J’écris cette lettre pour la glisser dans l’une des bouteilles que l’on vide lorsque l’on refait le monde avec des amis. J’irai ensuite la jeter dans l’océan d’anonymat qui entoure nos ilots de réflexion et de résistance insignifiants. Il est clair que perdu au milieu du 8ème continent elle passera inaperçue et au pire elle ne pourrait que m’attirer les foudres d’écolos pointilleux qui, écrasés par le sérieux des enjeux auxquels nous faisons réellement face, n’auront pas compris que celle-ci était symbolique.
Je dois commencer par une confession. Je ne supporte plus mes excuses pour ne pas m’engager, pour ne pas y aller, pour ne pas me mouiller. Je ne supporte plus que mes enfants croient que je suis actif dans la résistance aux aberrations de notre monde contemporain alors que la seule chose que je fais, c’est parler. Ce qui dégage du CO2… Je tiens, à mettre dans cette bouteille ma principale excuse, celle que je ressors à l’écolo pratiquant au cours d’une discussion enflammée, à qui je répète une fois de plus que son acte individuel est dérisoire, même ajouté à tous ceux de sa confession, devant l’ampleur du changement à réaliser et qui me sort : « bon d’accord mais qu’est ce que tu fais toi ? à part des discours ? Nous, on agit…. »
Ma principale excuse, c’est que je suis désemparé devant l’offre politique et militante, que je ne trouve pas le collectif qui me correspond, l’endroit où militer, le projet politique à pousser. Ce qui me met dans la position favorite de beaucoup de contemporains qui consiste à ne rien soutenir, et ainsi de pouvoir continuer à critiquer tout le monde, se prenant pour un électron libre méprisant les rares nucléons qui continuent à s’agréger. Je ne suis pas sûr que la matière de notre société puisse garder consistance avec uniquement des électrons sans masse politique. Alors, je me suis dit qu’une des premières choses que je pourrais faire c’est de me plier à l’exercice fatal qui consiste à décrire le projet politique qui m’inspirerait, auquel je daignerais apporter mon engagement.
Pour ce faire, il me semble essentiel de partir de la problématique écologique. Il ne s’agit pas ici de hiérarchiser l’importance du sujet écologique par rapport aux questions sociales qui me taraudent tout autant, mais simplement de prendre en compte que les décisions nécessaires pour aller vers un modèle de production compatible avec la sauvegarde de l’environnement sont structurantes car conduisent inévitablement à un véritable tsunami économique et social.
Soyons clair, si nous voulons être responsables sur le plan de l’écologie, si nous voulions réellement ne pas laisser un monde invivable à nos enfants, il faudrait taxer significativement tous les gaz à effet de serre émis, proportionnellement à leurs impacts, exhaustivement et sans autre considération, interdire les produits phytosanitaires nocifs à la biodiversité, interdire les consommations engendrant des déforestations, légiférer sur les usages de l’eau dans les zones où cela est nécessaire, augmenter les espaces soustraits à l’intervention de l’homme, règlementer beaucoup plus fermement sur le plastique etc… Et bien entendu nous devrions prendre en considération l’intégralité des conséquences environnementales de ce qui nous permet de vivre comme nous vivons, c’est à dire l’intégralité des impacts de ce que nous consommons, et donc, appliquer les mêmes exigences aux produits importés.
Jusqu’ici, me direz-vous, rien de très nouveau à ces revendications. Sauf que personne ne propose vraiment explicitement l’exhaustivité de ce dont nous devons nous passer et surtout personne ne semble vouloir assumer clairement ce que de telles mesures engendreraient. Il est évident que si nous avions de réelles ambitions écologiques, si nous appliquions ce type de dispositions, nous aurions un retour en arrière assez conséquent sur les terrains de la productivité et de la mondialisation économique. En effet, pratiquement tout ce que nous consommons aujourd’hui nécessite de l’énergie pour être produit, énergie dont 80% provient de consommation d’hydrocarbures ; une grande majorité de notre alimentation provient de l’agriculture conventionnelle utilisant des produits phytosanitaires dont il faut condamner l’usage ; l’élevage pour la consommation de viande engendre le rejet de méthane et la production d’aliments très impactant en terme d’effet de serre ; toute l’optimisation de l’économie mondiale nous donnant accès à des produits à moindre coût s’est construite sur la base d’un coût de transport bas permis par l’usage des dérivés du pétrole, etc … Se passer de tous ces moyens impactera inévitablement le coût de production de la plupart de nos consommations. Certains services, comme la possibilité de se déplacer régulièrement sur de grandes distances dans un véhicule individuel thermique, devraient représenter un budget tel que la recherche d’alternatives serait incontournable. Par ailleurs, les mesures évoquées engendreraient inévitablement une relocalisation de la grande majorité de la production de ce dont nous avons besoin, soit parce que les modalités de fabrication et le transport engendrés par une production loin du lieu de consommation pèseraient dans le coût du produit importé, soit parce que le pays exportateur ne pourra garantir et prouver la non-utilisation de ce que l’on décide interdire ici.
