Elizabeth Sparkle ne s’aime pas.
Il faut ne pas s’aimer pour s’infliger tout ça.
Reprenons. The Substance, c’est donc l’histoire d’Elisabeth Sparkle, actrice has-been cramponnée à son dernier morceau de gloire, son émission d’aérobic (comme d’autres actrices déclinantes réelles, de Jane Fonda à Heather Locklear – mauvais signe pour une carrière en général). Ternie, l’étoile sur le Walk of Fame. Et bien sûr, pour ses 50 ans, son producteur lui arrache cette émission, ce dernier lambeau de présence à Hollywood, et la renvoie à la solitude de son appartement luxueux et terriblement vide.
Sans avoir été capable de lui dire en face. Mais avec un panier de fruits de remerciements. La classe.
Et Elisabeth n’est pas capable de vivre seule. De vivre pour elle-même. Elle n’a jamais existé que pour le regard des autres, et elle ne sait pas y renoncer. A 50 ans, elle est riche, belle (c’est fucking Demi Moore merde !) mais périmée pour Hollywood. Elle ne sait rien faire d’autre, elle ne veut rien faire d’autre, c’est donc une proie toute désignée pour une certaine offre.
On n’apprendra jamais rien sur les agents derrière The Substance. On ne les verra pas, on n’aura qu’une voix au téléphone, qui énonce des règles et se retranche dans une apparente impartialité (et un petit chantage émotionnel aussi parfois). L’homme qui recrute Elisabeth, appartement témoin vivant, est également un client et aussi un menteur. Mais ça viendra plus tard. Pour l’instant, tout ce que voit Elisabeth est l’offre : une nouvelle elle-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite. Elle accepte.
Elle devient 503. Elle s’abaisse, littéralement, pour franchir une porte inquiétante dans un recoin minable. Il n’est jamais question d’argent dans tout le film, mais Elisabeth paie en humiliation. Jamais elle ne se rebellera.
Ce qu’elle y gagne, c’est le kit Ikea de Dorian Gray. Enfin non, il y a des mots, mais le minimum. The Substance est aussi user-friendly qu’un smartphone. Aussi trompeusement simple à mettre en œuvre. Aussi facile d’ignorer les implications et les complications, aussi. Enfin, il faut bien fouiller un peu la chair et planter quelques aiguilles, mais la jeunesse et la beauté se paient. Tout ça est un peu dégoûtant quand même.
Résultat de ces manipulations : la glorieuse, glamoureuse Sue. Oui glamoureuse est un mot. La beauté ne suffit pas, sinon Elisabeth, nue devant son miroir, se serait arrêtée là : elle est déjà belle (c’est fucking Demi Moore, même à 62 ans, elle garde un corps injustement beau). Il en faut plus, il faut du glamour (initialement, le mot signifie magie ou illusion). Et, nue devant son miroir, Sue dépasse la beauté ; elle atteint la perfection artificielle des photos photoshopées, des stars maquillées et cadrées pour des images que la réalité ne pourrait jamais fournir.
Sue est jeune et sexuelle, aussi. Ca fait partie du glamour. Plus précisément, ça fait partie de la marchandise que Hollywood fourgue au monde entier.
J’ai appris après le film que Margaret Qualley a reçu des prothèses pour accentuer ses courbes naturelles (c’est une danseuse exceptionnelle, que je connaissais déjà pour le clip de Kenzo, et les danseurs ont tendance à avoir du muscle, compact mais du muscle ; cela rend le corps beau, mais pas assez glamoureux apparemment, oui j’insiste avec ce mot). Donc Sue détruit la réalité, y compris celle de l’actrice qui la joue. Wow. Mieux vaut éviter de trop y réfléchir.
Le film aide à ne pas réfléchir : dès que Sue arrive à l’écran, la caméra pornographie tout. Jusqu’alors, la caméra focalisait sur des détails, mais pas du genre joli (voir Harvey manger des crevettes suscite certes des sensations, voire une fascination, mais plutôt dans le registre de l’écœurement ; le monde vu par Elisabeth écœure (ce qui fait mal, c’est que même Elisabeth écœure Elisabeth (et ça, avant que… n’anticipons pas))).
