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Billet de blog 19 mars 2021

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«Chèques psy étudiants»… Encore un petit effort!

Les projecteurs se sont récemment braqués sur la souffrance des étudiants. Réseau de professionnels des soins psychiatriques engagés pour les étudiants franciliens, la mise en place du dispositif «Santé Psy Etudiants» nous interroge. Est-ce un «chèque cadeau» sans suite?  L’offre de soins psychiques dédiée aux étudiants doit être mieux organisée, mais surtout, ses moyens sont très insuffisants. Souhaitons que nos doléances en matière de soins pour nos étudiants soient entendues. Ils le méritent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

RESPPET, comme REseau de Soins Psychiatriques et Psychologiques pour les ETudiants, est un réseau associatif de soins créé en 2008 à l’initiative de professionnels engagés afin de développer les liens entre les structures de soins dédiées aux étudiants en Ile de France. Il fédère maintenant de plus en plus d’acteurs et permet de mieux articuler les soins psychiques apportés aux étudiants.

Pour la première fois, nous prenons publiquement la parole en tant que réseau devant les interrogations, préoccupations et réserves que soulèvent de façon unanime chez les professionnels adhérant à RESPPET l’annonce de la mise en place du dispositif « Santé Psy Etudiants ».

Les projecteurs se sont récemment braqués sur la souffrance et la santé mentale des étudiants. Pourtant nombre d’enquêtes, études et rapports sur ce sujet ont déjà été réalisées par le passé et sont en partie restés dans l’ombre. Ils ont pourtant tous montré que cette souffrance psychique n’est pas nouvelle et est en augmentation constante. Les causes en sont spécifiques et nombreuses : enjeux académiques conjugués avec une vulnérabilité psychique personnelle propre à cet âge de la vie, paupérisation des étudiants, massification de l’enseignement supérieur, sélectivité accrue ou encore difficultés d’insertion dans le monde professionnel. Les effets de la pandémie (isolement social, précarité, téléenseignement, incertitudes sur l’avenir) ont exacerbé cette réalité et parfois précipité les étudiants dans des troubles psychiques plus sévères et pour certains, malheureusement vers le suicide.

Tous ces rapports ont aussi montré que l’offre de soins psychiques spécifiquement dédiée aux étudiants doit, certes, être mieux organisée, mais surtout que ses moyens sont très largement insuffisants.

Même si les difficultés psychiques des étudiants s’intègrent en partie à celles des jeunes adultes, elles ont des spécificités propres au statut d’étudiant et nécessitent une approche de professionnels de santé aguerris à celles-ci. Leur prise en charge doit s’intégrer dans un réel parcours de soins allant de la détection précoce des difficultés, l’accès rapide à une première écoute, l’orientation vers une structure de soins adaptée à l’étudiant en souffrance et pouvant l’accueillir, des éventuelles réorientations vers des prises en charge spécialisées (hospitalisations, psychothérapies spécialisées…), jusqu’au travail de relais si besoin avec des structures de soins et des praticiens en aval des études (essentiel dans la prévention des risques psychosociaux ultérieurs). A chaque fois, il faut s’assurer de la pertinence et de l’effectivité de la démarche proposée. Un temps impossible à protocoliser, un parcours impossible àuniformiser.

Dans ce parcours, les premières consultations sont essentielles et permettent de faire naître l’alliance thérapeutique, la confiance et l’acceptation de l’aide nécessaire. Un lien unique et investi entre thérapeute et étudiant se noue, ainsi qu’entre lesacteurs du parcours qui doivent se connaître, communiquer entre eux et se coordonner. C’est l’indispensable travail de réseau,primordial pour rendre cohérent le parcours de soins, et éviter « l’errance thérapeutique », le désespoir qu’elle peut engendrer, et les risques afférents au retard d’accès aux soins : repérage tardif et aggravation de pathologies émergeantes, passage à l'acte, comorbidités et consommation de toxiques...

Favoriser l’accès à une première écoute psychologique pour les étudiants qui vont mal, sans avance de frais, est donc nécessaire mais ne constitue qu’une étape de ce parcours de soins. En ce sens, la possibilité offerte par les pouvoirs publics de mettre en place un dispositif de « chèques psy » pour 3 à 6 consultations avec une (un) psychologue va dans le bon sens. 

