2012
Rappelons qu’en 2012, c’est à la demande du PCF d’Hénin-Beaumont que Mélenchon s’est lancé dans ce combat, une double mission dans une circonscription qui semblait promise au FN : se faire élire député, mais aussi empêcher Marine Le Pen d’être élue. Certainement pour le remercier d’avoir contribué à faire élire François Hollande sans aucune condition, en appelant à battre Sarkozy au second tour, le PS mène un autre combat dans cette élection, battre Mélenchon… Toute la socialie défile dans le Bassin minier, les ténors nationaux battent les estrades, et au soir du premier tour, JLM, malgré une belle progression par rapport à son score aux présidentielles, rate la qualification pour être arrivé à quelques centaines de voix derrière le candidat socialiste. Il appelle alors aussitôt ses électeurs à soutenir le dimanche suivant le candidat PS, qui est finalement élu député, devançant la leader du FN d’à peine une centaine de voix. Fait troublant, durant la semaine entre les deux tours, on n’a plus vu aucun des ténors de Solférino venir soutenir leur poulain, alors que Le Pen avait pourtant près de 10.000 voix d’avance sur lui. La preuve que l’objectif du PS dans cette élection était d’empêcher Mélenchon d’entrer à l’Assemblée Nationale, quitte à se désintéresser de la circonscription une fois ce but atteint ? A vous de juger…
La manœuvre a en tout cas permis d’élire un député PS de plus, qui s’est ensuite brillamment illustré puisqu’on n’en a plus jamais entendu parler depuis. Le PS a d’ailleurs splendidement géré cette « victoire » deux ans plus tard, puisqu’aux élections municipales d’Hénin-Beaumont, il n’a même pas fallu un deuxième tour pour que la liste du FN l’emporte.
On n’oubliera pas non plus l’épisode du faux-tract de Mélenchon écrit en pseudo-arabe, qui fut diffusé par les soins du FN, ce que la candidate avait avoué sur un plateau télé. Elle risquait une peine d’inéligibilité, mais le dossier de la plainte déposée par JLM a été égaré par le parquet, qui n’a pas reçu d’instruction de poursuivre de la ministre de l’époque, « l’icône de la gauche », Christine Taubira. Eh oui, les propres turpitudes de l’extrême-droite auraient pu provoquer la disqualification de sa figure de proue, et nous en débarrasser, au moins provisoirement. Apparemment, le FN n’existerait pas, il faudrait l’inventer…
On a beaucoup écrit à propos des rapports entre FI et le PCF pour ces législatives. Simple remarque de ma part : les mêmes qui ont appelé JLM à l’aide en 2012 dans cette onzième circonscription du Pas-de-Calais sont aujourd’hui candidats en face du candidat soutenu par Mélenchon. Quelle ingratitude !
2017
Aujourd’hui, on reproche donc à Jean-Luc Mélenchon de se présenter dans une circonscription où le FN est faible, et où le score de la gauche est élevé. Je rétorquerai d’abord que si le FN y est faible et la gauche forte, JLM et la France Insoumise ne sont pas étrangers à ce résultat. On a pu le constater dans de nombreux endroits partout en France, la campagne FI a freiné le vote FN, et l’a même parfois fait baisser. Il est quand même légitime pour JLM d’essayer de récolter là où il a le mieux semé, la preuve avec le meeting de Marseille, qui fut un des grands moments de la campagne.
Reprocher à Mélenchon de ne pas aller se friter avec le FN, c’est également ne pas voir que la situation politique de 2017 n’a rien à voir avec celle de 2012. Le FN n’a pas fait la percée qui avait été annoncée depuis des années, mais le vote d’extrême-droite s’est stabilisé, et s’est ancré dans de nombreux départements. En 2012, le FN pouvait envisager de gagner quelques députés. Aujourd’hui, il pourrait en remporter des dizaines. Il faudrait donc que Mélenchon aille se battre dans l’Aisne, dans le Var, les Alpes-Maritimes, la Meuse, l’Aube, la Marne, le Vaucluse, en Moselle… et pourquoi pas aussi aller défier un filloniste dans la Sarthe. Cela permettrait au chœur des mécontents de louer son panache, et de se moquer de lui le 11 juin parce qu’il aurait perdu une élection ingagnable…
Il faut aussi considérer que la France Insoumise, jeune mouvement, a peu de figures nationales, et qu’elle doit donc les placer intelligemment. Il est absolument indispensable pour FI que JLM soit élu député le 18 juin prochain, pour être, si FI n’a pas la majorité- objectif pour lequel on n’est bien sûr pas favoris, mais qui reste jouable –le chef de file de l’opposition à Macron à l’Assemblée. Au niveau politique, un Mélenchon au parlement français a dix fois plus de valeur qu’un Mélenchon au parlement européen, et nul doute que s’il avait été élu dans le Pas-de-Calais en 2012, la situation de 2017 aurait été bien différente.
