Richard B

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 décembre 2025

Richard B

Abonné·e de Mediapart

Bugonia - critique de film

Ca partait pourtant bien...

Richard B

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bugonia est une grosse arnaque.

Bugonia voudrait se faire passer pour un film intelligent, et ne l'est pas.

Vraiment dommage. Nous avons grand besoin de films intelligents. Et Pauvres créatures m'a laissé un excellent souvenir (je n'ai pas vu d'autres films de Yorgos Lanthimos/Emma Stone), celui d'un film riche, fin, aux dialogues ciselés comme de la dentelle. Mais là, non.

Je rappelle le principe de base du film : deux cousins, losers conspirationnistes, Teddy et Donny Gatz, enlèvent Michelle Fuller, PDG d'une firme anti-écologique (pharmaceutique ? pas très clair), et la séquestrent au sous sol. Pourquoi ? Parce qu'ils sont persuadés qu'elle est une Andromédienne, une extraterrestre infiltrée sur Terre pour flinguer l'humanité de l'intérieur en la menant à sa perte par la destruction environnementale, le contrôle mental par le réseau 5G, etc. Par conséquent, dans leur logique, ils veulent entrer en négociation avec les Andromédiens par l'intermédiaire de Michelle Fuller. Et ils sont convaincus de leur principe de base, que les Andromédiens contrôlent secrètement l'humanité, dur comme fer. La logique ne les atteindra pas.

Impossible d'aller loin dans la discussion sur Bugonia sans spoiler, donc pour commencer : bien filmé, belles images, excellents acteurs, beaucoup de détails riches de signification, des personnages fondamentalement intéressants, riches et cohérents... jusqu'aux twists du moins.

Par contre : rythme pas toujours assez tendu, beaucoup de dialogues pas toujours naturels (et de messages lourdingues), l'affrontement idéologique est beaucoup moins intéressant qu'il n'en a l'air, et surtout, les twists niquent tout.

Le début marche franchement bien : la découverte de chaque personnage dans leur vie quotidienne, en miroir, leur façon d'être, leurs habitudes, leurs relations avec les autres, une foultitude de détails qui en révèlent beaucoup sur leurs personnalités. Bon travail jusque-là.

Puis l'enlèvement et le début de la séquestration. Encore une fois, bon travail. Les cousins réussissent à choper Michelle Fuller, plus par chance que par talent, et ils la rasent et l'installent dans leur sous-sol pour entamer les "négociations". Et là on entre dans le dur, et c'est brillant. Les cousins sont fanatiques, ils ne doutent pas (Teddy est plus solide que Donny, cependant), mais face à eux Michelle Fuller réagit en personne d'autorité qui, probablement, a suivi des formations sur les situations d'enlèvement qui sont un risque réel pour une personne de son importance et de sa visibilité. Elle a du media training derrière elle, elle a le caractère pour gérer une entreprise et ça se sent. D'un autre côté, elle est aussi complètement déconnectée de la réalité comme une PDG à haut profil peut l'être, et à un niveau très profond, elle ne comprend pas des gens comme Teddy et Donny Gatz, sans éducation, hors du système, accrochés à leur fanatisme sans lequel ils seraient complètement paumés. L'enlèvement, c'est leur moyen de se battre contre un monde qui ne leur a fait aucun cadeau, une tentative désespérée et radicale de reprendre un peu de contrôle sur leur existence. Michelle Fuller ne peut pas comprendre cela, elle qui a tellement de contrôle sur son monde, elle qui est si crainte qu'elle n'arrive même plus à obtenir des réactions naturelles de ses subordonnés.

Ils ont si peu en commun, c'est comme si elle était vraiment une extraterrestre.

Et très vite, le sérieux de la situation rattrape Michelle Fuller, et elle comprend qu'elle n'est pas intouchable, pas invulnérable, réellement à la merci de ces deux conspirationnistes pas très stables et réellement dangereux. Elle s'accroche, elle continue d'essayer ses méthodes, mais elle a peur, elle est humaine après tout. Et les cousins se ferment à ses souffrances évidentes et semblent soudain moins humains – bien que, d'un autre côté, leurs propres souffrances passées, leurs propres traumas, la vie de merde qu'ils ont eue les fait bénéficier d'un peu de mon empathie. Empathie des deux côtés, donc, mais impossible que ça se finisse bien pour tout le monde...