Et on peut être sûr d’une chose : produire ici, sans impact environnemental reviendra plus cher. Donc cela engendrera une hausse significative du prix d’un grand nombre de biens et services. Il n’y a aucun doute là-dessus.
De même, l’autre point essentiel à assumer, est que si ces interdictions / taxations fonctionnent, elles doivent influencer de façon très significative les consommations, les dépenses, les choix à tous les niveaux de la société. Donc cela veut dire que des pans entiers de l’économie de notre pays disparaitraient ou réduiraient de façon significative la voilure. Des emplois seraient donc supprimés en masse dans de nombreux secteurs d’activité même si en face de ces suppressions il y aurait largement autant de création d’emploi du fait de la relocalisation d’une grande partie de la production de ce que nous consommons. Globalement nous pouvons attendre des effets positifs largement aussi conséquents que les impacts négatifs que nous venons de décrire. Nous y reviendrons plus loin. Mais une chose est sûre : ce serait un changement de paradigme très structurant et très impactant sur plan économique et social.
Soyons honnête si nous ne le faisons pas aujourd’hui, si aucun pays ne prend ce genre de décision ce n’est peut-être pas uniquement parce que les méchants dirigeants politiques, les méchants lobbies, les méchantes multinationales nous empêchent de le faire. Si la grande majorité des citoyens des pays riches aspirait à ce changement de façon un minimum homogène, il est fort probable qu’il se ferait. Le problème c’est que nous n’assumons pas la baisse de confort matériel global que cela engendrerait inévitablement. Personne n’ose regarder cette réalité en face. Aucun homme politique n’ose le formuler, et les citoyens ne l’assument pas clairement non plus. Sinon nous aurions des pancartes plus explicites lors de nos défilés du samedi après-midi, des pancartes qui clameraient que nous sommes prêts à nous passer de ce qu’il faut qu’on se passe « quoi qu’il en coute », des slogans qui exigeraient l’interdiction et la dissuasion plutôt qu’un appel à sauver le climat qui reste une revendication assez floue pour ne pas obliger les dirigeants à la décision efficace. De même, nous ne pouvons croire que le Green New Deal récemment présenté la Commission Européenne puissent être à la hauteur des enjeux s’il n’est pas associé à une réelle volonté d’assumer la rupture par rapport au modèle de mondialisation économique qui prévaut depuis des décennies et aux éventuelles conséquences matériels de ne plus recourir aux hydrocarbures. En aucune façon, la Commission Européen, et encore moins les Etats membres, ni les partis politiques ne sont à jour dans la clarification de ce qui est vraiment en jeu. Mais à minima avant d’accuser le « système » de nous empêcher de construire une société plus responsable vis-à-vis des générations qui suivent, assurons nous d‘abord d’avoir adressé une demande à peu près cohérente auprès des dirigeants, ce qui ne me semble pas être le cas aujourd’hui. C’est pourquoi la construction d’une proposition politique réaliste capable de réunir un consensus au sein d’un périmètre démocratique et républicain me semble le chantier primaire auquel il faut s’attaquer.
