L’exploitation du travail, moteur des destructions écologiques
Les ravages écologiques ont une cause majeure : le système de production capitaliste mondialisé. L’accumulation des richesses des classes possédantes s’est historiquement traduite par l’exploitation généralisée de l’activité des classes laborieuses et par une accumulation de destructions écologiques, d’extractions illimitées de ressources naturelles et de pollutions environnementales qui font aujourd’hui peser sur toute l’humanité, et plus particulièrement sur les classes populaires, une menace existentielle. Depuis le XIXème siècle, les travailleur.euses subissent donc conjointement l’intensification de leurs rythmes de travail et les rejets toxiques des usines au sein de leurs propres lieux de vie, l’empoisonnement de leurs corps aux pesticides et celui des terres agricoles, la précarisation de leurs emplois et le bouleversement de leurs conditions de vie par le réchauffement climatique.
Cette exploitation du travail par le capitalisme puise également ses racines dans les plantations esclavagistes des colonies européennes. Par l’appauvrissement des milieux naturels, ainsi que la dépossession et l’extermination des peuples colonisés et racisés, le choc humain et écologique du régime de la plantation s’est historiquement présenté comme une condition du développement du système capitaliste sur l’ensemble du globe. Il n’y a pas d’accumulation de richesses et d’exploitation du travail salarié dans les métropoles du Nord sans appropriation gratuite du travail et des ressources naturelles des peuples colonisés du Sud. Cette structuration raciale de l’organisation capitaliste du travail à l’échelle mondiale se reproduit au sein même des pays colonisateurs où les travailleur.euses immigré.es et non blanc.hes sont assigné.es aux activités dont les modes d’exploitation sont les plus sévères et où l’exposition aux pollutions et autres risques sanitaires sont les plus importants. Racisme, organisation du travail et destructions environnementales sont donc profondément liées.
Un autre régime de domination, tout aussi structurant que les deux précédents, se trouve également déterminant dans la relation qu’il produit entre exploitation du travail et ravages écologiques : c’est le patriarcat. On peut en effet représenter l’histoire de la domination des hommes sur les femmes à travers l’appropriation simultanée de la nature et du corps de ces dernières. Cette subordination des femmes se perpétue dans le système capitaliste à travers la dévalorisation du travail dit « reproductif », c’est-à-dire l’ensemble des activités de soins, d’éducation, d’entretien, d’alimentation réalisé dans la sphère domestique ou professionnelle, contribuant à la reproduction de la force de travail. En d’autres termes, sans l’exploitation du travail gratuit ou dévalorisé des femmes, l’exploitation du travail salarié dans la sphère dite « productive » ne serait pas aussi rentable pour le capital et n’aurait pu engendrer les ravages écologiques que l’on connaît aujourd’hui.
Le désastre écologique planétaire auquel nous faisons face repose donc essentiellement sur l’entremêlement de régimes de domination de classe, de race et de genre où le travail et son exploitation constituent des éléments centraux. Dans le cadre de la lutte qui nous oppose aux classes dominantes pour la défense de notre dignité, notre classe sociale, celles des travailleurs et travailleuses dans toute leur diversité, devient en conséquence l’actrice principale des luttes contre les destructions environnementales, pour la préservation et l’amélioration de notre cadre de vie et pour la défense de notre santé au travail. Nos combats écologiques sont donc riches d’une longue histoire qui place les organisations syndicales à l’avant-poste des luttes ouvrières contre les ravages écologiques du capitalisme, depuis les révoltes contre les mines andalousiennes de Rio Tinto en 1888 jusqu’aux luttes des ouvrier.ères brésilien.nes du caoutchouc (seringueiros) contre la déforestation dans les années 1980, en passant par la mobilisation des travailleur.euses immigré.es des usines de plomb de la Peñarroya à Lyon. Sur l’ensemble du globe où le capitalisme marque son empreinte environnementale dévastatrice, les luttes sociales qui s’y opposent dessinent en creux un véritable écologisme des classes laborieuses.
Nos syndicats : premières organisations écologiques ?
Parce que les destructions environnementales sont l’œuvre de l’organisation capitaliste du travail (qu’il soit rémunéré ou non, salarié ou non), il est naturel que ce soit depuis nos espaces de travail et au sein de nos propres organisations syndicales que nous pourrons participer le plus efficacement à la construction d’une alternative écologique répondant à nos intérêts de classe.
L’intensification de la guerre sociale menée par le capitalisme néolibéral à l’égard des classes laborieuses se double aujourd’hui d’une extension sans limite de l’exploitation des ressources minières et fossiles dans les pays du Sud, parfois même au nom de la « transition énergétique ». Ce mouvement ne semble pas prêt de s’arrêter, alors que le péril fasciste grandissant apporte avec lui son lot de prédations environnementales et d’attaques inédites contre les organisations de travailleurs.euses. Tout semble donc permis pour que le capital puisse préserver sa rente sur l’exploitation du travail et continuer de saccager la planète. Mais à l’inverse, tout ce qui permet de renforcer le pouvoir des classes laborieuses sur leurs espaces de travail devient un obstacle dans la course effrénée du capitalisme vers l’abîme. Dès lors, tous les syndicats disposent d’un rôle de premier plan pour tirer sur le frein d’urgence.
