SYNTHÈSE DES OBSERVATIONS CRITIQUES DU LINGUISTE-TERMINOLOGUE ROBERT BERROUËT-ORIOL À PROPOS DE L’APPUI PUBLIC DE MICHEL DEGRAFF AU CARTEL POLITICO-MAFIEUX DU PHTK EN HAÏTI
Par Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Montréal, le 9 novembre 2022
Pour que le débat d’idées soit un débat objectif, argumenté et documenté, il est nécessaire d’identifier les documents pertinents, de les lire avec attention et d’exercer son esprit critique-analytique avec clarté. Le débat d’idées objectif, argumenté et documenté s’oppose au « voye monte », au « chire pit » et aux inadmissibles « attaques personnelles ». Le libre exercice de l’esprit critique-analytique est au fondement de l’enrichissement du débat d’idées.
VOLET POLITICO-IDÉOLOGIQUE
(1) Michel DeGraff est le seul linguiste haïtien qui accorde publiquement son soutien au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste à travers la propagande qu’il mène en faveur du PSUGO. Cette incontestable réalité est attestée dans les documents suivants que chacun peut librement consulter :
(a) L’article de Michel DeGraff « La langue maternelle comme fondement du savoir : L’Initiative MIT-Haïti : vers une éducation en créole efficace et inclusive », paru dans la Revue transatlantique d’études suisses, 6/7, 2016/2017 (lien : http://linguistics.mit.edu/wp-content/uploads/degraff-2017-langue-maternelle-comme-fondement-du-savoir-MIT-Haiti.pdf).
(b) La vidéo postée sur Youtube par Michel DeGraff le 5 juin 2014 dans laquelle il fait ouvertement la promotion du PSUGO : « Gras a pwogram PSUGO a 88% timoun ale lekòl ann Ayiti » (« Grâce au PSUGO 88% des écoliers haïtiens sont scolarisés en Haïti »). Lien : https://www.youtube.com/watch?v=nKGDz4uFN-Q
(c) Le PSUGO (Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire), qui a été très largement dénoncé en Haïti par les enseignants et les associations d’enseignants, s’est révélé être une vaste entreprise de dilapidation des ressources financières de l’État haïtien (voir les remarquables enquêtes de terrain d’AlterPresse diffusées en Haïti en juillet 2014, « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (I - IV) / Un processus d’affaiblissement du système éducatif… » ; voir aussi le rigoureux article de Charles Tardieu, enseignant-chercheur, ancien ministre de l’Éducation nationale d’Haïti, « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », Port-au-Prince, 30 juin 2016).
En dépit de la relative rareté de données financières fiables relatives au PSUGO, l’on retiendra que « dans le cadre de ce projet de Fonds national pour l’éducation (FNE), le CONATEL a collecté une somme de 48 557 695,93 dollars américains auprès des compagnies téléphoniques pour la période allant du 15 juin 2011 au 7 mars 2013. D’autre part, « (…) Il faut souligner que ces 48.56 millions de dollars encaissés à date par le CONATEL ne comprennent pas les frais de 1,50 dollar américain perçus sur les transferts entrants et sortants. Ces frais sont recueillis par la Banque de la République d’Haïti (BRH), toujours dans le cadre du FNE qui n’est toujours pas ratifié par le Parlement » (voir l’article « Haïti-Économie : plus de 120 millions $US maintenant au FNE… À quand l’utilisation saine de ces millions de dollars ? », Radio Vision 2000, 11 mars 2013).
(2) Michel DeGraff, propagandiste récidiviste, a récemment renouvelé son appui public au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste dans un article paru sur le New York Times le 14 octobre 2022. Cet appui a été publiquement dénoncé le 18 octobre 2022, depuis Port-au-Prince, par le romancier Lyonel Trouillot. Le réquisitoire de Lyonel Trouillot a pour titre « Voye yon minis monte se sipò objektif pou pwopagann gouvènman an » (Potomitan, 21 octobre 2020). La courageuse et éclairante prise de position de Lyonel Trouillot est également parue sur les sites suivants entre le 18 et le 21 octobre 2022 : Fondas kreyol (Martinique) : « Voyé yon minis monté sé sipò objektif pou pwopagann gouvènman an » ; Haïti-Reference info (États-Unis) : « Voye yon minis monte se sipòte gouvènman li ladan n lan » ;
Madinin’Art (Martinique) : « Le romancier et essayiste Lyonel Trouillot dénonce le soutien de Michel DeGraff au PHTK néo-duvaliériste ».
Il est essentiel, comme l’énonce rigoureusement Lyonel Trouillot, de noter que le renouvellement de l’appui public de Michel DeGraff au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste intervient dans un contexte de durcissement de la criminalisation du pouvoir d’État détenu par le PHTK, de l’emprise grandissante des gangs armés sur le territoire national et de la demande du gouvernement illégitime et inconstitutionnel d’Ariel Henry d’une nouvelle intervention militaire en Haïti.
