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Billet de blog 22 janvier 2025

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Nosferatu 2024 - critique de film/cri de rage

Le Comte Orlok, ex toxique d’un coup d’un soir d’Ellen Hutter, revient et fout la merde. Toute la toxicité des années 2020, toute la naphtaline des années 1920. Fuyez, pauvres fous.

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Après la séance de Nosferatu 2024 en après-midi, j’ai revu Nosferatu 1922 le soir même, pour vérifier que ça partait d’un bon film. Et, en effet, le film de Murnau reste bon. Excellent même.

Alors comment le remake se plante-t-il à ce point ?

Ca commence par une scène assez ridicule, où le personnage de Lily-Rose Depp, Ellen Hutter, invoque un démon pour euh… copuler avec lui ? Mais déjà, tellement de problèmes dans cette scène. Elle semble onirique, avec une demeure gigantesque mais complètement vide, entourée de vastes jardins luxueux et pas une âme en vue. Difficile d’imaginer que c’est réel. Sauf qu’on apprendra par la suite que si, avant son mariage (mais alors qu’elle semble avoir un âge proche), Ellen Hutter a invoqué un démon pour tromper sa solitude (c’est l’explication qu’elle donnera plus tard : elle se sentait seule).

Prends ça, Murnau. Ah, tu ne l’as pas vu venir, hein ? Désormais, Ellen Hutter, particulièrement sensible aux forces cosmiques (sic), est l’origine du problème, la responsable du retour de Nosferatu (qu’elle aurait en gros réveillé de son sommeil) et la cause de milliers de morts ! Mais ne vous inquiétez pas pour elle, le film martèlera qu’elle n’est pas à blâmer. Plus précisément le film va la poser à la fois en victime passive et en héroïne active, et nique les contradictions.

Alors, tout ça n’est pas basé sur rien. En 1922, Eillen Hutter est présentée comme la plus sensible, la plus clairvoyante et la plus lucide de tous les autres personnages. L’utilisation de symboles tirés de l’expressionnisme allemand la pose ainsi, une personne douée d’une spiritualité élevée, qui voit le monde clairement (par exemple la scène de la plage jonchée de tombes, allusion à un symbole présent en peinture, cf Klosterfriedhof im Schnee). Par la suite, alors que tout le monde sans exception se trompe ou comprend de travers la situation (chasse à l’homme après l’inoffensif et insignifiant Knock, autorités dépassées et impotentes), Eillen Hutter est celle qui comprend ce qu’il faut faire, agit, paie le prix et détruit le monstre. Bref, en 1922, Eillen Hutter était l’équivalent d’Ellen Ripley (hot take !). Moins le lance-flammes, certes.

En apparence, il n’y a pas grand-chose à ajouter à un tel personnage. Si déjà en 1922 Eillen Hutter était si badass, qu’est-ce qu’on peut encore apporter ?

Eh bien, la Ellen Hutter de 2024 semble plutôt être une sorcière ou du moins avoir des dons surnaturels. Eillen Hutter 1922 tirait son importance d’un caractère modeste et lucide et d’une âme sensible et courageuse. La force des humbles, en somme. En 2024, cela ne suffit plus, et tout le scénario est tordu pour rendre Ellen Hutter importante. Lily-Rose Depp joue donc une femme douée de pouvoirs surnaturels, incomprise, victime d’une société patriarcale odieuse. Toute trace de modestie est éradiquée, et elle semble moins courageuse que drama queen.

En 1922, pour montrer la connexion d’Eillen Hutter avec son mari, il suffisait de la montrer inquiète pour lui pendant son voyage dans les Carpathes. En 2024, le scénariste invente un pendentif qui, volé par Orlok, cause un lien mental par lequel le monstre attaque Ellen Hutter dans ses rêves… Gros sabots, anyone ?

En 1922, Eillen Hutter avait des amis, avec lesquels elle a une relation amicale normale ; ils s’apprécient, ils se soutiennent. En 2024, Ellen Hutter est INCOMPRISE, l’homme à qui son mari la confie la livre aux TORTURES de médecins qui l’ATTACHENT sur un LIT et la SAIGNENT et PATRIARCAT OPPRESSION SOCIETE ARRIEREE TU L’ENTENDS MON MESSAGE OU IL TE FAUT DAVANTAGE DE MAJUSCULES ?!

Comment un film vieux d’un siècle, écrit quand les femmes allemandes n’avaient le droit de vote que depuis 4 ans (et les femmes françaises ne l’auraient que 26 ans plus tard), pose-t-il un personnage féminin mieux composé et plus intéressant qu’un film contemporain ?