Maintenant, la caméra nous donne du Sue, sous toutes les coutures, voire à poil. Elle nous jette du Sue, elle nous fait bouffer du Sue. L’émission d’aérobic d’Elisabeth s’adressait réellement à des spectateurs qui voulaient faire un peu d’exercice ; celle de Sue, c’est juste du porno sous un prétexte. Personne ne pourrait suivre ses mouvements « sportifs », vu les cadrages lascifs, serrés, hachés (et quel gâchis d’une excellente danseuse). Si c’était le but de se bouger, ça se saurait. Non, Sue vend sa sensualité, pour rester poli.
Elle vend son cul, OK.
Et c’est son rêve. Sa destinée. Son épanouissement. Elle a tout sacrifié pour revenir à Hollywood, et elle ne regrette rien.
Elle laisse Elisabeth sur le carrelage blanc de la salle de bain sans arrière-pensée. Plus tard, elle construira une pièce secrète pour la reléguer un peu plus, pour ramener des amants dans une bulle de glamour où une femme de 50 ans perd le droit d’exister.
Réfléchissons une seconde. Elles ne font qu’une, martèle le film (You are one). Donc Elisabeth se relègue elle-même dans l’obscurité (littéralement) et se juge honteuse, inavouable, insortable.
Qu’elle s’aime peu. J’ai mal pour elle, et je sens que ça ne peut pas bien finir. Que je suis naïf. Je n’imagine pas encore.
Le principe est simple en apparence. Tous les 7 jours, l’original et la copie doivent échanger leurs places. Pendant ces 7 jours, la copie ponctionne une substance dans l’original, en ponction lombaire, pour se l’injecter (et c’est dégueulasse, comme tout le procédé qui produit et alimente le glamour de Sue). 7 jours pour Sue, 7 jours pour Elisabeth.
Ca ne dure pas longtemps. Bien sûr que Sue va abuser, refuser les limites, et tirer sur la corde (pour tirer un coup). Que se passe-t-il quand on enfreint les règles ? Eh bien la substance que Sue ponctionne à Elisabeth au-delà des 7 jours autorisés lui inflige une vieillesse accélérée. Et irréversible. Et dégueulasse.
Ca commence par un doigt. Apparemment, 1 jour de rab = 1 doigt. Elisabeth se retrouve avec un doigt difforme, desséché, pourri, hideux. Vieux.
Ca va encore. Un gant et on n’en parle plus. Pour d’autres, ce serait contrariant, mais pas la fin du monde. Pour Elisabeth, c’est atroce. Elle ne voit que ça. La caméra ne voit plus que ça. Elisabeth est déjà sujette à l’écœurement, là ça la touche dans sa chair, et ça la fout en rogne. Elle appelle le service technique de The Substance. La réponse ? On n’y peut rien, c’est irréversible, mais elle peut arrêter l’expérience, tuer son double et limiter la casse.
Elle devrait sans doute. Mais elle ne le fera que bien trop tard.
Au lieu de ça, elle entre en guerre avec Sue. Elle aussi oublie la règle fondamentale, You are one. Et comment riposte-t-elle ? En bouffant. Elle sait parfaitement l’effet que ça va produire. Sans que ce soit directement évoqué, elle a vécu en tant qu’actrice à Hollywood, ce qui suggère une vie de privations et de relations compliquées avec la nourriture. Et là, elle bâfre, et inflige son banquet à Sue.
(Et d’où lui vient l’idée de cuisiner ? de Harvey le producteur, tiens donc, qui a la délicate attention de lui offrir un livre sur la cuisine française. Ben oui, une femme qui ne sait pas quoi faire de ses journées, comment elle pourrait s’occuper ? (Pas très subtil, Coralie Fargeat. Mais on s’en fout, la subtilité est secondaire, ça reste bien vu (et il faut voir la caméra fixer jusqu’à l’écœurement, encore une fois, la recette de l’aligot de l’Aubrac ou d’une dinde au foie gras comme dans un film d’horreur)))
Elisabeth reproche à Sue de lui voler ce qu’il lui reste de jeunesse, Sue méprise et hait cette vieille femme inutile qui l’empêche d’exister en permanence et nuit à ses rêves de star.
You are one.