(3) Il est nécessaire d’élargir le débat d’idées à l’intégrité scientifique de Michel DeGraff. Dans un « post » sur Facebook daté du 8 août 2022, Michel DeGraff soutient frauduleusement, au sujet de son allégation « Gras a pwogram PSUGO a 88% timoun ale lekòl ann Ayiti », qu’il s’est fié aux données contenues dans un document institutionnel du PNUD. Il s’agit du « Rapport OMD 2013 – « Haïti un nouveau regard » en date du 25 juin 2014 (lien : https://www.undp.org/fr/haiti/publications/rapport-omd-2013-haïti-un-nouveau-regard). C’est donc bien un document officiel du PNUD et curieusement son « Introduction » a été signée par Laurent Lamothe, l’un des plus grands caïds du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste.
Dans ce rapport officiel du PNUD, il est écrit que « Le taux net de scolarisation dans le primaire a progressé continuellement, passant de 47 % en 1993 à 88 % en 2011. » Le PNUD ne fournit pas les sources documentaires spécifiques à l’appui de ces statistiques. Dans le « Résumé exécutif » et dans le « Rapport complet » datés du 25 juin 2014 ET que j’ai consultés intégralement, je n’ai trouvé nulle trace de l’affirmation de Michel DeGraff selon lequel « Gras a pwogram PSUGO a 88% timoun ale lekòl ann Ayiti » (« Grâce au PSUGO 88% des écoliers haïtiens sont scolarisés en Haïti »).
(4) Encore une fois, il est nécessaire d’élargir le débat d’idées à l’intégrité scientifique de Michel DeGraff. Plusieurs questions doivent ainsi être posées : Michel DeGraff –dans le but d’accréditer son appui public au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste--, est-il un faussaire, aurait-il fabriqué de toutes pièces une argumentation tronquée en faisant dire au PNUD que « Grâce au PSUGO 88% des écoliers haïtiens sont scolarisés en Haïti » ? Le PNUD est-il au courant que Michel DeGraff a fait un usage frauduleux de son document du 25 juin 2014 pour fabriquer de toutes pièces une fausse information selon laquelle « Grâce au PSUGO 88% des écoliers haïtiens sont scolarisés en Haïti » ? Est-ce pour Michel DeGraff une nouvelle façon de « décoloniser la linguistique » que de fabriquer de toutes pièces une fausse information pour apporter un indéfendable soutien au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste ?
(5) De la vidéo propagandiste pro-PSUGO postée sur Youtube le 5 juin 2014 par Michel DeGraff à son article paru dans la Revue transatlantique d’études suisses en 2017, huit années ont passé. Comment Michel DeGraff explique-t-il qu’en huit ans il n’ait pas été en mesure de vérifier la crédibilité des statistiques du PNUD ? Incontournable, cette question doit être posée en lien avec le fait avéré que Michel DeGraff est un propagandiste récidiviste pro-PHTK qui mène campagne contre la « francofolie » et l’usage scolaire du français dans le système éducatif haïtien. Selon Michel DeGraff, « (…) la Francophonie est un autre exemple où certaines langues (dans ce cas, le français) jouent un rôle clé dans la promotion d’intérêts politiques et économiques qui avantagent certains groupes au détriment d’autres groupes. (…) c’est la majorité de notre population en Haïti qui souffre de ce « schibboleth » francophile — et cette francophilie est une des causes profondes de notre sous-développement (« Il est impossible d’éduquer un peuple dans une langue qu’il ne parle pas » (Potomitan, 15 août 2019.)
(6) Michel DeGraff intervient souvent dans le débat linguistique haïtien sur le mode d’un croisé évangéliste vindicatif, arrogant, sectaire et dogmatique en lutte contre la « francofolie », la langue française et le l’usage scolaire du français dans le système éducatif haïtien. Il est toutefois l’auteur d’un intéressant article qui doit être lu avec attention : « Against Apartheid in Education and in Linguistics: The Case of Haitian Creole in Neo-Colonial Haiti » paru dans « Decolonizing Foreign Language Education - The Misteaching of English and Other Colonial Languages » (Edited by Donaldo Macedo- Published by Routledge in 2019). Au paragraphe intitulé « Against Linguicism as the New Racism », il rapporte la citation suivante :
« (…) it is not the English language that hurts me, but what the oppressors do with it, how they shape it to become a territory that limits and defines, how they make it a weapon that can shame, humiliate, and colonize » (Hooks, 1994: 167, as quoted in Macedo, this volume, p. 29). » / « (…) ce n'est pas la langue anglaise qui me heurte, mais ce que les oppresseurs en font, comment ils la façonnent pour en faire un territoire qui limite et définit, comment ils en font une arme qui peut faire honte, humilier et coloniser ». [Ma traduction]
Il est inhabituel de trouver ce type de référence concernant l’anglais sous la plume de Michel DeGraff, pour qui il n’existe en Haïti qu’un seul pouvoir « colonial », une seule « langue coloniale », le français. Cette mention de l’anglais, « une arme qui peut faire honte, humilier et coloniser », signifie-t-elle que Michel DeGraff aurait entrepris dès 2019 une réflexion sur le rôle de l’Aigle impérial américain en Haïti mais qu’il s’abstient d’en faire une critique politique publique pour des raisons idéologiques et de positionnement professionnel ?