En fait, cela n’a rien de compliqué. Murnau racontait juste une bonne histoire, et ses personnages ne servaient à rien d’autre. Eggers assène un message. Et ce n’est pas subtil. La chatte des Hutters (qui s’appelle Greta, j’ai la ref ! Greta Schroeder !) « n’a pas de maître », Lily-Rose Depp appuie bien là-dessus. Oh bravo, il faut bien le dire que les femmes n’appartiennent qu’à elles-mêmes, girl power toussa. En attendant, Nosferatu 2024 peut se résumer à « l’ex toxique d’un coup d’un soir d’Ellen Hutter revient et fout la merde ».

Tout dans Nosferatu 2024 est forcé, strident, agressivement stupide. En 1922, une calèche inquiétante, menée par un cocher semi-masqué, vient amener Thomas Hutter au château d’Orlok. En 2024, un corbillard rutilant, sans cocher mais mené par des chevaux noirs, lui déboule dans la face dans un style très Zack Snyder (et Thomas Hutter reste planté comme un niais devant des chevaux emballés – il mériterait bien de mourir, en anglais ils ont un terme pour ça, TSTL, Too Stupid To live, trop con pour survivre)… tout ça pour finalement juste l’amener au château d’Orlok. Mais avec des ralentis et des plans prétentieux… ou classieux, dans la tête d’Eggers, sans doute.

Et, parfois, pire que stupide : raciste. Ca me tue qu’en 2024 on puisse encore présenter les gitans comme des squatteurs d’aire d’autoroute qui ricanent d’un air malaisant, et qui collent une vierge à poil sur un cheval pour aller déterrer et pieuter un mort pas mort. Comment ça je présente les choses de mauvaise foi ? Oh et tout ça pour strictement rien. Juste un petit sketch raciste au bord du chemin, qui n’aura aucune importance pour la suite. Ca ne vient même pas du film original, pour le coup, qui fait simplement rencontrer à Thomas Hutter des villageois superstitieux. Un film de 2024 plus raciste que son original de 1922, donc. Ca valait la peine !

Un mot sur le personnage de Thomas Hutter. En 1922, c’était un imbécile, clairement. Crédule, naïf, mais aussi optimiste, énergique, plein de vitalité, épris de sa femme. En 2024, Eggers en fait la victime ultime. Pressuré par son patron Knock, à la limite du chantage, Thomas Hutter doit partir pour un voyage qui le met mal à l’aise mais dans lequel il reste entièrement passif. Il confie sa femme à son « ami » à qui il doit de l’argent, relation saine et équilibrée et pas du tout malsaine non non. Il rencontre des gitans ricanants et malaisants ? Il prend l’air constipé et attend que ça passe. Le Comte Orlok le domine immédiatement d’une emprise malsaine ? Il prend l’air constipé, dit oui à tout, signe le contrat pas du tout suspect et attend que ça se passe (c’est moi ou toute cette interaction évoque un viol sous emprise ?). Pourquoi ? Pourquoi en faire un tel naze ? Et le plus difficile à croire, c’est que sa femme Ellen aime cette endive d’un amour tel qu’elle réussit à oublier le démon qu’elle a invoqué un soir de solitude. Du moins elle le dit. Difficile de percevoir de l’amour entre eux. Ni les acteurs ni le scénario ne le montrent.

Il y aurait tant à dire sur Nosferatu 2024. Les acteurs ont oublié comment jouer. Ca ne doit pas être facile de déclamer des dialogues aussi faux et ampoulés, mais là, j’ai l’impression que la moitié du cast n’est pas professionnel (alors que selon IMDB, si, et même on les paie cher). Willem Dafoe cabotine tout ce qu’il sait en déblatérant de l’ésotérisme à deux balles (alors que l’original ne donnait que peu de lore et toujours utile). Emma Corrin joue plutôt bien un personnage effacé, victime de l’incohérence quasi bipolaire du personnage de Lily-Rose Depp. Deux mignonnes petites filles blondes apparaissent nimbée d’une lumière dorée : elles vont tellement crever, se dit-on immédiatement, et en effet, c’est bien pour ça qu’elles sont là. Les chats jouent très bien, et apportent un peu de charisme sincère et de naturel, mais la caméra ne s’attarde guère sur eux. J’en soupçonne quelques-uns d’être en CGI.

Oh et Bill Skarsgard humm… comment dire… gargarise ses lignes. Le cinéma muet, c’est pas mal pour limiter le ridicule : impossible de foirer le son. Dommage, en 2024 on a appris à ajouter des voix aux images, et ce progrès n’est pas toujours un progrès. Alors le problème vient à moitié de sa voix et de son accent ridicule, et à moitié du texte qu’il a à dire… Mais même visuellement, il n’apporte aucun charisme, rien.