Alors entendons nous bien. Pour moi un tel projet ne s’entendrait pas sans un transfert significatif de ressources vers les classes modestes (transfert qui pourrait être alimenté par les taxes environnementales évoquées) de façon à maintenir le niveau de vie des citoyens ayant les revenus les plus bas, à minima en ce qui concerne les biens essentiels. Sachant qu’on inclut ici dans cette notion, au-delà de ce qui est communément admis comme essentiel, le logement décent donc le chauffage, l’éducation, la santé, la possibilité de se déplacer, la culture etc... Pour les autres, les classes moyennes et surtout les plus aisés, une responsabilité environnementale conduirait forcément à une perte de pouvoir d’achat significative. Deuxième point qui doit être également indissociable : ce projet devrait être associé à un accompagnement sans précédent des salariés et entrepreneurs dans le processus de création / destruction d’entreprise accélérées que de telles décisions engendreraient. En aucun cas il ne s’agit de provoquer de tels changements sans envisager d’être juste.
Une fois ces conséquences et les accompagnements associés décrits, il convient de nous interroger sur ce que cela signifierait réellement pour tout à chacun. A y bien réfléchir, je ne suis pas sûr qu’une telle évolution serait si morose à moyen terme pour la grande majorité d’entre nous.
Tout d’abord la relocalisation de l’économie. Les besoins en moyen humain pour reconstruire dans nos territoires des activités sans impact sur l’environnement seront forcément énormes. Recommencer à faire pratiquement tout ici, comme des vêtements, des chaussures, des jouets, isoler, multiplier la main d’œuvre dans l’agriculture bio, recycler tout ce qui peut l’être, multiplier les transports en commun etc… Sans compter la dés-optimisation de certaines industries du fait d’un transport plus cher, ce qui veut dire des unités de productions plus petites, plus localisées, donc au final dés-optimisées par rapport à la situation actuelle donc nécessitant plus de main d’œuvre pour une même quantité produite. Je ne suis pas sûr qu’il serait judicieux de rester tétanisé devant les prédicateurs d’explosion du chômage qui ne manqueraient pas, au risque ne pas prendre en compte un élément assez intuitif : si on supprime le recours aux hydrocarbures et à l’exploitation de la misère du monde, et si on veut maintenir un minimum de confort matériel, il va falloir mettre la main à la pâte ! Ici, et nulle part d’ailleurs. On peut même quasiment être sûr que le problème sera rapidement une pénurie de main d’œuvre que le contraire. Après, oui en effet ce ne seront pas les mêmes types de job. Il y aura peut-être moins de place pour des cadres de multinational et plus de jobs opérationnels contribuant à fabriquer des produits ou fournir des services concrètement, ici et nulle part ailleurs. Mais ceux qui pensent qu’on peut modifier notre impact environnemental sans rien changer n’ont pas besoin de continuer cette lecture.
Le vrai challenge en fait n’est pas la perte de certains emplois, ni le fait que certaines structures devront mettre la clef sous la porte car il y en aura autant voire plus qui verront le jour. La difficulté est de réussir ce changement, ce mouvement massif de reconversion, cette accélération du processus de création/destruction d‘entreprises. Il s’agit en effet de mettre au point un traitement équitable des bouleversements engendrés. Malheureusement, plutôt que ce légitime besoin de justice, je crains que ce soit le changement en lui-même qui effraie. Pourtant, honnêtement, le changement, s’il est vécu collectivement, accepté et porté par une grande majorité d’entre nous, s’il s’agissait d’un véritable projet collectif, serait-t-il aussi terrifiant ? N’est-il pas au contraire enthousiasmant ? Ne peut-on pas être plutôt optimiste sur le sens et l’intérêt des emplois et des opportunités que ces nouvelles règles vont créer ? Il y a beaucoup à réinventer pour être plus efficient énergétiquement, il y a de très nombreuses filières de recyclage à mettre en œuvre, il y a énormément de production à se réapproprier. Pensons à l’intérêt du savoir-faire nécessaire dans l’agriculture biologique en comparaison d’une application des consignes des producteurs de produits phytosanitaires, pensons à l’intérêt de monter sa petite entreprise de fabrication de chaussure en comparaison d’un job de cadre pour une multinationale où l’essentiel de l’intellect est utilisé pour gérer la complexité d’organisations tentaculaires, pensons à tous les savoir-faire nécessaires à tous les échelons d’une entreprise pour fabriquer des produits durables et pour les réparer en comparaison de ceux qu’offre une société de consommateur en masse de produits jetables fabriqués à l’autre bout du monde.
