Veolia, Alstom et le tramway de Jérusalem
Veolia Environnement et Alstom, deux entreprises françaises, se considèrent-elles comme au-dessus du droit international ? C’est la question posée par quelques actionnaires-militants qui s’interrogent sur la contribution de ces sociétés à la construction d’un tramway dans la partie occupée de Jérusalem.
par Robert Kissous
Veolia, Alstom et le tramway de Jérusalem
La Défense, le 11 mai 2006 : Veolia Environnement réunit ses actionnaires au Centre des nouvelles industries et technologies (CNIT). Une trentaine de militants du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens les accueillent, avec panneaux et tracts, pour les informer de la participation de leur entreprise au projet, illégal aux yeux du droit international, de tramway à Jérusalem.
Le 17 juillet précédent, en effet, dans le bureau du premier ministre Ariel Sharon, le gouvernement israélien a signé un contrat avec un consortium de sociétés — dont Veolia et Alstom — pour la construction et l’exploitation d’une ligne de tramway reliant Jérusalem-Ouest (israélienne), via Jérusalem-Est (palestinienne), à deux colonies juives de Cisjordanie. Cette ligne est considérée comme contraire au droit international par le Conseil de sécurité des Nations unies comme par la Cour internationale de justice de La Haye. Les deux groupes français renforcent politiquement l’annexion par Israël de la Jérusalem arabe — et, de surcroît, rendent la colonisation physiquement plus facile (1).
Pour la première fois, des militants ont décidé de se battre aussi au sein des entreprises françaises, afin que celles-ci se retirent du projet. Ce matin-là, les participants qui arrivent à l’assemblée générale (AG) de Veolia Environnement lisent avec intérêt les tracts que les militants leur tendent.
Dans la salle, près d’un millier de petits actionnaires, en majorité âgés, suivent le one-man-show du président-directeur général (PDG), M. Henri Proglio, sur les excellents résultats du groupe. Vient le moment des questions-réponses. Un militant pose la question du tramway de Jérusalem : il souligne son caractère contradictoire avec le code éthique qu’affiche Veolia. Le groupe, répond en substance le PDG, ne représente que 5 % du consortium en charge, pour trente ans, de la concession d’exploitation. Soucieux de l’image de Veolia, M. Proglio assure s’être enquis de l’avis d’experts internationaux et ne pas avoir de leçon d’éthique à recevoir ; il oublie de dire qu’Amnesty International, consulté sur la participation du groupe, a émis un avis négatif. Pour le PDG, les protestations palestiniennes relèvent de préoccupations politiciennes internes. Et M. Proglio de conclure en « saluant les mille collaborateurs de Veolia qui travaillent en Israël dans des conditions très difficiles ».
Les militants ont tenté une seconde expérience, pour l’AG des actionnaires du groupe Alstom, au Carrousel du Louvre à Paris, le 28 juin 2006. Mieux organisée, l’opération — avec une grande banderole, des tracts et des pancartes — sera encore mieux reçue.
Au sein de l’assemblée, plusieurs actionnaires interviennent sur la question du tramway. L’un d’eux, venu de Londres et informé sur le projet à l’entrée, interpelle à ce propos le PDG du groupe Alstom, M. Patrick Kron. Visiblement préparé, celui-ci déroule ses « arguments » : le tramway rencontre des oppositions tardives, alors que l’appel d’offres date de 2000 ; il n’a rien à voir avec l’apartheid puisque tout le monde pourra l’utiliser ; il remplace une ligne d’autobus existante et n’implique donc pas d’expropriation. « S’il y a un jugement international, on verra, conclut-il, mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas. »
Un actionnaire reprend alors les arguments développés dans le tract et insiste sur le fait que l’Autorité palestinienne n’a pas autorisé le passage du tramway sur des terres occupées militairement. Des applaudissements soutiennent l’intervenant. Le PDG précisant qu’il ne peut pas se plaindre d’avoir emporté l’appel d’offres contre ses concurrents (Siemens et Bombardier), le débat rebondit. Un actionnaire, en référence à la position (hostile) de la Ligue arabe, s’inquiète des conséquences : « Y a-t-il un risque de perdre des contrats si Alstom reste dans ce projet, et peut-il gagner des contrats s’il s’en retire ? » Silence gêné du PDG.
Un an plus tard, l’affaire a glissé sur le terrain juridique. L’Association France-Palestine solidarité (AFPS) et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont intenté un procès à Veolia et à Alstom. Elles ont obtenu que les deux sociétés soient condamnées à produire la totalité du traité de concession, ce qu’elles se refusaient à faire. Une nouvelle audience est prévue le 15 septembre pour examiner ces documents.
Robert Kissous
Militant associatif.
(1) Lire Philippe Rekacewicz et Dominique Vidal, « Un tramway français nommé schizophrénie », Le Monde diplomatique, février 2007.