Ah si, une moustache.

Je me suis demandé si je ne m’étais pas trompé de salle, il y avait Kraven the Hunter à côté. En partant du design génial de 1922, tellement puissant qu’il a laissé un sillage dans toute la culture et qu’il est encore copié aujourd’hui (cf les Minions par exemple), comment arriver à un sous-Kraven the Hunter ?

Finalement tout le film de 2024 sombre dans le tape-à-l’œil, le creux, le faux, le vide. Encore une fois, fondamentalement, il raconte le retour d’un ex toxique d’un coup d’un soir. Tout le monde est antipathique, ça n’aide pas (sauf les chats, Emma Corrin et peut-être un peu Willem Dafoe qui au moins se marre bien (lui seul assume dans quel bouse il joue et se met au niveau)).

Pour creuser un peu cette antipathie. En 1922, les personnages étaient raisonnablement aimables. Parfois bêtes, souvent dépassés, certes, mais des gens normaux, chacun attachant à sa façon, chacun méritant fondamentalement de vivre. L’arrivée de la « peste » à Wisborg devient une tragédie massive, poignante. Même Knock finissait davantage pathétique que sinistre. Seul Nosferatu était un véritable monstre, il s’infligeait à des victimes innocentes, impuissantes – de là naissait l’horreur. En 2024, je ne me suis attaché à aucun personnage. Nosferatu n’est pas un fléau, une peste, une tragédie, c’est juste un stalker bloqué sur Lily-Rose Depp. Enjeux : minables. Et tellement moins d’humanité.

En 2024, l’amitié n’y ressemble pas (Emma Corrin essaye vraiment, pourtant), l’amour supposé entre les Hutter n’y ressemble pas, tout a un goût de merde.

Ce qui me paraît symptomatique de l’état de la culture mainstream : un manque d’humanité. Une obsession sur les relations toxiques, une réduction des personnages à leurs aspects les plus mesquins, les plus paralysants. Souvent, à des égos qui ne savent qu’insulter ou rabaisser pour exister (oui, personnage de Lily-Rose Depp, je parle de toi aussi). Une insistance sur tout ce qui entrave, rancune, volonté de revanche, de possession ou de domination, au détriment de tout ce qui libère et offre des possibilités.

Particulièrement insidieuse, la façon dont le film procure des griefs artificiels et forcés à Ellen Hutter/Lily-Rose Depp pour qu’elle puisse se poser en victime et en femme forte et n’assumer aucune culpabilité.

Après, on pourrait jouer au jeu des 777 erreurs entre l’original et le remake, tous les choix minables et paresseux d’Eggers pour repomper une œuvre bien meilleure que la sienne. J’ai cité la rencontre de Thomas Hutter avec une calèche, je vais en rajouter une : l’utilisation des ombres. En 1922, Murnau compose un plan très simple où l’ombre de la main griffue d’Orlok rampe sur la chemise de nuit blanche d’Eillen Hutter, puis se referme, et semble littéralement lui serrer le cœur. On ne peut même pas appeler cela un effet spécial, et pourtant ça marche, c’est poignant, saisissant, parce que c’est sobre et bien fait. Eggers a dû aimer ce plan autant que moi, parce qu’il s’en ressert, mais plusieurs fois, notamment avec la main d’Orlok qui s’empare de la ville toute entière, et de nombreuses scènes qui utilisent son ombre. Pas forcément de mauvaises scènes, mais si peu créatives, repompées de tellement de films d’horreur classiques.

Mel Brooks a parodié et achevé ce trope (et tant d’autres) dans son Dracula de 1995, et aucun cinéaste qui se respecte ne devrait plus les ressortir ainsi, sans imagination ni originalité. Eggers ne se respecte pas. Il prend le remake d’un film de 1922 comme un permis de ressortir tous les clichés, toute l’imagerie traditionnelle, ringarde et enterrée depuis des décennies. Peut-être qu’il pensait les faire redécouvrir à un public qui les aurait oubliés. Raté : il aurait fallu y mettre des efforts, les rendre significatifs, intéressants, évocateurs, puissants. Là, c’est l’équivalent de faire dire « I’ll be back » à un Schwarzenegger décrépi dans un Terminator de trop : une référence piteuse, vide, racoleuse.

Un aveu d’échec.

Finalement, le seul mérite du remake, c’est de rappeler l’existence de l’original.

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