Un autre impact positif que l’on peut honnêtement attendre d’une telle évolution des modalités de production, c’est la nature des besoins de main d’œuvre et de petits entrepreneurs au sein de notre pays. Le retour d’activités engendrant la création d’emplois locaux de production, qualifiés et non qualifiés, l’arrêt de la mise en concurrence des salariés occidentaux avec les plus pauvres salariés du monde entier devrait changer le rapport de force entre les classes sociales au sein de notre pays. La nécessité de savoir produire ici avec les contraintes de durabilité et de neutralité environnementale devrait conduire au fil du temps à ce que le petit salariat, les petits entrepreneurs retrouvent une certaine reconnaissance légitime en regard par exemple de celle d’un directeur achat international d’une multinational devenu désormais inutile. Ce changement important du marché de l’emploi et les rééquilibrages de rémunération qu’on peut en espérer pourraient être in fine une réponse aux aspirations de solidarité qui à mon sens travaillent une grande partie de la société mais sur lequel les électeurs buttent lorsque les propositions politiques sont perçues comme de l’assistanat. Ce rééquilibrage ne serait bien sûr pas automatique, et dépend de beaucoup d’éléments que nous ne maitrisons pas mais le modèle que nous choisirions serait à coup sûr beaucoup plus propice à ce que chacun retrouve sa dignité et sa place.
En face des conséquences à court terme sur le coût de certains biens et services déjà évoquées, il y a un élément fondamental qui pourrait nous permettre de retrouver l’accessibilité à ceux-ci : c’est l’émergence d’alternatives, que ce soit d’autres façons de faire ou d’autres technologies. La nouvelle donne économique qui découlerait de ces interdictions / dissuasions devrait permettre l’émergence de solutions jusque là non rentable, stimuler la recherche et l’innovation qui pousserait de nouvelles façons de faire n’utilisant plus ce qu’on ne peut plus utiliser. Ce nouveau paradigme serait un boulevard pour la créativité, l’invention, la recherche, l’entreprenariat. Bien entendu l’Etat devra impulser, investir, encourager mais il me parait important de ne pas sous estimer l’importance de la décentralisation, de la diversité, du bouillonnement des intérêts et initiatives privés pour favoriser cette trajectoire. Car ce sera par tâtonnement, par essais, échecs et réussites que la meilleure voie sera trouvée. Et s’il y a une chose que le capitalisme libéral sait faire, c’est bien de stimuler, responsabiliser et permettre l’émergence et le développement de solutions nouvelles. Mais encore faut-il avant, s’entendre sur les règles du jeu et ne pas se laisser berner par les douces musiques qui voudraient nous faire croire que ce modèle livré à lui même sert l’intérêt de tous.
Il y a un dernier angle de regard qui permet de valoriser notre proposition. La relocalisation qui devrait être induite par les mesures envisagées, présente également l’intérêt d’adresser le sujet de la résilience, en nous forçant à nous réapproprier la production de ce que nous avions petit à petit pris l’habitude de faire faire par d’autres et loin d’ici. Or la résilience est indispensable pour vivre dans une certaine sérénité, pouvoir ainsi laisser libre court à sa créativité et son envie d’entreprendre et également pour garder notre liberté politique vis-à-vis des pays fournisseurs dont nous nous rendrons petit à petit indépendant. Ainsi cette trajectoire d’autonomie semble plus propice à proposer un discours apaisant au reste du monde. Les périodes troubles que nous venons de passer qui ont vu des limitations ponctuelles des échanges internationaux pour contrer la propagation du virus ont vite révélé la fragilité de nos organisations pour l’approvisionnement des biens les plus essentiels. Nous ne pouvons laisser à nos enfants un monde aussi peu résilient, aussi instable, aussi fragile.
