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Billet de blog 3 janvier 2022

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C’est la Chine ? Non, c’est le monde qui change

Tribune publiée dans l'Humanité du vendredi 1er Octobre 2021

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il n’aura pas fallu longtemps pour que le vernis « multilatéraliste » de Biden, présenté aux européens, ne se craquelle. Biden était supposé être plus attentif aux positions des européens, le mythe a volé en éclat.

En août ce fût le départ chaotique d’Afghanistan sans aucune consultation ni tenir aucun compte de l’avis de ses alliés militairement présents. Puis maintenant l’annulation du gigantesque contrat de fourniture de sous-marins à l’Australie par la France. A ce propos le Ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a dénoncé sévèrement le « coup dans le dos », la « duplicité » et la « perte de confiance » à l’égard « d’alliés ». En effet c’est dans le plus grand secret – comme l’a déclaré un conseiller de Biden - que les Etats-Unis (EU) négocient depuis 6 mois avec l’Australie pour remplacer la France dans ce méga contrat avec des sous-marins à propulsion nucléaire. Pour les EU peu importe la réaction de la France, c’est un petit pays qui n’a pas le choix, il avalera la pilule.

L’Australie n’ayant aucune compétence dans le domaine nucléaire, les EU prendront le contrôle de la flotte australienne pour l’intégrer totalement dans leur dispositif antichinois. Plus grave, les EU prennent le risque de relancer la course à l’armement nucléaire et de déstabiliser la région. Délibérément ?

En effet de grands pays européens, dont la France, ne sont pas suffisamment à la botte des EU. Rappelons-nous de la bataille menée par l’Allemagne pour imposer le recul de Biden sur le gazoduc Nord Stream 2. Mi-juin, à la réunion du G7, le communiqué final avait été remanié à la demande de pays européens. Emmanuel Macron avait insisté sur le fait que « le G7 n’était pas un club hostile à la Chine ». « C’est un ensemble de démocraties qui entend travailler avec la Chine sur tous les sujets mondiaux sur lesquels la Chine est prête à travailler avec nous.». Dépité le conseiller de Biden déclarait que la Chine figurerait d’une manière plus « robuste » dans le communiqué de l’OTAN ce qui fût le cas.

Si les européens acceptent l’idée d’une compétition économique même sévère avec la Chine - et non d’un découplage tel que les y poussent les EU sans eux-mêmes l’appliquer- ils ne peuvent ni ne veulent se passer de l’immense capacité manufacturière et du marché chinois. Et ils ne veulent en aucun cas prendre le risque d’une confrontation militaire.

Autrement dit la rupture du contrat avec l’Australie est en lien avec des divergences quant à l’attitude vis-à-vis de la Chine. Pour faire plaisir aux EU il suffit d’oublier les intérêts propres aux européens. Rien que ça, la vassalisation et nous serons amis. Ce n’est évidemment pas la bonne solution. On pourrait commencer à quitter le commandement intégré de l’OTAN.

Mais au fait le problème des EU n’est-il que la Chine ?

Ce n’est pas la Chine qui a conduit à l’échec des EU en Afghanistan après 20 ans de guerre, une occupation qui a coûté plus de 200.000 morts civils afghans, des millions de réfugiés et tout ça pour retrouver les talibans au pouvoir. Même catastrophe en Irak où l’Etat a été détruit, des centaines de milliers de civils morts, des dégâts « collatéraux »... Faire la liste nous mènerait trop loin.

Ce à quoi veulent s’opposer les EU c’est un mouvement de fonds qui s’est affirmé de manière généralisée après la seconde guerre mondiale.

En 1955 les représentants de pays décolonisés- une trentaine dont Nasser, Nehru, Soekarno, Chou en Lai- se retrouvaient à la Conférence Afro-Asiatique de Bandung, lançant le mouvement des non-alignés, le Tiers Monde, appelant à la décolonisation, contre l’impérialisme, sans volonté de faire adhérer ce mouvement dans un bloc soviétique ou occidental. Cinq principes étaient repris : respect mutuel de l'intégrité territoriale et de la souveraineté ; non-agression ; non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures ; égalité et bénéfice mutuel ; coexistence pacifique. Précision : la non-ingérence réciproque des Etats ne signifie pas l’approbation de leur politique intérieure.