Jusque-là, très, très bien. Excellente tension dramatique, je voulais savoir comment ça allait finir, j'étais investi dans le sort de tous les personnages. Pas d'incohérence, gros enjeux. Parfait.

Et maintenant le cœur du problème, et les gros spoilers.

Ici, je m'arrête après la torture de Michelle Fuller à la gégène, et le suicide de Donny après qu'elle l'ait convaincu de, eh bien, elle s'attendait à autre chose. Et c'est l'avant-dernier moment où le film est bon : un twist parfaitement cohérent et bien préparé vu le personnage de Donny, mais que je n'ai pas vu venir. Chapeau bas.

Et juste après, Michelle Fuller arrive à convaincre Teddy Gatz d'injecter du refroidissant pour voiture à sa mère comateuse, en lui faisant croire qu'elle est bien une extraterrestre, que son espèce empoisonne bien l'humanité mais qu'elle a le remède dans son coffre de voiture... Et Teddy Gatz marche, et tue sa propre mère... Brillant. Toujours parfait. Les acteurs se surpassent pour nous vendre le truc, et ça marche à fond.

Malheureusement, c'est aussi le début des emmerdes.

En gros, il y a deux twists, deux grosses révélations, et chacune pose des problèmes.

La première révélation, c'est qu'en fouillant, Michelle Fuller se rend compte que Teddy Gatz est en fait un serial killer qui a déjà tué et disséqué plusieurs personnes, persuadés qu'il tuait des Andromédiens infiltrés. En fait, il est persuadé que ses dissections lui ont permis de détecter deux Andromédiens (ce qui signifie que ses autres victimes étaient bien humaines, donc, et il l'a reconnu lui-même après les faits et a continué quand même).

Et là, les problèmes commencent. Tout le début du film nous a montré un loser, certes fanatique, mais bouffon. Son entraînement en particulier ressemble à une parodie, infoutu d'aligner dix pompes, massivement incompétent. La scène de l'enlèvement est une comédie de multiples erreurs, où Teddy ne réussit que sur un coup de bol, après de longs moments de merdouillage. Il est clairement établi qu'il se bat comme un pied et n'a aucune notion de comment réussir une embuscade ni un kidnapping, il n'a que la chance du débutant. Il garde même la voiture de Michelle Fuller, qui a probablement un GPS, devant chez lui !

Incohérent avec un serial killer qui n'en serait pas à sa première victime, ni même à sa cinquième.

Même le Teddy Gatz que l'on voit ensuite ressemble à un type dépassé par les événements, qui improvise et perd son sang-froid. Pas du tout un tueur qui aurait l'expérience de gérer des crimes extrêmes.

Donc déjà, le film est mort. Foutu. Mais il y a plus.

Michelle Fuller arrive à embrouiller Teddy Gatz un peu plus. Elle lui sort un grand laius selon lequel les Andromédiens auraient créé l'humanité, mais l'humanité est défectueuse, et si les Andromédiens l'influencent en secret c'est pour essayer de la sauver, mais les humains sont acharnés à s'autodétruire et à flinguer leur environnement malgré les meilleurs efforts des Andromédiens... Puis elle le convainc de l'emmener à son bureau, où se trouve son téléporteur vers son vaisseau spatial. Logique, puisqu'elle est Andromédienne. Et elle a caché son téléporteur dans son dressing personnel. Logique. En tout cas Teddy Gatz marche à fond. Il s'est bardé d'explosifs, c'est un mec futé, mais il croit à l'histoire du téléporteur dans le placard. Et il entre dans le placard, et il explose. Boum.

Détail comique, sa tête vole et assomme Michelle Fuller, qui se réveille dans l'ambulance. Mais elle s'échappe ! Elle boîte jusqu'à son bureau (Teddy lui a pété le genou plus tôt, osef), rentre dans son dressing, et se téléporte...