Il s’agit ici de mettre en exergue qu’il peut y avoir des « bénéfices collatéraux » à une certaine forme de dé-mondialisation du commerce mondiale motivée par les aspects écologiques. Il s’agit pas de justifier ce choix par ces conséquences mais juste d’éclairer le chemin en prévision de ceux qui ne cesseront de l’assombrir avec des visions et prospectives négatives et paralysantes. Au final, je suis persuadé qu’il y a autant de raison de s’enthousiasmer sur ce monde à récréer qu’à suivre notre chemin actuel, la tête basse, portant sur nos épaules la culpabilité de laisser à nos enfants un monde bien moins propice au bonheur que celui que nous avons connu. Et il me semble important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un projet de décroissance. En effet, si les décisions envisagées auraient pour conséquence une baisse de la quantité de certains biens et services accessibles pour un même revenu, et donc quelque part une certaine « régression » matériel global par rapport à une consommation de masse développée ces dernières années, le projet ne consiste pas à prôner une moindre activité des citoyens, ni une diminution des échanges économiques. Cette différence me semble fondamentale, car si la réflexion sur la consommation de masse et la course à la croissance associée me semble pertinente, l’évolution des mentalités que suppose sa remise en cause en tant que tel ne va pas faire consensus en quelques années. Or nous devons changer en quelques années. Et de plus, même si je suis sensible à ces réflexions, j’ai toujours eu une certaine sensation déprimante lors que je lis des propositions qui portent la décroissance comme objectif en tant que tel, car cela me donne l‘impression que l’on veut reprocher à l’homme de faire, de créer, d’avoir des projets, de s’investir, d’échanger. Or il me semble que c’est l’essence de la vie des femmes et des hommes. Je sais que je caricature gravement ici la proposition décroissante, et j’entends bien qu’il y a plein de manière enthousiasmante de s’investir sans engendrer des échanges économiques, mais je ne peux m’empêcher parfois d’avoir cette perception de cette proposition. Et donc de supposer que d’autres l’ont. Ainsi la proposition décroissante me semble à ce jour plutôt être de nature à diviser qu’à rassembler. Avec, d’un côté les citoyens mobilisés par la recherche de l’activité économique, de l’autre côté ceux qui veulent prendre le contre pied de cette motivation. Or notre société a besoin et a intérêt à avoir en son sein une diversité des actes et des motivations.
Et bien entendu, cette relocalisation ne serait en rien un repli sur soi, mais cela tout le monde l’aura compris. On parle ici uniquement de la mondialisation des moyens de production des biens et services. On ne parle en aucun cas des échanges culturels entre les peuples que l’on peut espérer toujours aussi nombreux à l’avenir. Et ne me dites qu’une réduction drastique des mobilités internationales empêcherait d’avoir des échanges avec le reste du monde. Au contraire si nous limitions nos voyages dans des contrées lointaines, à quelques voyages dans notre vie mais de longue durée, via des transport doux, nous prendrions le temps d’avoir une véritable perméabilité des cultures au lieu des pratiques consuméristes d’une certaine forme de tourisme constituée de séjours de courte durée dans des lieux artificiels situés à l’autre bout de la planète. Et il me parait également nécessaire de souligner que si la conséquence des choix envisagés est surement une relocalisation des activités, le « localisme » n’est pas le moteur de notre motivation. Le but n’est pas de rester entre nous, d’acheter entre nous, de diaboliser le « made in china ». Le but est bien de diminuer le nombre de molécules nocives rejetés dans l’environnement. Cette moindre mondialisation des moyens de productions, et cette moindre disponibilité du transport, n’affectera en rien notre propension aux échanges bénéfiques avec le reste du monde. Au contraire, un monde plus modeste sur le plan des facilités matériels, mais apaisé car ayant réussi à maintenir l’équilibre écologique de la planète, serait beaucoup plus propice à des échanges vertueux entre les peuples que la situation actuelle qui, on le voit, crispe de plus en plus les relations internationales. Quant aux opportunités de développement qui seraient perdues par les pays émergeants si une telle posture venait à se généraliser au sein des pays riches, il convient tout d’abord de souligner la perversité de cet argument qui sous couvert de solidarité justifie l’exploitation de la misère du monde, l’existence de conditions de travail pour produire ce que nous achetons que l’on ne tolérerait pas au sein de notre communauté. Mais il faut également rappeler qu’il y a de nombreuses façons d’aider au développement qui pourraient être plus efficace et beaucoup plus digne, comme notamment le partage du savoir, des connaissances, des brevets au nom du fait que toutes les inventions sont le résultat des contributions de l’humanité