Le Premier ministre Manuel Valls et la ministre du Travail Myriam El Khomri l’avaient annoncé : la réforme du Code du travail ne serait pas une réformette, ce serait l’entrée de ce Code dans le XXIème siècle. Rien de moins !
Le lancement était suivi d’une campagne complètement indigente sur le thème « le Code du travail est inutilisable, il pèse 1,4 kgs ». Un reportage sur une chaîne de télévision dont nous tairons le nom par politesse montrait un patron marchant dans son atelier avec le Code du travail sous le bras expliquant qu’il ne pouvait rien dire et rien faire sans cela. Il fallait donc moderniser et simplifier tout cela.
Comme toujours on fait appel à la « liberté » pour habiller les projets les plus rétrogrades. Ainsi le titre de ce texte est « PROJET DE LOI visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ». De nouvelles protections ou libertés il n’y en a guère pour les 25,6 millions de salariés actifs ou privés d’emploi, c’est même le contraire. C’est la novlangue libérale, le langage codé : les mots disent le contraire de la réalité. Par exemple on ne dit plus « Plan de licenciements » mais « Plan de sauvegarde de l’emploi ».
Alors que le Code du travail vise à protéger le salarié pour contre balancer son lien de subordination à l’entreprise, sa pseudo modernisation concoctée avec l’aide du Medef fait sauter toute une série de protections importantes. Sans prétendre à l’exhaustivité[1] :
- Accroissement considérable de la flexibilité permettant d’augmenter le temps de travail sans que cela déclenche forcément des heures supplémentaires ;
- Possibilité de diminuer à 10% la majoration de 25% ou 50% des heures supplémentaires ;
- Possibilité d’accords d’entreprises établis à la baisse par rapport au Code du travail ou accords de branche ;
- Extension de la définition du licenciement économique le rendant difficile à contester ;
- Mise des juges hors jeu pour contrôler la légalité du motif de licenciement économique et fixer les indemnités ;
Bref on voit qu’il s’agit de sécuriser le patronat et de soumettre davantage les salariés.
C’est une constante depuis une trentaine d’année, depuis l’existence d’un chômage de masse en France, chaque plan d’aide au patronat est présenté comme un moyen de lutte contre ce chômage. C’est un mensonge pur et simple. Quel besoin a l’entreprise d’embaucher des salariés, ne serait-ce qu’en intérim ou CDD pour des surcharges temporaires, puisqu’elle peut faire travailler ceux en place avec le droit de les licencier en cas de refus ?
Ce n’est ni en réduisant la rémunération des heures supplémentaires ou en gelant les salaires, ni en augmentant le temps de travail de ceux qui sont en activité que l’on favorise la diminution du chômage. Cela revient à creuser toujours plus les inégalités déjà considérables comme le démontrent toutes les études.
L’objectif du patronat est tout autre. Il utilise ce chômage massif et la précarité pour faire pression sur les salariés : « si vous n’êtes pas contents il y en a cent qui attendent à la porte ». Il s’agit d’augmenter les profits d’une année sur l’autre à la mesure de l’accumulation réalisée. Or en période de crise, d’absence de croissance, cet objectif ne peut être atteint « normalement » mais implique une part croissante d’accumulation de capital par dépossession. C’est-à-dire en prenant sur la part des autres couches sociales ou de l’Etat.
C’est alors le gel ou baisse des revenus, la dégradation des droits sociaux, la flexibilité pour adapter la durée de travail à l’activité. Tout ceci faisant porter par les salariés le risque commercial et conjoncturel. A quoi s’ajoute maintenant la volonté de légaliser l’ubérisation sociale, ces faux auto-entrepreneurs qui devraient être de vrais salariés que l’on voit se multiplier dans le secteur des voitures de tourisme avec chauffeur, de la livraison de repas à domicile. L’enjeu est de taille puisque les rapports sociaux à la Uber risquent de se propager dans d’autres secteurs d’activité. C’est une revendication patronale : la «facilitation des nouvelles formes d'activités indépendantes». Entendez par là avoir des travailleurs disponibles sans emploi – merci à la précarité et au chômage - prêts à n’avoir aucune garantie sociale.
L’Etat providence pour les patrons, ces grands assistés, s’affirme : baisse des cotisations sociales patronales, règles permettant « d’optimiser » ou de réduire l’impôt, aides directes, crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) … Et pour fournir des débouchés aux capitaux ainsi accumulés : privatisations, développement de partenariats public-privé, endettement auprès des marchés financiers etc.
On le voit, l’enjeu est de taille. La mobilisation contre ce projet aussi. Malgré la répression - un hasard ? - qui s’abat de plus en plus contre des militants syndicaux.
Serait-ce la loi de trop après celle de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité ?
[1] Voir le dossier établi par l’UGICT CGT http://www.ugict.cgt.fr/articles/references/reforme-el-khomri ;
les communiqués du Syndicat des Avocats de France http://www.lesaf.org/blog-droit-social.html?fb_744639_anch=2884610
et du Syndicat de la Magistrature http://www.syndicat-magistrature.org/Pour-achever-le-programme-du-Medef.html