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Billet de blog 4 novembre 2013

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L'urgence, changer la vie, pas seulement les mots, et encore...

La campagne d’insinuations et de calomnies contre la famille de Léonarda menée par le ministre de l’Intérieur a donné un nouvel élan à l’offensive de l’UMP contre l’immigration.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La campagne d’insinuations et de calomnies contre la famille de Léonarda menée par le ministre de l’Intérieur a donné un nouvel élan à l’offensive de l’UMP contre l’immigration. Copé avait ouvert le bal en inventant une histoire d’enfant à qui on aurait interdit de manger son pain au chocolat pendant le ramadan, Fillon l’avait doublé à droite en n’excluant pas de voter FN contre le PS, Copé a repris l’avantage en mettant en cause le droit du sol tandis que des seconds couteaux telle la maire UMP de Calais ouvrait un site informatique consacré à la dénonciation des squats de migrants attendant de passer en Angleterre ou que la maire UMPde Montauban interdit à des enfants étrangers de manger à la cantine. 

Tirée directement de l’arsenal du FN, l’idée de Copé est tout sauf nouvelle. Selon lui, les enfants nés en France de parents sans papiers ne devraient plus avoir droit à la nationalité française à leur majorité, 18 ans plus tard. Simplement eux, ou la malédiction doit-elle frapper jusqu’à la septième génération, comme dans la Bible ?

Naturellement, le projet est d’une bêtise rare. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose pour commencer : il ne concernerait que quelques dizaines de personnes chaque année, une centaine tout au plus. Cela impliquerait ensuite que les enfants nés de parents sans papiers soient toujours en France à leur majorité et qu’ils y aient donc été élevés, y aient été scolarisés, que le français soit leur langue naturelle… des jeunes français comme les autres… Il est en outre probable que si les enfants sont restés en France, les parents y vivent aussi, et en situation régulière faut-il espérer après presque deux décennies de séjour. Autrement dit, selon Copé, les enfants seuls devraient être  punis, 18 ans après, pour un « délit » commis par leurs parents avant qu’ils ne soient nés. C’est incohérent.

Relayée au parlement par une proposition de loi de Guillaume Larrivé, (directeur-adjoint du cabinet de Sarkozy à l’Intérieur, chargé de l’immigration, un spécialiste !), reprise par les médias, commentée et amplifiée par l’extrême-droite, la proposition Copé aboutit dans l’opinion à la remise en cause pure et simple du droit du sol, approuvée par 72% des personnes interrogées dans les sondages. Le Pen n’aurait mieux fait !

Cette offensive contre le droit du sol est une étape supplémentaire dans le processus de droitisation de l’UMP engagé sous Sarkozy et poursuivi depuis, avec l’objectif avoué de récupérer une partie de l’électorat du Front national.  L’opération est vouée à l’échec. En reprenant des thèmes et des positions marqueurs de l’extrême-droite tels l’identité nationale, le recours systématique à la seule répression brutale face à la délinquance  ou la lutte forcenée contre les immigrés, Sarkozy et l’UMP sont parvenus à constituer un patrimoine idéologique commun à l’extrême-droite et à une partie dela droite. Uneporosité des idées qui, tout naturellement, rend incompréhensible la marginalisation politique et idéologique de l’extrême-droite et légitime le vote en sa faveur : ce n’est pas l’électorat du FN qui vient à l’UMP mais, au contraire, celui de l’UMP qui s’empare des idées du FN et, à l’instar de Fillon, ne s’interdit plus de voter pour lui.

Chômage, crise sociale, fronde sur les impôts, scandales à répétition frappant des personnalités des deux principaux partis de gouvernement, en plus  de la question de l’immigration artificiellement montée en épingle, nombre de facteurs sont réunis pour une percée de l’extrême-droite.

Or, à ce jour le gouvernement n’a montré ni volonté, ni capacité à s’y opposer. Au contraire. L’affaire Léonarda l’illustre pathétiquement. En effet, loin d’être un dérapage, les conditions de l’arrestation et de l’expulsion de Léonarda et de sa mère accompagnée de ses six enfants sont le sous produit nécessaire, obligatoire, de la politique de Hollande appliquée par Valls, la même, à quelques aménagements près, que celle de Sarkozy et Guéant. Valls lui-même l’affirme, répétant à chaque occasion qu’il procédera aussi peu de régularisation que Guéant mais exécutera autant d’expulsions que lui. Certes, son discours sur l’immigration n’est pas celui de Guéant… sauf quand, plagiant Sarkozy à Grenoble, il insulte les Roms. Mais les lois, les pratiques et les chiffres demeurent. Une façon d’ancrer dans l’opinion l’idée que si les discours peuvent varier, les faits, eux, restent : la seule politique possible en matière d’immigration est celle mise en place par Sarkozy dont Valls continue d’appliquer les lois et les procédures avec zèle. C’est ainsi, pour mentionner quelques exemples, que l’immigration est restée du ressort exclusif du ministère de l’Intérieur, innovation de Sarkozy, que la durée de la rétention qui était de 12 jours sous Jospin est passée à 45 jours sous Sarkozy et le reste sous Hollande, que le racket financier sur les titres de séjour (jusqu’à 600 €la carte Vieprivée et familiale) instauré par Sarkozy est toujours en vigueur, qu’aucune des lois prises par Sarkozy n’a été modifiée, quela circulaire Vallsde novembre 2012 exclut de la régularisation la grosse majorité des lycéens et des travailleurs sans papiers et que, concernant les familles, elle est très en deçà de celle que Sarkozy avait (de façon très temporaire, il est vrai) édictée en juin 2006.

