Richard Rossin

Ancien secrétaire général de MSF, co-fondateur de Médecins du Monde

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Billet de blog 28 décembre 2010

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Soudan : ignominie et veulerie continuent

En remontant le temps on observe que le JEM, mouvement islamique de rébellion au Darfour, s'était vu bombardé par les forces soudanaises dès qu'il eut, sous d'innombrables pressions, signé un préaccord à Doha avec le gouvernement du Soudan. Ce n'était pas la première fois que le Soudan ne respecte pas sa parole.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En remontant le temps on observe que le JEM, mouvement islamique de rébellion au Darfour, s'était vu bombardé par les forces soudanaises dès qu'il eut, sous d'innombrables pressions, signé un préaccord à Doha avec le gouvernement du Soudan. Ce n'était pas la première fois que le Soudan ne respecte pas sa parole. C'est toujours le cas et d'ailleurs ça n'a surpris personne et surtout pas les diplomates du monde entier qui s'acharnent à vouloir faire signer un papier dont ils savent l'absence de valeur. Ils le savent tellement qu'ils craignent pour l'accord avec le Sud Soudan de 2005, dit CPA (accord de bonne entente pour la paix, sic !) qui prévoit un référendum d'autodétermination pour le 9/1/2011... Les bruits de bottes sont bien plus forts que ceux des impressions de bulletins de vote.

Pour mémoire, ils le savent tellement que ne pouvant arracher, à Abuja en 2006, une signature pour un texte vide et sans la moindre garantie au président du mouvement de libération du Soudan (SLM), Abdul Wahid Al Nour (AWN), ils l'avaient expulsé de son hôtel et l'avait jeté à la rue (ses bagages sont toujours à l'hôtel...). Il faut dire que l'homme était aguerri par deux cessez le feu signés à Abéché et deux à N'Djamena sans que jamais Khartoum se soit senti lié par sa signature. Ils le savent bien mais ils s'en moquent tellement qu'à Genève, le 20 mars 2008, ils avaient prétendus qu'effectivement il ne pouvait y avoir de négociation tant que les bombardements de villages continuaient et sans garanties internationales, mais depuis ils ont (alors que rien n'avait changé sur le terrain) continué à faire toutes les pressions possible sur AWN et notamment en lui interdisant tout déplacement qui ne soit pas pour aller « négocier » Doha !! Pas de visa et la France se transforme en prison à ciel ouvert où on a osé arguer qu'on offre au combattant pour la démocratie et la liberté un accueil voire un asile ! Une histoire de fous. Mais la police est récemment venue chez sa femme (et a interrogé les voisins pour faire bonne mesure) pour qu'il appelle d'urgence et impérativement le Quai d'Orsay qui lui avait permit d'aller à Nairobi pour consulter des hommes de sa base. C'était le pays des droits de l'Homme qui ne sont plus universels.

Il faut reconnaitre qu'il y a eu pire avec l'envoyé spécial américain, Scott Gration, qui ne pouvant faire entendre raison au président soudanais avait menacé les résistants de sanctions !! Incapable de faire fléchir le bourreau il s'en prend aux victimes. Ce n'était pas la première fois, déjà du temps de Bush, Natsios avait lancé cette menace. Bel aveuglement quand on sait que les résistant n'ont pas le moindre avoir et que leurs vies sont en permanence en danger. Mais rien sur les 9 milliards de dollar détournés par Béchir selon une note diplomatique américaine publiée par WikiLeaks. On avait eu la démonstration que Bush ne s'intéressait pas à la démocratie en Irak au vu de son action au Soudan. Ça n'intéresse pas Obama non plus.

A propos comment appelle-t-on la volonté d'éternellement recommencer la même erreur ?

Les diplomates ont de la chance, ceux là, le SLM, dénient absolument le recours au terrorisme, tellement répandu ailleurs, pour faire entendre leur cause ; ils affirment haut et fort que construire la démocratie, la liberté et la laïcité ne peut se faire de la sorte. Ils ont des valeurs et les défendent. Est-ce pour cela qu'on les abandonne ?

