Le Groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes (SAGO) de l’Organisation mondiale de la santé vient d’ouvrir les candidatures pour son second mandat. À peine six semaines plus tôt, il publiait ce qui devait être une conclusion décisive : le poids des preuves disponibles indique que le SARS-CoV-2 est très probablement issu d’un débordement naturel depuis les chauves-souris, directement ou par l’intermédiaire d’un hôte.
Cette conclusion, fondée sur des études évaluées par des pairs, un travail de terrain épidémiologique et un examen minutieux de l’ensemble des données disponibles, aurait dû marquer le moment où la tension politique laissait place au consensus scientifique. Au contraire, elle a déclenché l’effet inverse dans certains cercles politiques, notamment à Washington, où une partie de l’establishment américain persiste à promouvoir l’hypothèse d’une « fuite de laboratoire », transformant une question de virologie en arme politique.
Ce n’est pas une querelle académique sur des probabilités : c’est un nouvel épisode d’une campagne visant à réinjecter la politique dans un processus scientifique que le SAGO, dès sa conception, cherchait à protéger des agendas partisans. Et l’enjeu dépasse de loin notre seule compréhension du COVID-19 : il concerne la crédibilité même de la gouvernance sanitaire mondiale.
Un mandat pour dépolitiser la recherche
Créé en 2021, le SAGO devait fournir un cadre mondial pour enquêter sur l’origine des pathogènes — à commencer par le COVID-19 — dans un climat de tensions diplomatiques. Ses 27 experts, allant des virologues aux épidémiologistes, en passant par des vétérinaires et spécialistes de santé publique, doivent déclarer affiliations et financements afin de préserver leur indépendance.
La mission, rappelée par Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, est simple dans son principe mais ardue dans sa mise en œuvre : « Ramener le débat sur le terrain scientifique » car la politisation des origines du virus « met le monde entier en danger ».
Pourtant, aux États-Unis, cette neutralité est remise en cause. En 2024, une commission du Congrès à majorité républicaine a déclaré que le COVID-19 était « très probablement » issu d’un accident de laboratoire à Wuhan — une conclusion reprise, avec « faible confiance », par certains services de renseignement.
Sous la deuxième présidence de Donald Trump, les États-Unis se sont de nouveau engagés sur la voie d’un retrait de l’OMS — prévu pour 2026 — et ont gelé leur participation aux négociations sur un nouvel Accord sur les pandémies. Parallèlement, l’exécutif a accru son contrôle politique sur les universités et centres de recherche, alimentant une fuite des cerveaux vers l’Europe et la Chine, où certaines disciplines sont désormais moins contraintes par les pressions politiques.
Les dangers d’une science politisée
Le débat scientifique vit de la contestation argumentée, appuyée sur des preuves. Ce qu’il ne peut supporter, c’est l’exigence d’aligner les conclusions sur un récit politique prédéterminé.
Le SAGO maintient « toutes les hypothèses sur la table », y compris celle de la fuite de laboratoire, mais les hiérarchise selon la solidité des preuves. Cette neutralité scientifique n’est pas un luxe : c’est le socle d’une politique sanitaire mondiale efficace.
L’approche dite « Une seule santé » — qui relie santé humaine, animale et environnementale pour prévenir les pandémies — repose sur la capacité à construire un consensus fondé sur les données. Si les grandes puissances rejettent ou sapent ce processus au nom de calculs politiques internes, elles brisent la coopération indispensable pour se préparer à la prochaine crise sanitaire.
Le second mandat du SAGO sera un test de crédibilité pour l’OMS : transparence dans la sélection de ses membres, publication des sources de financement, ouverture des méthodes à l’examen public. Et la question cruciale : saura-t-elle résister aux pressions, qu’elles viennent de Washington, de Pékin ou d’ailleurs ?
Le coût global de l’instrumentalisation de la science
La bataille sur les origines du COVID-19 s’inscrit dans un phénomène plus large : l’effacement des frontières entre science et politique. Du climat à l’intelligence artificielle, en passant par la santé publique, la recherche est trop souvent évaluée à l’aune de son utilité politique plutôt que de sa rigueur empirique.
Lorsque l’ingérence idéologique devient routinière, deux pertes s’additionnent. La première est scientifique : les recherches se déforment, se retardent ou perdent leur crédibilité. La seconde est politique : les dirigeants prennent des décisions sur la base de faits filtrés, ce qui accroît le risque d’erreurs majeures. Les États-Unis, longtemps leaders incontestés de la recherche biomédicale, courent aujourd’hui le risque de subir ces deux pertes simultanément.
L’avertissement de Tedros mérite d’être répété : politiser la recherche sur l’origine des pathogènes n’est pas un jeu rhétorique inoffensif. C’est un obstacle à la vérité et, en santé publique, l’ignorance est dangereuse.
Si le SAGO peut travailler sans interférence politique, il pourra fournir les connaissances nécessaires pour prévenir la prochaine pandémie. Sinon, nous resterons prisonniers d’un cycle où la science sert la politique plutôt que l’humanité.
En santé mondiale, la vérité n’est pas partisane. C’est la preuve. Et elle mérite d’être défendue avec autant de détermination que nos frontières.