
À Budapest, l’Histoire hésite entre deux chemins : celui d’un fragile rééquilibrage du pouvoir mondial, ou celui d’un basculement vers une nouvelle ère de confrontation. Ce qui se prépare dans la capitale hongroise dépasse de loin la diplomatie ordinaire. C’est une tentative, peut-être désespérée, de redessiner les lignes rouges de la sécurité globale — hors du cadre multilatéral, dans un face-à-face où les empires se parlent à voix basse et les autres écoutent.
Deux heures et demie. C’est la durée de l’entretien téléphonique entre Donald Trump et Vladimir Poutine, le 16 octobre — leur huitième contact direct depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche. Et déjà, les deux hommes se préparent à se revoir, cette fois à Budapest, sur proposition de Trump. Poutine a accepté aussitôt.
Le symbole est saisissant
Pour la première fois depuis des années, le président russe posera le pied dans une capitale de l’Union européenne et de l’OTAN — mais une capitale qui, discrètement, s’écarte de l’orthodoxie bruxelloise.
Pour Viktor Orbán, c’est un coup diplomatique magistral : accueillir deux des dirigeants les plus puissants du monde et placer Budapest au centre de l’échiquier mondial.
Pour Poutine, c’est un retour en Europe sans capitulation. Pour Trump, une nouvelle manœuvre dans sa tentative de remodeler l’ordre international à sa façon.
Les prochaines semaines diront si Trump et Poutine écrivent le scénario de la paix… ou s’ils préparent le monde à son prochain séisme géopolitique
Le calendrier n’a rien d’un hasard. Ce marathon téléphonique s’est tenu à la veille de la visite de Volodymyr Zelensky à Washington. Tandis que Kyiv supplie pour obtenir davantage d’armes, Washington et Moscou préparent déjà leur prochaine poignée de main.
Les deux camps ont parlé d’une conversation « très productive ».
Derrière cette formule polie se cache pourtant un agenda périlleux. Le sujet central : la possible livraison de missiles Tomahawk à l’Ukraine. Avec une portée de 2 500 kilomètres, ces armes placeraient Moscou à portée de tir. Pour le Kremlin, c’est une ligne rouge.
On peut s’attendre à ce que Poutine déploie sa diplomatie habituelle, mélange de menaces et de promesses : des avertissements de représailles directes accompagnés d’un discours sur la paix. Trump, flairant un nouveau « deal du siècle », prétendra pouvoir mettre fin à le conflit grâce à une « compréhension mutuelle ».
Mais il ne s’agit pas seulement d’une discussion tactique sur l’Ukraine. Ce sommet pourrait redéfinir l’architecture même de la sécurité mondiale.
Deux scénarios se dessinent
Le scénario optimiste : un accord pragmatique — Washington gèle les ambitions ukrainiennes en matière de missiles, Moscou stoppe ses offensives, et un premier pas vers la paix est franchi. Trump apparaîtrait alors en artisan de la paix ; Poutine, en vainqueur ayant contraint l’Amérique à revenir à la table des négociations.
Le scénario sombre : l’échec des pourparlers et une escalade de le conflit — avec, à la clé, un déploiement d’armes nucléaires plus proche des frontières américaines ou des attaques contre les satellites des États-Unis.
Si Budapest échoue, le monde entrera dans une phase de confrontation encore plus dangereuse.
Pourquoi Budapest ?
Parce que c’est la seule capitale européenne en qui les deux dirigeants ont confiance. La Hongrie s’est retirée de la Cour pénale internationale, échappant ainsi au mandat d’arrêt qui plane sur Poutine.
Isolé au sein de l’Union européenne, Viktor Orbán a besoin de cette mise en scène diplomatique avant les élections difficiles du printemps prochain. Accueillir Trump et Poutine lui offre exactement ce qu’il recherche : du prestige, de la visibilité et une nouvelle marge de manœuvre.
Qu’elle se conclue par une percée ou un fiasco, une chose est sûre : l’Europe n’est plus l’arène — elle est devenue le public.
La véritable scène se joue désormais entre Washington, Moscou et Budapest.
Les prochaines semaines diront si Trump et Poutine écrivent le scénario de la paix… ou s’ils préparent le monde à son prochain séisme géopolitique.
Et l’Europe dans tout cela ?
Face à ce tête-à-tête des puissances, l’Europe semble condamnée à l’impuissance. Prisonnière de ses divisions internes et de sa dépendance stratégique aux États-Unis, elle n’a plus de voix propre dans la recomposition de la sécurité mondiale et de sa propre région.
Pourtant, c’est précisément dans ces moments d’incertitude que se joue son avenir géopolitique. Si l’Union Européenne veut éviter de devenir le simple décor des ambitions des autres, elle devra renouer avec la logique de puissance — non pas militaire seulement, mais diplomatique, normative et industrielle. Le défi pour Bruxelles sera de redevenir sujet de l’Histoire, et non pas seulement son témoin.