(7) L’un des effets directs du soutien public de Michel DeGraff au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste est de décrédibiliser l’obligation qu’a l’État d’aménager le créole dans le système éducatif national. Également, sur le plan jurilinguistique, un tel soutien public de Michel DeGraff au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, à travers son appui au PSUGO, décrédibilise le droit à la langue maternelle créole dans l’École haïtienne : plutôt que d’être promu en raison de son caractère constitutionnel, ce droit est enfermé dans la « technicité » de l’idée de l’apprentissage en langue maternelle créole, il est réduit à la répétition exponentielle d’une homélie sur la nécessité de l’apprentissage scolaire en langue maternelle créole (voir mon article « Partenariat créole/français – Plaidoyer pour un bilinguisme de l’équité des droits linguistiques en Haïti », Le National, 7 novembre 2019 ; voir aussi mon article « Stigmatisation du créole, code noir et populisme linguistique », Le National, 27 septembre 2022).
RAPPORTS ENTRE LE POSITIONNEMENT POLITICO-IDÉOLOGIQUE DE MICHEL DEGRAFF ET LE NAUFRAGE DE LA LEXICOGRAPHIE CRÉOLE AU MIT HAITI INITIATIVE
Il faudra ultérieurement réactualiser le bilan des rapports entre le positionnement politico-idéologique de Michel DeGraff et le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative. Michel DeGraff et son équipe –qui ne comprend aucun lexicographe ayant produit des études lexicographiques sur le créole, aucun traducteur scientifique ni terminologue spécialisé de l’anglais vers le créole--, tente depuis plusieurs années de parachuter dans le système éducatif haïtien, avec l’aide du PHTK néo-duvaliériste, son très médiocre « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative ».
(8) À l’aide des instruments d’analyse de la lexicographie professionnelle, j’ai rigoureusement démontré --entre autres dans l’article « Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative » (Le National du 15 février 2022)--, que le « Glossary » de Michel DeGraff et son équipe est une œuvre pré-lexicographiqued’une grande médiocrité sur le plan scientifique et j’ai noté qu’aucun linguiste haïtien ne l’a recommandé pour l’enseignement en créole des sciences et des techniques. Ce « Glossary » a été élaboré en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle sur le mode d’un pseudo « modèle » de type Wikipedia tout à fait inconnu en lexicographie professionnelle et dans les Facultés de linguistique et de traduction à travers le monde. Erratiques et fantaisistes, la plupart des équivalents « créoles » de ce « Glossary » ne peuvent être compris des locuteurs du créole. Exemples : « pis kout lè // pis ayere », « epi plak pou replik sou », « dyagram fòs », « gwoup emik », « fòs volay », « kouran ki endui », « echikye Punnett mono-ibrid pou yon jèn ki lye ak sèks »…
La non-conformité au système morphosyntaxique du créole des pseudo équivalents « créoles » du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » constitue l’une de ses plus lourdes lacunes conceptuelles et méthodologiques : il est « techniquement » impossible, il est linguistiquement improbable que des locuteurs créolophones aient inventé et, pire, bricolé des équivalents soi-disant « créoles » essentiellement agrammaticaux, sémantiquement opaques et qu’aucun créolophone haïtien ne peut comprendre. Cela n’a pas empêché Michef DeGraff de soutenir frauduleusement que ces équivalents « créoles » auraient été créés sinon validés par de nombreux enseignants haïtiens --« plis pase 250 anseyan ki te patisipe nan atelye MIT-Ayiti depi 2012 » (voir son article « Verite se tankou lwil nan dlo », Le National, 10 février 2022).
En guise de conclusion à cette « Synthèse », j’estime utile d’inclure dans le cheminement de la réflexion critique d’une part la problématique de la « didactisation » du créole et, d’autre part, celle de la production d’une lexicographie créole de haute qualité scientifique (voir là-dessus mes articles « Aménagement et « didactisation » du créole dans le système éducatif haïtien : pistes de réflexion », Le National, 24 janvier 2020, et « Plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique », Le National, 14 décembre 2020. La problématique de la « didactisation » du créole a fait l’objet d’un livre collectif de référence, « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol et al., Éditions du Cidihca, Montréal, et Éditions Zémès, Port-au-Prince, mai 2021).