Je précise que je suis vacciné et content de l'être. Il ne s’agit pas ici de discuter la pertinence du vaccin.
Pour mon grand-père, le héros, c’était les masses laborieuses. Celles qui avaient obtenu les congés payés, foutu dehors Alphonse 13 et le Tsar de toutes les Russies. Tout mouvement était collectif et la force de l’individu (c’était un anar quand même) sa capacité à intégrer le mouvement.
Après Guerre, certains diront grâce au plan Marshall et aux westerns, le mythe du héros solitaire s’est imposé comme un fondement à notre culture. Un homme ou un petit groupe, par une action déterminée, le plus souvent violente, bouleverse le destin collectif.
Tel le cowboy solitaire qui délivre la cité de l'injustice, tel Russel Crowe (AKA Maximus) qui bouleverse le destin de Rome, tel Luke Skywalker qui met à bas l'Empire, tel les Batman, Superman, Spiderman et même un facteur, The Postman… C’est toujours l'action et l'individu qui compte. Le collectif est une somme d’où émerge parfois un homme (c’est quand même souvent un homme) providentiel.
A partir des années 30, Walter Lippmann essaye de dessiner un chemin entre un libéralisme qui a conduit la crise de 29 et la montée des totalitarismes. Ce sera le néoliberalisme ; le TINA de Thatcher et du cowboy Regan, l’Europe libérale, la mondialisation. Dans ce contexte, alors que les dernières générations formées à l’idéologie collectiviste (la patrie, les masse laborieuses, l’internationale, le peuple, la résistance…) ont désormais disparu, il semble naturel que la vaccination soit une affaire individuelle. D’ailleurs tout est affaire de choix individuel. Le néolibéralisme, c’est juste ça.
La résonance entre l'idéologie néolibérale et la culture individualiste des cowboys et autres super-héros, amène les gouvernements à considérer qu'il est préférable de guider les gens vers le bon choix grâce à une stratégie de communication et la juste dose de contrainte plutôt que de prendre des décisions tranchées.
Or ce que montre cette crise, c’est justement que la vaccination n'est pas une affaire de choix individuel. Nous ne recherchons pas une protection individuelle. Nous recherchons une protection collective. C'est donc un choix collectif. Et c’est d’ailleurs un choix que le gouvernement aurait été tout à fait en mesure de faire. Après avoir imposé, fermetures administratives, couvre feu et confinements, rendre la vaccination obligatoire n'était sans doute pas insurmontable.
En refusant de le faire, en choisissant le passe sanitaire, plutôt qu’un passe vaccinal, le gouvernement prend une posture profondément idéologique. Il faut contraindre les gens à admettre que la vaccination est le seul choix raisonnable. Il faut leur apprendre à choisir comme il faut.
Bref au lieu de prendre une décision qui aurait soulevé la question de sa légitimité, le gouvernement pond une mesure aux vertus éducatives douteuses, un peu comme ces parents qui achètent des bonbons pour interdire ensuite aux enfants d’en manger. Un peu comme ces conditions générales d'utilisation qu'il n'est pas prévu qu'on refuse.
Il est temps d’admettre que cette façon de faire est néfaste. Elle fracture la société, génère de la frustration et décrédibilise les institutions. Les gens ne votent plus. La contestation est permanente. Toute parole publique est remise en cause avant même d’exister. Les grands changements structurels n’ont pas lieu. La soupçon de corruption est total.
La crise du Covid, la transformation du monde, nécessitent de prendre des décisions collectives fortes, rencontrant une adhésion massive ; de redonner un sens aux choses, les moyens de l’action, le sens du collectif. En choisissant la voix idéologique alors qu’il avait le dos au mur, le gouvernement nous éloigne encore une fois de cette perspective de refondation démocratique. Face à cela, il devient urgent de se demander jusqu’où on devra plonger en absurdie pour ne pas renoncer à l’idéologie de Lippmann ? Jusqu'au contrôle social ?