Les mêmes administrations, les mêmes hommes appliquant pour l’essentiel les mêmes textes avec les mêmes procédures et les mêmes objectifs, pas étonnant qu’en l’absence de volonté politique affichée de promouvoir une autre politique, les résultats soient les mêmes, conduisant aux mêmes faits qui révoltent (heureusement !) une bonne partie de l’opinion et de la jeunesse.

En recourant de façon honteuse à la publication de ragots et d’insinuations sur Léonarda et son père[1], Valls a certes réussi à obtenir qu’une forte majorité des sondés approuvent l’interdiction du retour dela famille. Mais c’est une victoire à la Pyrrhus dont les principaux bénéficiaires sont la droite et l’extrême-droite qui se sont emparé du mouvement impulsé par Valls pour relancer leur campagne contre l’immigration.

L’attitude du gouvernement dans cette affaire est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire. Sa volonté de poursuivre dans la voie tracée par Sarkozy en matière d’immigration, ses concessions, voire ses compromissions idéologiques avec la droite, le jeu personnel de Manuel Valls dont la popularité à droite souligne l’impopularité du président de la République, ouvrent un boulevard à la droite… et encore plus à l’extrême droite. Au bout du compte, deHollande et ManuelValls à Le Pen en passant par Copé et Fillon, toutle monde estd’accord pour « lutter contre l’immigration », « une politique de fermeté », « des expulsions » et, pour certains, « ne pas respecter les tabous », le regroupement familial pour Valls, le vote FN pour Fillon, le droit du sol pour Copé.

Sur ce terrain, le gouvernement a perdu d’avance. Exactement de la même façon que les concessions de l’UMP au FN profitent à l’extrême droite, celles du gouvernement à la droite valident la politique mise en place par Sarkozy, lui donnent raison, enracinant l’idée qu’au-delà des mots, une seule politique est possible et, finalement, préparant les cuisantes déroutes électorales attendues en 2014, 2015 et le 21 avril 2017.

L’alternative existe. Malgré le pilonnage de la droite et de l’extrême-droite, malgré les interventions du président de la République et du ministre de l’Intérieur, malgré l’emballement médiatique et le silence apeuré de ceux qui, au Parti socialiste, s’étaient un temps démarqués, un bon quart de la population, même dans les sondages, ne se laisse pas abuser. En manifestant pour exiger le retour de Khatchik, leur camarade expulsé en Arménie, et celui de Léonarda et de ses frères et sœurs, des milliers de lycéens montrent que la jeunesse n’est pas prête à suivre le gouvernement et la droite sur le terrain glissant dela xénophobie. C’est à l’évidence sur ces forces-là qu’il faut s’appuyer pour organiser une vigoureuse contre-offensive sur le terrain des idées, rappeler que sous couvert de lutte contre l’immigration, ce sont des préjugés d’un autre âge qui sont répandus,  montrer concrètement qui sont les immigrés, prouver que bon nombre des personnalités qui font le prestige du pays ont des origines ailleurs, répéter que le métissage est devenu une réalité dans nombre de familles, que la population de ce pays est métissée, qu’elle le sait et qu’elle l’assume, le revendique.

C’est un combat autrement digne, exaltant et porteur d’avenir, que l’application bornée de lois injustes naguère combattues. Un combat que la jeunesse peut porter et, avec elle, tout ce que la société compte de généreux, d’ouvert, de progressiste. Y compris au Parti socialiste dont on a vu au moment le plus aigu de l’affaire Léonarda combien la politique du gouvernement pesait pour nombre de ses élus et de ses responsables. 

Il faut que le gouvernement change de politique. Il faut que les lois sur l’immigration changent. Il y va de la santé morale de la société française. Il y va aussi de l’avenir, y compris des partis de gauche et singulièrement du Parti socialiste. Si, réellement, son seul rôle est de faire quelques années de mauvaise figuration au gouvernement entre une ou deux décennies d’exercice du pouvoir par la droite, il serait temps, vraiment, qu’il passela main. Parceque, pour l’heure, c’est très précisément ce que préparent l’action du gouvernement et le silence du PS : un retour au pouvoir pour dix ou quinze ans de la droite très à droite sur les décombres d’une gauche discréditée pour n’avoir pas été capable de s’en tenir à ses valeurs et à ce qu’on croyait être son projet.

                                                       Richard Moyon


[1]  Le rapport de l’IGAS est un monument d’insinuations scandaleuses. Il rapporte que « Léonarda découche », ses nombreuses demi-journées d’absence (en ignorant le fait que le logiciel de l’Education nationale comptabilise une heure d’absence, pour retard par exemple, comme une demi-journée), les délits supposés du père… jamais condamnés, l’état de l’appartement et autres ragots. Quant aux violences familiales, elles doivent être fermement sanctionnées si elles sont avérées. Mais sûrement pas par le bannissement de toute la famille dans un pays où les protections sociales sont inexistantes. Et si l’exil doit devenir la sanction des violences faites aux femmes, on connaît des parlementaires et d’anciens parlementaires UMP qui vont se retrouver à Pristina !

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