Ces cinq principes ont été régulièrement niés pour être remplacés par : le droit à l’ingérence, l’exportation de modèle de régime (démocratique), choc de civilisation…

Les EU ont été particulièrement actifs en ce sens en Amérique Latine, Caraïbes, Afrique, Asie.

Depuis, ce mouvement de libération s’est étendu, certes avec de multiples difficultés parfois colossales, des hauts et des bas, des reculs ou pire et des avancées. Mais il a toujours cherché les moyens d’avancer.

La montée de la Chine comme deuxième puissance économique mondiale, et bientôt première, fait largement contrepoids à la puissance des EU, déclinante. D’autres pays ont pu émerger et amorcer le cycle du développement. La place de la Chine leur donne des marges de manœuvre supplémentaires.

Bien entendu il ne s’agit pas de dire que la politique de la Chine ne soulève pas de problème, que tout va bien, qu’il n’y a rien à redire. Quel pays d’ailleurs serait dans un tel cas idyllique ? Mais là il s’agit d’une stratégie, celle des EU, de maintenir coûte que coûte, par les moyens financiers et militaires, leur hégémonie mondiale. Les peuples ne peuvent s’y soumettre, ils ne renonceront jamais au droit au développement pour sortir de la pauvreté. C’est là le premier des droits de l’homme.

Ce que les EU mettent en cause c’est le monde qui est en train de s’organiser avec difficulté, malgré des affrontements régionaux, malgré de nombreux problèmes de gouvernance ou de respect des droits humains. Un monde qui ne peut, qui ne pourra, que s’affronter aux volontés d’hégémonie mondiale, économico-financière et militaire, qui confère aux EU un « droit » de pillage.

Ainsi les nombreux et importants traités signés par la Chine (RCEP par exemple) ainsi que les accords contractés dans le cadre des « Routes de la soie ».

Ainsi également les six pays voisins de l’Afghanistan ont décidé de mener des actions concertées pour aider l’Afghanistan après le chaos laissé par les EU. L’OCS[1]  a intégré l’Iran comme membre et, comme observateurs l’Egypte, le Qatar, l’Arabie Saoudite. Le président de l’Iran a déclaré : "Le monde est entré dans une nouvelle ère. L'hégémonie et l'unilatéralisme ont échoué". Ajoutant que le monde se dirigeait désormais "vers le multilatéralisme et la redistribution des pouvoirs vers des pays indépendants".  Lors de cette même réunion, en septembre 2021, a été discuté la possibilité d’utiliser des devises de pays membres plutôt que le dollar.

En Amérique Latine comme ailleurs se manifeste la volonté d’échapper à l’hégémonie US. Lors de la réunion du CELAC[2], le président mexicain propose aux pays latino-américains et caribéens de remplacer l’OEA par un organisme vraiment indépendant des EU. Pas facile mais la volonté s’affirme.

L’Egypte va disposer de deux usines de production de vaccins chinois, l’une de 200 millions de doses à usage national, et une autre d’un milliard de doses pour le continent africain. L’Algérie se lance également dans la production de vaccins russes et autres. Plus de deux milliards de doses de vaccin ont été injectés en Chine et plus de 500 millions hors de Chine. Qui en parle hormis pour dénigrer ces vaccins ?

La Russie tente une médiation entre l’Ethiopie, le Soudan, l’Egypte au sujet du grand barrage éthiopien.

On pourrait multiplier les exemples concernant l’évolution du monde, la lutte pour la souveraineté nationale des peuples anciennement colonisés, dominés.

Mais parle-t-on de tout cela dans les médias dominants ? N’y a-t-il pas une forme de nombrilisme à ignorer ces réalités ou est-ce un nouveau rideau de fer ?

C’est cette lame de fond, et pas que la Chine, qui inquiète les EU. Même si la Chine en est la cible première puisqu’elle met directement en cause l’hégémonie mondiale.

Jusqu’où iront le EU pour défendre leur domination déclinante ? La guerre de plus en plus froide deviendra-t-elle chaude ? Les risques de confrontation militaire, provoqués ou « accidentels », sont de plus en plus menaçants.

[1] L’Organisation de Coopération de Shangaï a été créé en 2001 par la China, le Kazakhstan, le Kyrgyzstan, la Russie, le Tajikistan et l’Uzbekistan. Elle s’élargit à l’Inde et le Pakistan en 2017.

[2] Communauté d'États latino-américains et caraïbes (Celac)

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