Richard Rossin

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Billet de blog 8 novembre 2010

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A quoi sert le Tribunal spécial pour le Liban ?

Ainsi donc sur la base de Captieux, en Gironde, parce que c'est la plus grande en Europe, a eu lieu, à la demande du procureur du Tribunal Spécial de l'ONU pour le Liban (TSL), Daniel Bellemarre, la reconstitution de la scène du meurtre du Premier Ministre Libanais en exercice, Rafik Hariri (et au passage de 22 autres personnes), le 14 Février 2005.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ainsi donc sur la base de Captieux, en Gironde, parce que c'est la plus grande en Europe, a eu lieu, à la demande du procureur du Tribunal Spécial de l'ONU pour le Liban (TSL), Daniel Bellemarre, la reconstitution de la scène du meurtre du Premier Ministre Libanais en exercice, Rafik Hariri (et au passage de 22 autres personnes), le 14 Février 2005. C'est bien. Le cratère provoqué par l'explosion a été à l'image de ce que l'on pouvait espérer... Il s'agissait « d'un essai de caractérisation d'explosion...afin de procéder à des vérifications en matière de police technique et scientifique. Il ne s'apparente ni dans ses modalités ni dans son objet à une reconstitution de crime ».

L'armée française a donc reconstitué un mini-Beyrouth, avec ses rues et fait venir des fourgons blindés tels que ceux de l'escorte de l'ancien Premier Ministre libanais, et placé à l'identique la tonne d'explosifs. L'armée française connait bien Beyrouth.

Mais le vrai cratère n'est pas là et cette enquête provoque depuis des mois un cratère bien plus insidieux et bien plus profond : le Hezbollah a prévenu qu'il utiliserait toute sa force militaire pour empêcher l'arrestation de ses militants. Il faut bien se moucher quand on sent la morve poindre au nez.

La puissance diplomatique des opposants à une enquête, et ne pas vouloir d'enquête en dit plus long que bien des enquêtes, est doublée ainsi sur le terrain par l'énorme dispositif armé du Hezbollah (le parti de Dieu) plus puissant que celui de l'armée libanaise qu'il vassalise progressivement au moins dans le Sud. Pour mémoire le Hezbollah avait été porté sur les fonts baptismaux, si j'ose dire, par Moussavi qui était alors au pouvoir à Téhéran.

Nous connaissons bien le pouvoir de nuisance de cette armée privée : l'attentat meurtrier du Drakkar le 23 Octobre 1983 qui volatilisa 58 casques bleus français réalisé avec un camion piégé par plusieurs tonnes d'explosifs ; deux minutes plus tôt un attentat identique sur le contingent américain à l'aéroport avait fait 241 morts. Le Hezbollah revendique les deux attentats. Enfin, il parait que maintenant ce parti est un mouvement de résistance sans qu'on sache à quoi il résiste si ce n'est aux restes de démocratie au Liban.

Bref, les grandes manœuvres contre le TSL sont engagées depuis des mois : d'abord, Hassan Nasrallah a exhorté les Libanais à boycotter le tribunal de l'ONU chargé d'enquêter sur l'assassinat du dirigeant Rafic Hariri, affirmant que toute coopération avec les enquêteurs serait une "agression" contre le mouvement chiite. Puis la justice syrienne a émis des mandats d'arrêt contre 33 personnalités libanaises et étrangères après une plainte d'un ex-général libanais contre de « faux témoins » dans l'enquête sur cet assassinat et les faux témoins sont évidemment ceux qui ont été auditionnés par le TSL et, dans la foulée, le même ancien général met en garde contre "une instabilité politique et sécuritaire" si des membres du Hezbollah étaient accusés par le TSL. Ce que reprend, bien sûr, le Hezbollah dont le chef accuse, depuis son bunker, le tribunal de l'ONU chargé de l'enquête sur le meurtre de protéger de "faux témoins". Il semble y avoir comme une entente...

Cerise sur le gâteau : le député du Courant du Futur Okab Sakr a affirmé, lors d'une conférence de presse, que son parti n'acceptera pas un acte d'accusation du TSL qui vise le Hezbollah dans cette affaire d'assassinat. Pour rappel, le Courant du Futur est le mouvement fondé par Rafic Hariri lui-même (hostile à l'influence de la Syrie au Liban) et repris par son fils, l'actuel chef du gouvernement libanais Saad Hariri. Ceci rappelle l'attitude de Walid Joumblat amené à pactiser avec les assassins syriens de son père : rien ne change sous le soleil d'Orient.

On raconte encore que Saad Hariri, en personne, a proposé à Nasrallah de mettre « l'opération » sur le compte de feu Imad Moughniyeh, les absents ayant toujours tort. Par ailleurs et pour mémoire, un haut responsable syrien a averti qu'il n'y aura d'autre possibilité que de remplacer le Premier ministre libanais s'il continue à torpiller les efforts de réconciliation entre Damas et Beyrouth. Ce haut responsable a confié au journal libanais Al-Akhbar, proche du Hezbollah, que Saad Hariri a fait erreur en accusant la Syrie de l'assassinat de son père. Quand l'indépendance vous tient...

Alors évidemment, à Beyrouth, la foule a insulté, bousculé et chassé une équipe d'enquêteurs de l'ONU et si personne n'a été blessé dans la mêlée, une mallette a été volée. Le TSL, à La Haye (Pays-Bas), a déclaré qu'il prenait l'incident au sérieux mais sûrement sans entendre qu'Ahmadinejad avait déclaré sur place que « le Liban est l'université du djihad ». Tout avait été dit.Le terrorisme a le temps et la démocratie se meurt en silence.

Pourtant on se demande bien ce que les prochains inculpés pourraient craindre, il existe bien un président en exercice au Soudan poursuivit pour crimes de guerres, crimes contre l'humanité et crimes de génocide qui continue à vivre tranquillement et à voyager comme si de rien n'était.

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