Tu te hais tellement. Ca ne peut pas bien finir.
Je n’ai plus la chronologie bien en tête, mais je crois que c’est par là qu’Elisabeth rencontre un vieillard. Un vieillard rabougri qu’elle ne reconnaît pas. Sauf qu’elle connaît sa copie, le beau gosse de la clinique qui lui a vendu The Substance. Et là, après l’appartement témoin, elle découvre l’original. Victime, comme elle, de l’égoïsme et des excès de sa copie.
D’original à original, il lui dit les seuls mots qui peuvent la sauver. Souviens-toi que toi aussi tu comptes, tu as une valeur. Et pendant un moment, j’ai voulu y croire. Croire qu’Elisabeth allait se ressaisir, essayer de s’aimer un peu.
Elle essaye. Un ancien camarade de classe lui a dit, au début du film, qu’il la trouvait belle. Elle s’en souvient. Elle l’appelle, lui file un rencart. Se sentir belle, désirée, c’est tout ce qu’elle veut.
Sauf qu’une tragédie, c’est inévitable. Inexorable. Déterminée par les défauts fatals du protagoniste. Elisabeth est une héroïne tragique. Elle s’auto-détruit. Elle voit la jeunesse de Sue tous les jours à sa fenêtre. Et là, pomponnée, elle rencontre un miroir. Pire, un miroir déformant, le bouton de sa porte. Et elle ne se sent plus belle. Alors elle refait son maquillage, et c’est pire. Et elle essaie encore et encore, et elle n’y arrive jamais. Elle se trouve moche. Elle ne comprend pas que ce qui compte, c’est que son rencart la trouve belle, et ça c’est acquis, mais elle a été une Sue, elle a une étoile sur le Walk of Fame, personne de réel ne peut être beau à ses yeux, et elle a beau être fucking Demi Moore, et avoir un rencart avec un homme qui la trouve déjà belle, elle ne se trouve pas belle.
Alors elle annule.
Comme chantait Téléphone, elle tue sa dernière chance.
Rien de tout cela n’est exactement subtil, en soi. Coralie Fargeat nous frotte le nez dessus. Et ça n’a aucune importance parce que c’est une histoire claire, puissante, assénée à coup de masse de démolition. C’est fascinant comme une tragédie peut l’être – un malheur que l’on voit venir de loin et que l’on ne peut pas éviter.
L’angoisse monte sourdement. Je souffre avec Elisabeth, et je devine qu’il y a encore bien pire à venir. Alors allons-y. Au bout de la tragédie.
Sue abuse. Et ça prend des proportions bien pires. Des semaines, des mois. Et pendant tout le temps que l’on passe avec Sue, la règle reste dans un coin de mon cerveau, lancinante : 1 jour de trop = 1 doigt. Alors que va-t-il se passer après tout ce temps ?
Ouais, c’est bien un film de body horror. Inutile d’en dire plus.
Et Sue n’en a jamais assez. Elle arrête complètement d’échanger les places, elle prend tout pour elle, elle trait le corps inconscient d’Elisabeth avec ces ponctions lombaires de l’enfer.
Et elle réussit. Elle a la carrière hollywoodienne dont elle rêvait. Elle vend son cul. Elle couche. Elle est désirée, belle, adorée. On la regarde, on la désire, elle existe.
Et ce serait facile de la haïr, parce que l’empathie va plutôt envers Elisabeth (parce qu’on la voit souffrir pendant que Sue reçoit tout ce qu’elle désire). Sauf que non. You are one. Sue est Elisabeth aussi. Un retour à la jeune Elisabeth, qui probablement se comportait exactement de la même manière pour faire carrière. Et maintenant Elisabeth devient victime de Sue, avec qui elle ne fait qu’un.
Sue ne souffre pas, ou guère. Elle n’inspire pas l’empathie. Sue est superficielle, égoïste, entièrement obsédée par la réussite à Hollywood. Sue est ingrate aussi, et n’hésite pas à afficher son mépris pour l’actrice périmée et has-been qu’est Elisabeth Sparkle. Sue est le genre de personne que, si on la connaissait un peu, on changerait de trottoir pour éviter.