Et là, re-twist ! Elle était bien une Andromédienne, et tout ce qu'elle a dit est vrai, y compris son téléporteur dans le placard !

Alors les Andromédiens, c'est des humains dans des sortes de pullovers intégraux, dans un décor que Roger Corman trouverait fauché et pas crédible. Vu le budget du film, pas miséreux quand même, ça se justifie difficilement, sauf par une volonté assumée de se foutre de la gueule du spectateur.

D'où le deuxième problème : tout comme Teddy Gatz, kidnappeur paumé qui s'avère en fait être un tueur chevronné, Michelle Fuller était en fait... l'impératrice des Andromédiens !

Sauf que le début du film faisait un super boulot de nous la présenter comme une PDG pugnace, combative, mais aussi vulnérable, déconnectée du monde réel et dépassée par la gravité de sa situation. Pas tout à fait la même personnalité, donc. C'est un souci.

Plus embêtant, Michelle-Fuller-la-PDG était une pure anti-écologiste, cynique, patronne tyrannique, qui menait des expérimentations plus que douteuses sur des êtres humains et se foutait complètement du sort de l'humanité (il suffit de voir sa voiture, c'est la bagnole de quelqu'un qui tue des bébés phoques). Et nous l'avons vue dans l'intimité de cette fameuse voiture, donc supposément, au naturel. Par contre l'impératrice des Andromédiens est une bénéfactrice de l'humanité qui essayait de lutter contre la destruction de l'environnement.

Gros, gros foutage de gueule, là.

Ce n'est même pas la fin. La fin, c'est que l'impératrice des Andromédiens décide de renoncer à l'humanité, et de tous les tuer pour sauver la Terre. Ce qu'elle fait, d'un geste symbolique. Et les cinq dernières minutes du film, c'est un montage de charniers, pour nous montrer que tous les humains sont morts, au boulot, à la mosquée, sur la route, sur la mer, au restau, partout des morts, des montagnes de cadavres, finie l'humanité, adios, c'était la seule solution, on doit tous crever. Le tout sur une chanson de Marlène Dietrich avec notamment les paroles "Will they ever learn" – subtil.

Un point positif cependant : seule l'humanité subit le châtiment andromédien. Les chats, officiellement, survivent.

J'ai peu parlé de l'affrontement idéologique entre Michelle Fuller et Teddy Gatz, parce qu'il est plaqué, superficiel et peu naturel. Lanthimos donne Teddy Gatz comme un écolo fumeux, débile, qui ne comprend rien mais qui se désespère devant le désastre écologique en cours. Inversement, il plante Michelle Fuller en patronne sans morale, sans empathie, crainte par ses employés, rompue à la langue de bois, qui roule dans la pire bagnole du monde, et cache sous le tapis les victimes humaines des expériences de sa compagnie.

Dit comme ça, le twist qu'en fait Michelle Fuller/l'impératrice était en fait une militante écolo qui se cachait devrait produire un contraste saisissant. Sauf que... Pas vraiment. Parce que tous les discours sur les motivations idéologiques supposées des personnages sonnent faux, verbeux, creux. Ce qui a plus de substance, ce sont les horribles tragédies que Teddy Gatz a subies (sa mère, l'abus sexuel du flic dans son enfance), c'est dans ce côté humain que se trouve la partie la plus crédible de ses motivations, son besoin désespéré de reprendre et de garder le contrôle, de ne plus subir, d'être le héros de sa propre histoire alors même qu'il ne comprend pas grand-chose. Une vérité émotionnelle. Son idéologie, bien que sincère, est aussi une fuite en avant. En-dessous, ses motivations sont bien plus humaines. C'est ce qui marche, mais pas complètement, à cause de tout le blabla assez prétentieux et finalement vain qui encombre le film.

Bref... jusqu'à la mort de la mère de Teddy Gatz, film impeccable quoique bavard et encombré par son message. Après, effondrement calamiteux de toute cohérence et discours nihiliste à la con.

Après Pauvres créatures, je m'étais promis de suivre Yorgos Lanthimos et Emma Stone. Là, je ne suis plus si sûr.

Vraiment dommage.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.