entière. Bien entendu cela ne suffira pas, il y a surement un traitement financier important et peut être également une part des remboursements de dette dont profitent les pays riches sur lesquels il faudrait revenir. Je n’ai rien d’original à proposer sur ce plan, mais je reste persuadé qu’un développement équilibré de la planète est indispensable à la sérénité que nous cherchons tous. On observe la mondialisation libérale effrénée depuis assez longtemps pour s’autoriser un bilan négatif sur la stabilité internationale et la sérénité des relations entre les peuples qu’elle engendre. Et sur ce sujet je suis assez sidéré du peu de place que prennent désormais les réflexions sur la dette, ou sur l’aide au développement même si cette notion doit être fortement réactualisée. Je suis persuadé qu’une fois les principales peurs occidentales quelque peu apaisées, qu’une fois le principe d’une moindre compétition internationale entré dans la tête des citoyens des pays riches, ces derniers pourront à nouveau remettre sur la table la volonté de partage des richesses indûment captées au reste du monde via les armes, l’esclavage et le pillage des ressources. Je suis loin de dire que c’est simple, mais je pense que cette préoccupation est aujourd’hui insignifiante, alors qu’elle me semble indissociable d’un projet humaniste et de toute façon la seule façon de traiter durablement ce qui provoque des drames inhumains à nos frontières, et dans les mers qui nous entourent.
A l’inverse, je vois également un autre regard qui serait probablement opposé à une telle proposition. C’est celui de l’éventuel impact géopolitique ou pour le dire plus simplement d’une éventuelle perte de « puissance » relative du pays ou groupement de pays qui prendrait une telle orientation vis-à-vis du reste du monde. Cette vieille pulsion humaine qui depuis la nuit des temps agite les neurones de l’homo sapiens dans le sens de la domination plutôt que de la solidarité. En effet, il est évident que nous n’aurons pas dès demain un consensus mondial sur un tel changement. Pire, certains pays et pas des moindres élisent ou ont élu dans un passé récent des présidents qui n’ont absolument aucun scrupule à revendiquer leur indifférence totale concernant les conditions environnementales que nous léguerons à nos enfants. Sur ce plan là il me semble tout d’abord qu’il faut émettre une petite réserve sur le lien automatique que certains pourraient prédire entre l’évolution décrite ici et une perte de puissance relative du pays qui initierait cette trajectoire par rapport à d’autre qui n’auraient pas encore pris le même chemin. Mais admettons. Là n’est pas ma principale argumentation. Dans l’absolue, je me fous totalement du PIB ou de la productivité de mon pays vis-à-vis des autres. Mais il faudrait aussi être un peu malhonnête de ne pas reconnaitre que je suis rassuré de vivre au sein d’une puissance économique qui nous permet une certaine autonomie pensée, qui nous permet de ne pas être à la merci de velléité de pays aux tendances populistes dont on n’arrive pas à voir vraiment les limites de leur bienveillance vis-à-vis du reste du monde. Moi comme vous je suppose, je n’ai pas très envie de sentir mon pays moins « puissant » vis-à-vis d’un Poutine ou d’un Trump. Mais une fois que l’on a admit que cet aspect est un sujet, il faut ramener notre proposition à ce qu’elle est : la proposition que je tente de décrire ici ne peut s’entendre que comme l’initialisation d’un processus qui n’a de sens que s’il est au bout du compte mondialisé. Les évolutions envisagées ici pour limiter l’impact environnemental de nos activés notamment en ce qui concerne l’effet de serre n’ont absolument aucun sens si elles sont appliquées à l’échelle d’un seul pays. Donc il est clair que cette proposition s’entend comme une initiative sur une échelle démocratique qui aurait réussi à réunir le consensus nécessaire au sein de sa propre population, mais qu’elle est en fait une interpellation du reste du monde pour qu’il en fasse autant. Je suis assez optimiste avec ce processus. En effet, je ne peux m’imaginer que certains pays commencent à mettre en œuvre une orientation écologique, honnête et cohérente au point d’assumer de perdre un certain confort matériel, sans que les forces progressives du monde entier imposent rapidement un changement équivalent à leurs dirigeants. Prétendre le contraire reviendrait à affirmer que nous serions les seuls à nous préoccuper du sort de nos enfants. Dans tous les cas, oui en quelque sorte c’est un pari pris sur l’homme. Mais au final, n’est-ce pas cela être humaniste ? Si on est persuadé que les forces de l’égoïsme gagneront toujours on tombe dans un cynisme absolu. Pour ma part je ne peux me satisfaire de cela. Et je me demande si le recours à cette rhétorique de l’égoïsme des hommes n’est pas utilisée uniquement à dessein d’excuser son propre égoïsme. Dans tous les cas je ne me vois pas dire à mes enfants que nous n’avons rien tenté car nous n’étions pas sûrs que les autres suivraient.
