Il était annoncé depuis quelque mois et la rumeur le disait favorable : le rapport d'information sur la maternité pour autrui préparé par un groupe de sénateurs et présenté publiquement par M. André, A Milon et H de Richemont le 25 juin 2008 est même allé au-delà des espoirs les plus audacieux de ceux qui depuis plusieurs années -couples stériles dont la femme ne peut assumer de grossesse, associations de soutien et autres personnalités- demandent la légalisation encadrée de cette pratique formellement interdite, et mal nommée, des « mères porteuses ». Au grand dam de ceux qui la réprouvent et qui s’inquiètent du développement inexorable de cette forme de désobéissance civile qui ferait de la femme qui porte l’enfant pour le compte du couple infécond une figure inédite de la prostitution.
Le dossier est désormais pleinement inscrit dans le débat politique, longtemps après avoir été ouvert sur le terrain judiciaire et social. Certes, les rapporteurs de ce travail ont pris soin de dire qu’il ne s’agissait là que d’une contribution à la réflexion, qui n’engageait pas le Sénat tout entier dont certains membres restent très réservés à l’égard de cette pratique. Il n’en reste pas moins que ce premier rapport officiel est un tremplin vers la légalisation, tant l’étude approfondie qui est présentée de la gestation pour autrui, attentive aux expériences des pays étrangers qui l’ont autorisée, s’attache à désamorcer les craintes légitimement associées à ce mode de procréation inédit. L’avancée est significative, et la secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano a même surenchéri en déclarant, de manière quelque peu intempestive, qu'elle serait prête à porter l’enfant de sa fille s’il le fallait ! La riposte des opposants à la gestation pour autrui ne s’est pas fait attendre, issue des rangs mêmes de la majorité sur lesquels, comment au temps des débats sur le pacs ou la fin de vie, souffle le vent de la discorde.
Le groupe de travail du Sénat assume l’innovation mais affiche la prudence : il préconise d’autoriser de manière très balisée la gestation pour autrui sans bouleverser les structures du droit familial français.
Pour les parents d’intention, les conditions sont directement empruntées au régime de l’assistance médicale à la procréation (AMP) : l’indication du recours à la gestation pour autrui doit rester strictement médicale ; le couple devra être marié ou en mesure de justifier d’une vie commune d’au moins deux années et être en âge d’être marié ; l’un des membres du couple, au moins, devra être parent. Enfin, une exigence spécifique à cette sorte de procréation médicalement assistée est recommandée, importée des législations européennes qui ont légalisé sous condition la gestation pour autrui : le couple parental, ainsi que la gestatrice, devront être domiciliés en France, de façon à empêcher que notre territoire, après avoir été une terre d’exode, ne devienne à son tour une destination de tourisme procréatif.
Pour la gestatrice, le choix est radical : afin d’éviter un trop grand investissement affectif de sa part, il ne faut pas superposer au lien physiologique de la grossesse un lien biologique avec l’enfant. L’enfant qu’elle porte devra donc être issu des gamètes des parents d’intention ou, à défaut, d’un don d’ovocytes d’une tierce donneuse et du sperme du père d’intention. Pour faciliter le détachement avec l’enfant porté mais aussi pour s’assurer que la gestatrice ne sera pas privée de descendance au cas où un accident au cours de la grossesse abîmerait ses fonctions reproductives, le rapport préconise que la candidate à la gestation ait déjà eu au moins un enfant. Il n’y a là encore que la transposition des règles en vigueur en matière d’AMP : les donneurs de gamètes doivent déjà avoir procréé.
Une limite quantitative est posée, tout aussi décisive que l’interdiction de rémunération pour éviter que la gestatrice ne se transforme en une loueuse d’uterus : il devra être interdit de mener plus de deux grossesses pour le compte d’autrui.
Quant aux critères d'élection de la gestatrice, une précaution peut paraître insuffisamment étendue : c'est celle qui concerne le lien entre les parents d'intention et la femme qui va porter leur enfant. Si le rapport juge impératif d'interdire qu'une mère puisse porter pour sa fille – Mme Moreno sera déçue ! - il ne s'oppose pas à ce que la gestatrice soit la sœur ou la cousine de la mère d'intention. Ce qui peut sembler être la solution la plus facile et la plus confortable pourrait bien s'avérer être une mauvaise idée, source de chantage affectif au sein de la famille et plus tard de risques d'insupportable concurrence entre les deux sœurs ou les deux proches cousines dans l'éducation de l'enfant, sans parler du brouillage de la généalogie. Les expériences douloureuses du don d'organes entre vivants apparentés devraient nous inciter ici à beaucoup de prudence.