Pour apprécier le tableau reprenons les faits : le pouvoir soudanais écrase tous les peuples du pays au profit d'une idéologie et d'un affairisme. Les répressions les plus sanglantes furent avec le Sud (20 ans de guerre et deux millions de morts dans le silence de la mort de la pensée...) et le Darfour (300.000 morts et 2,7 millions de réfugiés et déplacés au fixing ONU de 2008). Il y eut aussi les Béja à l'Est qui affirment que les accords n'ont pas été respectés et recommencent à s'impatienter. Le « président » soudanais est le seul chef d'Etat en exercice sous le coup d'un mandat d'arrêt international pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crime de génocide. Le seul signataire d'Abuja, en échange d'un hochet de conseiller du « président », s'impatiente lui aussi devant le non respect des accords : ses bureaux sont fermé à Khartoum et ses hommes sont bombardés. Les diplomates vous répondent que s'il veut sortir des accords il ne peut que s'en prendre à lui et doit en accepter les conséquences... Pas un mot sur les causes ni sur les 12.000 civils déplacés en une semaine ; ils sont saufs, ils sont dans des camps.

En dehors du monde diplomatique il y a le monde de l'information. Combien de journalistes se plaignent de ne pouvoir parler du Darfour leurs rédactions estimant que le sujet n'intéresse pas les lecteurs. Il est vrai que des lecteurs non informés ne risquent pas de s'intéresser. Coluche disait que les hommes politiques mentent mais qu'il y a pire les journalistes, qui le savent, répètent. Je me souviens du passage et de l'engagement de la « classe » politique, président en tête, à la Mutualité en mai 2007 : les engagements n'engagent que ceux qui y croient ; eux ne sont venus que pour pêcher des suffrages et ils se plaignent de leur mauvaise image.

Alors voici une nouvelle du Soudan : le gouvernement avertit la population que 5.000 bandits sont entrés dans la capitale et demande à chacun de faire attention... Si après cela il n'a pas de massacre au moment du référendum... Alors, vérifiez, croisez les informations et publiez !

Il ya d'autres informations intéressantes comme l'incroyable inquiétude de l'ONU sur la circulation clandestine d'armes alors que le gouvernement fabrique les siennes pour massacrer son peuple et est largement approvisionné par la Chine et la Russie. Ban Ki Moon est l'homme des inquiétudes devant ses monceaux de rapports, Ban qui mou ne cesse de s'inquiéter. Mais l'asymétrie de traitement en faveur du tyran ne l'inquiète pas, le courage du coté du manche.

In fine, nos gouvernants sont ce que d'aucuns appellent des alliés objectifs des assassins de Khartoum, c'est-à-dire des complices. Il ya des moments où il faut qualifier les choses. Et ce n'est même pas pour de la real politik et des intérêts économiques qui en ce qui concerne la France se limitent à 80.000 litres de pétrole pour Total et deux concessions de mines d'or pour Areva. Je me suis entendu dire successivement que le Soudan est la zone d'influence britannique (mais Fachoda c'était au XIXème siècle) et que c'était la chasse gardée chinoise pour le pétrole (mais qui a proposé de priver les chinois de pétrole ?). Il y a surtout une partie de billard à deux bandes en offrant aux Emiratis une place de négociateur en chef (pourquoi pas d'ailleurs s'ils étaient neutres et efficaces) qui assure leur présence face à leurs prédateurs contre des avantages commerciaux.

Messieurs, il est encore possible de cesser de soutenir le tyran sanglant de Khartoum plutôt que de jouer les munichois, mais il faudrait une volonté de défendre des valeurs et une vision du monde, une politique. Je sais bien, vous ne vous sentirez jamais redevable de ce sang largement versé ; je sais, vous vous direz, un jour, que vous aviez seulement une vision erronée de ce qu'est la Paix avec P majuscule mais c'est que vous n'aviez rien retenu de l'Histoire ; je sais, un jour, vous répéterez encore un « plus jamais ça » aussi creux que les précédents.

Mais comment imaginer que cela n'a pas de conséquence : Gbagbo a bien rit quand la communauté internationale et le président français lui ont demandé de céder la place qu'il vient de perdre. L'effet Béchir.

Richard Rossin,

ancien secrétaire général de MSF, co-fondateur de Médecins du Monde

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