Et elle ne fait qu’un avec Elisabeth. Ce qui ne l’empêche pas de traiter Elisabeth comme de la merde, dès le début.
Du début à la fin, Elisabeth se débat contre elle-même. En creux, ce qui n’apparaît pas, c’est un système. Hollywood, l’industrie des médias, exige tout de ses stars ; une détermination absolue à leur propre exploitation. Une volonté sans faille de tout sacrifier pour accéder à la gloire et à l’adulation. Un désir insatiable d’adulation, de célébrité, d’attention, d’amour du public. Une négation d’elles-mêmes qui les laisse exsangues, désœuvrées, incapables d’exister pour et par elles-mêmes quand l’âge vient les prendre et quand l’attention passe aux suivantes.
Un message peu subtil… mais intelligemment amené. Le film colle au point de vue d’Elisabeth, ou de Sue, et aucune des deux femmes ne se pose de question. Aucune ne remet en question le système auquel elles donnent tout. Jusqu’au final, toute réflexion à ce sujet doit venir des spectateurs, car le film ne donne que la subjectivité des personnages – leur tragique manque de recul, de conscience d’elles-mêmes. Le film nous impose la malheureuse subjectivité des personnages, nous l’inflige en pleine gueule.
Coralie Fargeat cogne dur. L’essentiel est clair, asséné par un cinéma brutal, et même cruel. Et puis l’intelligence se glisse dans dix mille détails, qui souvent se répondent et s’entrecroisent, et récompensent le spectateur attentif. Je pourrais revoir le film même en sachant tout ce qui vient, et y trouver toujours plus, tout ce que j’ai certainement manqué. Je pourrais apprécier la construction, sans la surprise, mais en appréciant l’habileté et la finesse avec laquelle tout est amené.
Et donc, le final. Ou plutôt, le pré-final.
Vous vous souvenez du prix à payer pour que Sue gagne un peu plus de temps ? La décrépitude d’Elisabeth. 1 jour = 1 doigt.
Alors que va-t-il se passer quand Sue va beaucoup, beaucoup trop loin, et ne rend jamais la main à Elisabeth ? Que va-t-il se passer quand Sue se rend compte, après une ponction lombaire de trop, qu’Elisabeth n’a plus rien à donner ? Qu’est-ce qu’Elisabeth va devenir, quand Sue, qui lui a tout pris, lui passe enfin le relai ?
The Substance est bien un film d’horreur. Cette fois, l’horreur, c’est la vieillesse. Elisabeth devient une vision de cauchemar. Respect à Demi Moore. Admiration aux effets spéciaux et maquillage. Ca fait mal à voir.
Enfin, enfin, Elisabeth décide de tout arrêter. Il est trop tard, elle a déjà tout perdu, mais elle arrête. Elle commande le kit de « termination ». Elle prépare et exécute l’injection létale. Sue dort comme un ange, insolemment belle et jeune.
Et Elisabeth se rend compte qu’elle a commis une erreur. Et elle réanime Sue.
Là, il y a beaucoup d’interprétations possibles. Est-ce qu’elle regrette tout simplement d’avoir commis un meurtre ? Est-ce qu’elle voit en Sue sa fille, une fille ingrate et détestable mais tout de même sa fille ? Est-ce simplement de la pitié envers une Sue vulnérable, qui semble curieusement innocente dans son sommeil ?
Et bien sûr, l’évidence : est-ce que Sue représente sa dernière chance, le dernier lambeau de son rêve d’Hollywood, auquel elle ne renoncera jamais ?
Triste à dire, mais ce dernier point semble le plus plausible. J’aimerais croire que les trois premières émotions sont là aussi, quelque part. Qu’Elisabeth a quelques qualités humaines basiques.
Et que fait Sue, en se réveillant, en se rendant compte qu’Elisabeth a essayé de la tuer ? Elle la tabasse. Et pas qu’un peu. La scène dure plusieurs minutes, pendant lesquelles Sue montre toute sa haine, sa rage, sa violence. Sue est jeune, vigoureuse, et impitoyable. Elle tue sa génitrice.