On peut admettre toutefois que les stratégies syndicales à l’égard des questions environnementales sont très disparates selon les pays, les secteurs d’activités, les entreprises ou bien le mode de structuration du syndicat. En perte de vitesse face aux attaques incessantes du patronat sur les droits des travailleurs.euses, certains syndicats se voient pris en étau entre, d’un côté, le discours du chantage à l’emploi que tiennent les employeurs à l’encontre de toute réglementation environnementale sur leurs activités et de l’autre, les politiques libérales dites de « transition écologique » qui accentuent les inégalités sociales. Difficile dans ce contexte de converger de façon naturelle avec les mouvements écologistes sur des luttes où les objectifs et revendications peuvent fortement diverger.
Pour autant, les coalitions entre syndicats, associations environnementales et scientifiques ne manquent pas et ont accompagné les premières luttes des classes populaires contre les dégâts sociaux et environnementaux de la révolution industrielle. On pourrait même ajouter qu’elles sont absolument essentielles pour la reconstitution d’un puissant rapport de force vis-à-vis du capital et tendent à renouveler et redynamiser les stratégies syndicales en faisant de l’écologie des classes laborieuses le ferment de nouvelles luttes et modes d’action. Dans les années 1970, en Italie, aux Etats-Unis ou au Brésil, les coalitions entre syndicats, organisations écologistes, féministes, anti-racistes ou communautaires ont abouti à de réelles victoires et donné naissance à des réseaux pour la justice environnementale. En France, depuis l’implication des organisations syndicales dans les différentes luttes locales contre de grands projets inutiles jusqu’à l’Alliance écologique et sociale et les actions des Soulèvement de la terre, la convergence entre les activistes écologistes et syndicalistes s’est enrichie chaque jour de la possibilité de porter plus loin encore les combats d’une écologie de lutte des classes. Il n’y a donc pas de rapport de force possible dans le combat écologique sans alliance entre nos organisations syndicales et le reste de la société civile.
L’importance du rôle de nos syndicats dans la lutte pour une écologie des classes laborieuses se mesure aussi à travers leur fonction politique inhérente. Les syndicats représentent encore les espaces d’organisation et de formation politique privilégiés des classes populaires. Ce sont donc des espaces démocratiques majeurs au sein desquels des centaines de milliers de travailleur.euses peuvent former et se former sur les liens entre l’exploitation de leur travail et les catastrophes écologiques et proposer eux et elles-mêmes les solutions répondants à leurs intérêts collectifs. Les plans de reconversion de la raffinerie Total de Grandpuits en 2020 ou de la centrale à charbon de Cordemais font ainsi l’objet de contre-projets de reconversion écologique proposés par les travailleur.euses et leurs syndicats. Dans le cadre des luttes paysannes, pour transformer radicalement le système alimentaire à la faveur des travailleur.euses agricoles, des consommateur.rices et de l’environnement, la Confédération paysanne défend quant à elle une sécurité sociale de l’alimentation.
Si ce rôle politique venait à être pleinement assumé par l’ensemble de nos syndicats, il permettrait faire de l’écologie des classes laborieuses le moyen principal par lequel s’organiserait la société toute entière pour faire face aux désastres écologiques. Elaborée à partir de nos expériences de domination mais aussi de nos expériences de lutte, cette écologie aurait pour objectif notre pleine émancipation. Elle s’opposerait en tous points à une écologie libérale et individualiste, pleinement intégrée au marché de la « consommation éco-responsable » et condamnant à l’impuissance toute action écologique qui ne s’en prendrait pas directement au système productif et à l’exploitation des travailleur.euses.
L’éco-syndicalisme se présente donc comme un mouvement généralisé d’autodétermination des travailleurs et travailleuses dans le cadre d’une rupture fondamentale avec le système capitaliste, colonial et patriarcal. Il se décline à travers la priorisation de la santé des travailleur.euses sur les intérêts capitalistes, la sécurisation des parcours professionnels dans le cadre de la bifurcation écologique, la revendication d’une reconquête des biens communs, la défense de l’auto-organisation de nos espaces de travail et des territoires dans lesquels nous vivons, ainsi que par la solidarité internationaliste envers les classes laborieuses du monde entier.
