaires animaliers, je m'émerveille de voir l'ingéniosité de tel ou tel insecte pour construire son nid ou sa ruche. La reine est en haut, ici c’est la nourriture, là des galeries, ailleurs des aérations. Et puis je me dis que si on coupait en deux la fourmilière qu’est une grande ville, on serait surpris d l'intelligence délirante de l'espèce humaine. On serait surpris du bazar qu’une seule espèce est capable de mettre sur terre.

Je passe au pressing retirer une couverture et tente une blague : "Je passe la récupérer car j'ai peur d'avoir froid cette nuit". La vendeuse ne rigole pas du tout, elle n’esquisse pas même un sourire... dans son pressing climatisé.

J'écris ces lignes de mon appartement. Il fait 24°C à l'intérieur, sans clim. Tous les volets sont fermés. Un rez-de-chaussé, sur sous-sol frais. Symboliquement c’est un appartement du bas de la pyramide sociale et sans prétention dans le quartier qui à la plus mauvaise réputation. Appartement dans un immeuble HQE (Haute Qualité Environnementale) édifié avant que ce genre de construction devienne la norme.

Immeuble dans lequel, à la dernière Assemblée Générale de copropriétaires, devant la crainte de voire les factures d'énergie exploser, on a tenté enfin de comprendre pourquoi en hiver « des gens » ont les fenêtres ouvertes toute la journée. Les régulations individuelles d’appartement n’ont manifestement pas été réglées à la livraison. Pas vu pas pris pour l’installateur et le promoteur (social), pas pris pas puni pour l’entreprise de maintenance qui a le contrat depuis 15 ans. Cette dernière porte la bannière d’un grand groupe industriel à l’histoire gazière.

Là aussi, je suis toujours étonné de constater que les gens se sont laissés aller à la doxa du discours et de la pensée dénuée de faits techniques. Par quel cheminement d’esprit a-t-on collectivement trouvé mieux d'ouvrir les fenêtres plutôt que de chercher à connaître les raisons du dysfonctionnement. Nous étions quelques uns, moins de 5 % au tout début à poser la question, rapidement las de nous prendre un bide ou carrément de la réprobation. Puis nous avons réglé nos appartements en nous procurant les codes installateurs de nos équipements. L'argent et la communication toujours, l'intelligence et la connaissance technique rarement.

Je m’endors heureux d’espérer que cette chaude journée aidera le monde à vouloir changer.

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