Le rapport s'en remet sur ce point à la sagesse d’un comité chargé de l'agrément des gestatrices. C'est le dispositif procédural proposé qui apporte les garanties essentielles à un encadrement éthique et protecteur de la femme gestatrice et du couple de parents d'intention qui s'engagent dans cette délicate pratique. Il s'agit d'éviter que ne se mette en place des contrats laissés à la seule volonté des parties, mais au contraire, à chaque étape de ce long processus, de placer les parties sous la tutelle de l'institution, judiciaire ou médicale : des associations agréées par l'Agence de biomédecine pourraient servir de premier relais entre les couples demandeurs et les gestatrices potentielles ; une fois éprouvée la capacité psychologique et physique de tous les intervenants par une commission placée sous l’égide de l’Agence de la biomédecine qui délivrerait alors un agrément, puis mis en place un accompagnement psychologique pour chacun, et enfin, ouverts les droits sociaux afférents à la grossesse pour la gestatrice et les droits à congé pour accueil d'enfant pour les parents d'intention, le juge devra obligatoirement intervenir pour autoriser le transfert d'embryon chez la gestatrice. Il devra s'assurer que les précédentes étapes ont bien été respectées, recueillir les consentements écrits et fixer le montant du dédommagement raisonnable qui devra être versé par les parents d'intention à la gestatrice. Par ailleurs, le rapport y insiste, toute décision concernant la poursuite de la grossesse, notamment la décision d'avorter, appartiendra exclusivement à la gestatrice.
Pour autant, l'intervention du juge n'emporte pas transfert de la parenté de la gestatrice au couple bénéficiaire. Soucieux de ne pas rompre frontalement avec la tradition ancestrale du droit français de la filiation (la mère est celle qui accouche), le rapport préconise de laisser à la gestatrice la possibilité de devenir la mère légale de l'enfant si, dans les trois jours après l’accouchement, elle en exprime la volonté. Ce mécanisme, maladroitement assimilé à un "droit de repentir" qui évoque le contrat de consommation, est directement inspiré du modèle anglais, même si le délai d'incertitude prévu est ici considérablement raccourci. Les motifs qui ont conduit à cette solution sont bien compréhensibles : respect des fondements du droit de la famille, protection de la dignité de la gestatrice qui à aucun moment ne doit se sentir asservie ; il n'empêche que ce dispositif de secours est un peu contradictoire avec les précautions prises par ailleurs pour éviter un trop grand investissement affectif de la gestatrice envers l'enfant qu'elle porte. La possibilité que cet enfant puisse, au bout du compte, être le sien ne va-t-il pas insidieusement avoir l'effet inverse, en sapant inconsciemment ses efforts pour ne pas s'approprier mentalement l'enfant ?
Quoi qu'il en soit, si la gestatrice n'exprime pas de volonté contraire, le nom des parents d'intention sera inscrit sur les registres de l'état civil en exécution de la décision judiciaire ayant autorisé le transfert d'embryon.
Si le canevas légal proposé reste certainement perfectible, il n'en est pas moins déjà très abouti. Ce rapport vient en tout cas opportunément prêter main forte à la Cour d'appel de Paris dont la décision du 25 octobre 2007 est à l'origine de la réflexion du groupe de sénateurs. En effet, par un arrêt passablement frondeur, même si l'audace est masquée sous des motifs procéduraux, la Cour d'appel de Paris a validé la transcription sur les registres de l'état civil français des actes de naissance américains de deux jumelles nées en Californie d'une femme porteuse. Ce faisant, les juges de la cour ont contourné l'interdit français frappant la gestation pour autrui (article 16-7 du Code civil), que la Cour de cassation a jusqu'à présent replâtré à la moindre fissure. Un pourvoi a été formé et la décision de l'autorité hiérarchique est attendue. Tiendra-t-elle compte du message que n'a pu s'empêcher de lui adresser le groupe de sénateurs estimant que la filiation des enfants nés à l'étranger d'une gestation pour autrui devrait être valablement reconnue par le droit français, dès lors que l'opération offre des garanties comparables à celles qui sont préconisées dans leur rapport ? A moins qu'elle ne surseoie à statuer jusqu'à ce que le législateur s'engage.
Laurence Brunet, Réseau Droit, Sciences et techniques