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Deux poids deux mesures ? ou Pile je gagne, face tu perds
La violation du droit international par la Russie est indiscutable. Rien d’étonnant donc à ce que des pays demandent à la Cour pénale internationale (CPI) l’ouverture d’une enquête. Ce qu’elle s’est empressée de faire se mettant en situation d’investiguer en une semaine alors que d’autres attendent toujours…
Cependant on ne peut s’empêcher de penser que le rappel du droit international par les Etats-Unis (EU) et leurs alliés occidentaux atteint des sommets d’hypocrisie inédits. On est frappés de stupeur en entendant des « experts » ou des « journalistes » clamer « l’invasion d’un état souverain est absolument inacceptable et doit être sévèrement punie » et plus encore « on n'aurait jamais pensé qu'un état souverain attaque un autre état souverain ». L’Irak, l’Afghanistan … connais pas.
La condamnation de l’invasion russe ne doit pas servir à oblitérer le reste, les violations doivent être également condamnés et en fonction de leurs gravités.
C’est ainsi que les puissances occidentales réécrivent l’histoire : l’empire du bien luttant férocement contre l’empire du mal. Tous les pays doivent plier à l’injonction et rejoindre le camp occidental. Les 27 pays africains qui ont refusé d’apporter leur voix lors de l’Assemblée générale de l’ONU sont menacés de sanctions par la présidente de la Commission européenne. Selon le vieux réflexe colonial toujours vivace l’UE prétend les gouverner. Les pays africains devraient perdre leur souveraineté et se soumettre au diktat de l’UE et des Etats-Unis ? Des pressions analogues sont exercées sur la Chine, l’Inde et d’autres encore.
S’agit-il de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie ou s’agit-il de soumettre des concurrents ?
Cela présage mal de l’avenir. Le multilatéralisme ne deviendrait plus qu’une façade une fois les concurrents du camp occidental éliminés ou réduits. Les EU retrouveraient leur hégémonie sans partage comme dans les années 90 avec, cette fois, une mondialisation nouvelle manière, à leur botte.
Personne n’est dupe : la mobilisation internationale de la coalition occidentale pour l’application du droit et l’appel à la CPI ne s’est jamais faite lorsque les EU, la France ou le Royaume Uni, Israël ou leurs amis étaient impliqués ou risquaient de l’être. Juges et gendarmes, les EU n’admettent aucune sanction : le « camp du bien » est au-dessus de la loi commune !
En 2003 George W. Bush a supprimé une aide militaire à 32 pays n’ayant pas soutenu l’exigence des EU que ses citoyens ne soient jamais traduits devant la Cour pénale internationale (CPI).
Pire encore les EU ont imposé des sanctions à la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, ainsi qu’à d’autres personnels de la CPI. Les enquêtes portant sur des ressortissants américains, israéliens et alliés ne sont jamais prises en compte. Il ne faut donc pas s’étonner que les personnes jugées soient africaines.
Ces pratiques s’appuyant exclusivement sur la force ne seraient-elles pas dictatoriales ? Et que dire du traitement réservé à Julian Assange pour avoir alerté sur les innombrables exactions et violations des droits de l’homme toujours impunis ?
Alors, même quand la référence au droit international est justifiée, on est en droit de se poser des questions : pourquoi faut-il répondre ou soutenir des appels s’ils sont à géométrie variable ? Pourquoi doit-on entériner la pratique du « deux poids deux mesures » ?
Juger Poutine ? Oui avec dans la salle d’attente Clinton, George W. Bush, Tony Blair, Obama, Netanyahou … La liste est très longue.
Sinon cela revient à dire qu’on accepte l’impunité des plus puissants. Pourquoi le devrait-on ? Et au nom de qui et de quoi les pays devraient abandonner leur souveraineté et se soumettre à la « géométrie variable » occidentale ?
La contestation du « deux poids deux mesures » en matière de droit international n’est pas la simple expression d’une injustice. Elle va plus loin en questionnant : pourquoi devrait-on se plier aux injonctions des plus forts ? Pourquoi faut-il danser sur leur musique quand ils décident de la jouer ?
Une fois les rivaux des EU soumis les pays du Tiers Monde savent ce que ça leur coutera. Ils l’ont vu déjà lors de la pandémie quand les pays riches se réservaient tous les stocks de vaccins et refusaient la levée des brevets. Ils le voient aussi avec les conséquences des sanctions considérables contre la Russie et leurs graves retombées sur leur économie avec l’insécurité alimentaire pour leur population.
La référence au droit international est instrumentalisée devenant l’expression d’un rapport de force, et aujourd’hui principalement l’expression de l’hégémonie des Etats-Unis. En fait il n’y a pas deux poids deux mesures mais une seule : l’intérêt de l’impérialisme dominant.
Le droit international est précieux, il mérite le respect. Il est le fruit d’un travail important commun à de très nombreux pays, l’expression du multilatéralisme naissant et en développement. Nous ne devons pas accepter son instrumentalisation le réduisant à un moyen de pression sur les plus faibles tout en laissant impunis les plus forts.