Sauf que, You are one. Elisabeth et Sue ne font qu’une. Du coup, les qualités humaines basiques d’Elisabeth… pas sûr. Si on suppose qu’elle a été Sue dans sa jeunesse, alors elle était capable de la même violence quand on se mettait en travers de son chemin… Je préfère croire qu’Elisabeth a vraiment évolué avec le temps, qu’elle a mûri, qu’elle est morte plus humaine qu’elle n’a vécu.
Ou bien, autre interprétation, Sue est une version « plus parfaite » d’Elisabeth ; c’est ce que vantait le mode d’emploi de The Substance. La perfection peut signifier tellement de choses. Ici, faut-il comprendre une absence de doutes et de scrupules, une détermination fanatique ? Sue est-elle une version d’Elisabeth débarrassée de remords et d’états d’âme ? Dans ce cas, Elisabeth en ressort un peu moins mauvaise. Un peu plus pathétique. Mais toujours tragique.
Donc Elisabeth meurt, et Sue perd sa source de vie. Sa grande émission, sa consécration, commence le soir même et elle commence à se déchirer. Jusque-là, la dégradation physique n’a frappé qu’Elisabeth ; le tour de Sue arrive. Encore une fois, ça fait mal.
Le final confirmerait que Sue est une version « parfaite », plus déterminée, plus amorale d’Elisabeth. Aucune vision à long terme, aucune hésitation, juste le désir obsessif d’être devant les caméras, d’avoir l’attention du public, l’adoration de la foule anonyme, rien qu’une soirée.
J’ai tellement spoilé, et pourtant je n’ai pas envie de raconter le final. Inutile. C’est l’aboutissement inéluctable de la trajectoire qu’Elisabeth a choisie. Je vais simplement citer la première phrase d’un roman de Jean de la Hire :
Toujours logique, souvent cruel, le destin a de ces effroyables ironies.
Encore quelques mots. The Substance est un excellent film. Son histoire semble simple, assénée avec violence, et cette évidence est une force. Mais quand on examine les détails, et en particulier les non-dits, on trouve une richesse immense d’implications. Et de nombreux éléments, filés avec habileté, s’entrelacent, apparaissent, disparaissent et reviennent avec une force inattendue. Un impact, même. Cette critique aurait pu être bien plus longue si j’avais parlé du portrait d’elle-même qu’Elisabeth accroche chez elle, ce qu’il devient et à quoi il sert. Ou de son voisin. Ou, parmi les absences suspectes, de celle des dealers de The Substance, jamais vus, jamais remis en cause, insaisissables, intouchables, et il n’est pas difficile d’imaginer que le trafic de drogue à Hollywood partage cette omniprésence invisible. Ou la facilité suspecte avec laquelle MonstroElisaSue entre dans le studio et entre en scène – presque comique, exagérée, mais à quel point vraiment ?
Et bien sûr, la plus grande absence suspecte, ou quasi-absence : celle du système hollywoodien. Le final le mentionne un peu plus explicitement, avec l’apparition des producteurs, une bande de vieux hommes blancs.
Mais la grande force du film, c’est la naïveté et l’aveuglement de son héroïne (ses héroïnes ?). Ni Elisabeth, ni Sue, ne remettront jamais en cause leur monde. Elles retourneront leur violence contre elles-mêmes, entièrement. Pas un mot de rébellion de leur part contre le show business. Non, au contraire, un désir pathétique et inassouvi d’être acceptées par le système, même si ce n’est que pour une soirée de plus. Elisabeth aurait pu avoir une belle vie. Elle ne manque pas d’argent, elle est exceptionnellement belle pour ses 50 ans, il y a encore des hommes qui l’admirent. Et elle sait exactement à quoi s’en tenir sur Harvey. Et pourtant elle y retourne. Irrésistiblement.
En entrant dans l’esprit d’une victime parfaitement endoctrinée d’un système pervers et prédateur, Coralie Fargeat réussit à en montrer les dégâts, presque sans jamais en parler directement. Tout le contraire d’un film à message, où le message viendrait gâcher le film, en rendant le scénario artificiel et les personnages réduits à leur fonction. Non, ici, tout est d’abord au service des personnages, et de leur tragédie.
Reposez en paix, Elisabeth, Sue, MonstroElisaSue.
Merci à Coralie Fargeat, Demi Moore et Margaret Qualley.