Il est donc parfaitement logique qu’on réserve à JLM une circonscription « gagnable ». D’autant plus qu’il ne se contente pas de faire sa campagne locale, mais est aussi la figure de proue de la campagne nationale. C’est pour cela qu’il a besoin de temps. S’il était dans le Var en train de faire du porte à porte, il ne pourrait pas aller filer le coup de main ailleurs. Rien que la semaine passée, on l’a vu un jour à Lille, un autre à Paris, un autre dans le 9-3 pour soutenir les candidats FI, plus les interventions dans les médias nationaux, plus ses déplacement dans les autres quartiers de Marseille… Il est tous les jours sur la brèche. Un homme de la moitié de son âge y laisserait sa santé, et on le traite de « parachuté ». Pourquoi pas de planqué ou de tire-au-flanc tant qu’on y est ! Honte à ceux qui lâchent de telles accusations, ils ne comprennent rien à ce qui est en train de se passer avec la France Insoumise et utilisent pour dénigrer l’angle d’attaque le plus mesquin qu’on puisse trouver.
La France Insoumise aux législatives
Pour tenter décrire ce qui est en train de se passer avec la France Insoumise, je vais en passer par mon expérience personnelle. Il faut savoir que je suis belge, vivant en Belgique, et que mon soutien a d’abord été moral et financier, en plus de la participation à la marche du 18 mars et à des meetings. J’ai décidé d’être plus actif pour les législatives, et ai donc rejoint récemment un groupe d’appui dans la 3ème circonscription du Nord, celle de Maubeuge et alentours. Une circonscription où Marine Le Pen a fait des scores très élevés à la présidentielle, mais où c’est Mélenchon qui est arrivé deuxième.

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Nous allons tenter d’y faire élire Aurélien Motte, la trentaine, ouvrier, qui a été un des principaux leaders syndicaux dans le combat perdu contre la fermeture de l’usine sidérurgique Sambre et Meuse il y a deux ans. Un gars franc et direct, enthousiaste, qui ne se lance pas dans des longues phrases, mais qui connait le programme et qui sait trouver la formule qui fait mouche. Parmi les nombreux candidats concurrents, il y a le député PS sortant, qui fut maire de Maubeuge pendant 15 ans ; un de ses anciens adjoints qui a rejoint Macron mais je ne sais pas s’il est encore au PS (le sait-il lui-même ?) ; une députée européenne FN, ancienne assistante parlementaire ; et pour la droite, un ancien député RPR, ancien maire d’une grosse commune, qui entre les conseils généraux, communautés de communes, conseils municipaux, occupe des fonctions publiques depuis Mathusalem. Tous ces gens n’ont à peu près jamais eu un vrai travail dans leur vie, et s’ils en ont un, ils ne doivent sûrement pas passer à la pointeuse. Ils ont donc tout le temps de faire campagne, d’activer tous les réseaux qu’ils ont pu se constituer au cours de leurs interminables carrières, et ils ont aussi des moyens financiers. La situation de la candidate FN est légèrement différente car elle n’est pas du coin, mais de Lille, et n’a pas l’air d’avoir un ancrage local. De toute façon, au FN, pas besoin de faire campagne : un chien avec un chapeau sur lequel il est écrit Marine, et dans certains villages on vote pour lui à des pourcentages qui font frémir.
Je ne veux pas être misérabiliste, mais à la France Insoumise, nous sommes loin d’avoir les mêmes moyens. D’abord le candidat travaille, en tant que salarié dans un magasin de bricolage, et ne peut pas se permettre de prendre un congé sans solde pour faire la campagne. Financièrement non plus, ce n’est pas facile, car nous ne pouvons pas convoquer le rotary local pour réunir des fonds. La campagne sera donc menée avec un budget riquiqui, alors qu’il y a près d’une centaine de communes dans la circonscription, et qu’il faut essayer de tout couvrir. Jeudi dernier, l’équipe a passé la soirée à déterminer si le maigre pécule allait être dépensé à faire imprimer des affiches ou bien des tracts. On ne pourra pas tout faire ! Il fallait aussi arriver à coordonner les agendas entre les actions du groupe local et les disponibilités limitées d’Aurélien Motte qui doit couvrir une circonscription immense. Heureusement, l’inventivité et l’enthousiasme des insoumis compensent pour beaucoup le manque de moyens, mais les conditions matérielles restent difficiles.
Je ne me suis pas livré à une étude de tous les autres candidats FI à cette élection, mais au vu de leurs profils, du pourcentage de salariés, d’étudiants, de chômeurs parmi eux, vu la faible proportion de gens qui ont déjà été élus, il y a fort à parier que les mêmes types de problèmes doivent se rencontrer dans beaucoup d’autres circonscriptions. Pour prendre un exemple, mardi dernier Jean-Luc Mélenchon a rencontré la plupart des candidats du département, mais pas tous, car certains d’entre eux travaillaient et n’ont pas pu se libérer.
Puisque les médias se désintéressent à peu près complètement de ce que peut être la France Insoumise à la base- soyons déjà heureux quand ils parlent de nos candidats sans trop les dénigrer- nous devons être notre propre média. J’essaierai donc de continuer à raconter un peu de ce qui se passe sur le terrain à la France insoumise dans les semaines qui viennent.