Enfin, deux points de stratégie qui me semblent importants pour permettre le consensus national autour du changement envisagé et ne pas, une fois de plus, atomiser nos bonnes volontés. Le premier point est d’éviter de tomber dans le piège qui consisterait à nous écharper dans des débats interminables concernant des sujets d’usages, de comportements, d’alternatives à privilégier ou non, de technologie à condamner ou non. Il faut à mon sens que la proposition se contente de cibler des interdictions ou des dissuasions à la source, basées uniquement sur les impacts environnementaux que l’on doit indiscutablement voir disparaitre. Avant d’évoquer toutes les possibilités d’orientation par secteur, par usage comme l’a très bien fait la convention citoyenne, il faut tout d’abord nous mettre d’accord globalement sur ce qu’on interdit / dissuade et de choisir d’en assumer les conséquences. Le deuxième point consisterait à ne pas mélanger cette proposition avec d’autres revendications qui pourraient être clivantes. Je pense notamment aux attentes de ceux qui aspireraient à un volontarisme plus marqué de l’Etat sur l’homogénéité sociale du pays. En effet, la redistribution associée décrite ici se contente de cibler uniquement un maintien du niveau de vie des plus modestes car ce principe semble faire consensus au sein de notre pays si on en croit les réactions rapportées au moment du conflit de Gilets jaunes. Là aussi, dans l’optique de créer un consensus important autour du changement proposé afin de permettre sa mise en œuvre, l’idée serait de ne pas y associer des revendications d’une gauche ou de milieu militant plus volontaires sur le terrain social, ce qui pourrait faire fuir du consensus ceux qui ne voient pas ces intentions d’un bon œil. Il faut séparer les combats. Il faut à mon sens réduire la proposition à quelque chose de cohérent pour éviter de donner des excuses à ceux qui en chercheraient pour éviter le changement.
Il s’agit bien dans ce projet d’entériner les « décisions mères » qui donnent le contexte à partir duquel on peut commencer à dessiner les feuilles de route du monde d’après. Une fois le cadre défini, on pourra se mettre au travail pour chercher des alternatives, les autres façons de faire, le monde économique prendra en compte cette nouvelle donne dans laquelle il devra évoluer. Typiquement une présidentielle me semblerait être le lieu de décisions comme celles que je propose ici. La vie parlementaire, des conventions citoyennes, des orientations régionales, municipales, toutes les initiatives citoyennes et toutes les nouvelles orientations / décisions du monde économique devraient ensuite permettre le fourmillement de propositions et d’investissements indispensables à l’émergence des meilleures solutions alternatives et l’implication de tous à tous les niveaux pour rebondir sur ces contrainte. Les propositions présentées ici ne sont pas suffisantes mais elles sont nécessaires pour entériner le nouveau paradigme dans lequel nous pourrons évoluer.
Je sais que cela peut paraitre paradoxal de croire qu’un tel projet pourrait séduire en s’appuyant sur des taxes, des interdictions même accompagnées de redistribution, et surtout associé à un discours de vérité sur l’ampleur du changement que cela représente. Mais va-t-on continuer longtemps à dire qu’il faut changer les choses… sans rien envisager de changer ? Et si cette sincérité était ce qui permettrait de ramener vers la république tous les citoyens qui ne demandent aujourd’hui qu’à en découdre avec notre démocratie ?
Alors oui je rêve qu’un collectif prenne cette orientation. S’il existe je serais ravi de le rejoindre.