C’est sur ces bases qu’a été créé en 2021, le Réseau éco-syndicaliste. Il se veut un espace de réflexion et de partage d’expériences entre les différentes organisations impliquées dans la lutte éco-syndicale, dans le respect de la diversité de nos revendications, de nos stratégies de luttes et de nos pratiques militantes. Il s’agit aussi d’un réseau visant à faciliter les convergences entre luttes écologistes et syndicales, permettre aux militant.es de se former et de bénéficier d’outils pour nourrir leurs différentes luttes et élaborer des réponses collectives aux questions écologiques qui se posent au monde du travail. Depuis son existence, le Réseau éco-syndicaliste a notamment permis de soutenir les travailleurs et travailleuses des déchets, celles et ceux impliqué.es dans les chantiers des Jeux Olympiques de Paris, les travailleurs et travailleuses du nettoyage, les luttes paysannes et participe aux Assises de la santé et de la sécurité des travailleur.euses.
Quelles sont les tâches de l’éco-syndicalisme ?
La défense de la santé au travail :
On estime à 2,2 millions le nombre de travailleurs exposés à des substances chimiques dangereuses. Pesticides, amiante, rayons ionisants, polluants éternels et autres substances cancérigènes et toxiques menacent chaque jour les travailleur.euses de graves problèmes de santé, dont les origines professionnelles sont loin d’être toujours reconnues. Et lorsqu’ils et elles subissent la pression de rythmes de travail insoutenables c’est autant leur santé physique que mentale qui est en jeu. Pour que cesse les morts du travail et que cesse la pollution généralisée de notre environnement, la santé au travail et la santé environnementale doivent se trouver au cœur des luttes éco-syndicales.
La sécurisation des parcours de vie :
Dans le cadre des évolutions des conditions de travail engendrée par la multiplication des crises d’ordre écologique et économique, il est fondamental que les travailleurs et travailleuses puissent s’assurer de conditions d’existence dignes afin de ne subir ni le risque environnemental, ni le risque économique de la perte d’emploi. L’attribution d’un droit permanent des travailleur.euses à la rémunération ou à la formation, indépendamment de l’emploi qu’ils ou elles occupent, doit donc constituer une des revendications majeures des luttes éco-syndicales. La garantie d’emploi, le salaire à vie, le revenu universel, le nouveau statut du travail salarié sont des solutions déjà débattues dans nos organisations syndicales.
La réduction du temps de travail :
Revendication historique du mouvement ouvrier, la réduction du temps de travail doit encore se poursuivre afin que cesse l’emprise du temps contraint sur les corps et les esprits des travailleur.euses et que se déploie enfin une « civilisation du temps libéré », permettant à chacun.e de contribuer librement à des activités socialement et écologiquement utiles. La réduction du temps de travail signifierait par ailleurs une réduction de la production et par conséquent, une réduction des destructions que celle-ci produit sur la santé des travailleur.euses et sur l’environnement.
L’auto-gestion :
Lorsque se décide la transformation écologique de l’économie, la démocratie ne peut s’arrêter à la porte des entreprises. Ce sont les travailleurs et travailleurs qui maîtrisent le mieux leurs outils de production et leurs espaces de travail. Ils et elles doivent donc en être les possesseur.eurs et gestionnaires afin d’orienter la bifurcation écologique le plus efficacement possible, conformément aux besoins réels de la société. Les exemples sont nombreux d’usines récupérées par leurs salarié.es entraînant la reconversion écologique de leurs activités (GKN en Italie, 1336 en France, Vio.me en Grèce, etc.).
La planification écologique démocratique :
Les syndicats doivent être en mesure d’anticiper la transformation de l’organisation du travail, de l’économie et de la société pour ne pas subir une planification écologique qui irait à l’encontre de l’intérêt des travailleur.euses. En commençant dès à présent par accompagner les travailleur.euses dans la formulation de propositions de réorientation écologique de leurs activités, les syndicats doivent se positionner comme des acteurs économiques et politiques de premier plan dans un processus de bifurcation démocratique de l’économie sur le long terme. Dans des secteurs aussi stratégiques pour la planification que la santé, l’alimentation, l’éducation, l’énergie, les transports, la logistique ou la gestion des déchets, les syndicats doivent avoir leur mot à dire.
Un syndicalisme qui dépasse le cadre de l’entreprise :
Parce que l’enjeu écologique dépasse les cadres de l’entreprise, l’éco-syndicalisme ne peut donc en aucun cas s’y confiner. Les alliances avec d’autres organisations de la société civile doivent être le moteur de ses luttes. L’éco-syndicalisme ne peut pas non plus se cantonner à l’échelle nationale. Face à un capitalisme international et colonial et face à des enjeux écologiques planétaires, il est internationaliste ou il n’est pas. Enfin, l’activité syndicale qui se revendique d’une écologie des classes laborieuses doit pouvoir être mobilisée dans le cadre de la reconnaissance du travail invisibilisé des femmes et de toute activité qui, en somme, contribue à la subsistance de la société à l’intérieur ou à l’extérieur des entreprises (santé, éducation, logement, alimentation, etc.). A l’échelle locale, le « syndicalisme de quartier » ou le « syndicalisme communautaire » peut en être une des déclinaisons.