Mais sur quels critères et connaissances des problématiques spécifiques aux étudiants, seront choisis ces praticiens libéraux et par qui ? Le système de validation-labellisation reste à ce jour très imprécis : Est-ce une commission omnipraticiens qui validera les candidatures ? Dans chaque SSU ? Une liste par région, ou pour l’ensemble des SSU ? Avec une formation initiale ?). Quant au protocole d’aller-retour entre les psychologues et les médecins généralistes (qui doivent valider chaque demande initiale et de renouvellement éventuel) il ne va pas sans une certaine complexité de mise en œuvre pour l’étudiant demandeur comme pour les praticiens eux-mêmes.

Si nous nous félicitons que les Services de Santé Universitaire soient placés au centre de ce dispositif, attention à ne pas réduire leur mission à une évaluation et à une orientation sur un réseau libéral plus ou moins bien identifié et coordonné.

En outre, si dans un certain nombre de situations, les difficultés peuvent parfois se résoudre en quelques consultations, tel n’est pas le cas pour la majorité des étudiants en souffrance. Nous pouvons d’ores et déjà craindre que dans bien des cas, ces séances payées (plutôt peu) à un professionnel libéral ne suffiront pas. Que se passera-t-il alors au terme de ces consultations ? Un « chèque cadeau » sans suite alors même qu’un lien thérapeutique parfois puissant est déjà noué ?

Il serait violent de refermer une porte à peine ouverte. Si les soins engagés doivent être poursuivis ou que la gravité de la situation l’exige, il ne faudrait pas que ces collègues libéraux se voient « ubérisés » ou laissés sans soutien pour faire le lien avec les structures spécialisées (qui accusent déjà de longs délais d’attente) vers lesquelles ils seront contraints de réorienter les étudiants. Rappelons l’importance du travail en réseau très éloigné du statut d’électron libre dans lequel ces professionnels risquent d’être placés malgré eux.

Nous craignons que l’heureuse attention des pouvoirs publics à la santé mentale des étudiants, ne pousse, dans l’urgence indiscutable, à l’allocation de moyens non pérennes et à l’instauration de dispositifs complexes aux effets potentiellement délétères, car peu pensés et peu articulés avec les réseaux territoriaux de santé et à la réalité du parcours de soins d’un étudiant en recherche d’aide psychologique. Ces risques sont les mêmes avec la floraison actuelle de plateformes d’écoute et de consultation donnant l’illusion d’un véritable travail en réseau. Desréseaux existent déjà et fonctionnent ; renforçons-les plutôt que de vouloir en constituer d’autres dans l’urgence et de manière artificielle.

Il est indispensable que les réponses données à court terme pour répondre à l’urgence s’inscrivent dans une perspective à long terme et répondent aux recommandations unanimes des plans territoriaux de santé mentale ou du récent rapport de la Cour des Comptes sur les parcours de soins en psychiatrie.

Par cette tribune, nous faisons la demande aux pouvoirs publics de préciser les modalités de sélection des praticiens du dispositif « Santé Psy Etudiants » et de leur inscription dans les réseaux de soins spécifiquement étudiants, d’octroyer les moyens humains pérennes et nécessaires afin de permettre ce travail en réseau, d’augmenter les capacités d’accueil en aval de toutes les structures spécialisées dans les soins psychiques aux étudiants, de moderniser les observatoires de santé des étudiants afin de promouvoir des recherches de qualité, et de favoriser la création de nouveaux dispositifs intégrés dans le parcours de soins psychiques des étudiants. Enfin, nous demandons que les réseaux tels que le nôtre soient associés aux réflexions sur les dispositifs et le parcours de soins en santé mentale des étudiants dans le cadre des prochaines « Assises de la psychiatrie » annoncées par le Président de la République. Ils y seront force de proposition.

Souhaitons qu’à l’heure où les soignants sont particulièrement écoutés dans la gestion de la pandémie, nos réflexions et doléances en matière de soins psychiques à court et long terme pour nos étudiants soient entendues. Ils le méritent.

Au nom du réseau RESPPET, rédigé par :

Christophe FERVEUR (président, Relais Etudiants Lycéens)

Dr Thierry BIGOT (vice-président, Service de psychiatrie - Hôpital Hôtel-Dieu)

Dr Emmanuel WEISS (vice-président, BAPU Luxembourg)

Dr Frédéric ATGER (BAPU Pascal)

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