Si l’on pouvait, pendant la présente campagne électorale, installer l’Usbek et le Rica des « Lettres Persanes » devant nos écrans, près de nos radios, nos principaux journaux sur les genoux, ces hommes sages et curieux, avides de comprendre, tomberaient de haut et ne seraient pas moins surpris qu’ils ne le furent au 18° siècle en découvrant l'occident. Et ce n’est pas une question de décalage historique, je le serais tout autant si je ne disposais d’autres sources. Qu’apprendraient sur nos pays, que pourraient-ils bien écrire sur la France et l’Europe à leurs amis, eunuques et concubines restés au pays ?
Ils comprendraient certes qu’un mal étrange frappe le continent, la dette, peste sournoise surgie soudain sans autre cause qu’endogène et contre laquelle nul ne peut rien sinon rembourser et vite. Ils s‘étonneraient que le dieu marché face trembler même les rois que ses prophètes stigmatisent activement à coup de notations étranges. Ils constateraient que le remboursement impose de serrer la ceinture puisque, de leur propre aveu, tant de pays dont le nôtre se vautrent dans la facilité, la paresse et le gaspillage, désireux de vivre au-dessus de leurs moyens, payant trop grassement les travailleurs, d’où fermetures d’usines, renâclant à travailler au-delà de soixante ans, trouvant normal de vivre plus vieux et de ne rien faire, en voulant toujours être soignés gratuitement et munis de services publics gratuits pour tous. Montesquieu les a faits assez subtils pour qu’ils soupçonnent là quelque contradiction à vouloir faire travailler des vieux lorsque tant de jeunes sont au chômage, ils ont au moins l’excuse de ne pas savoir combien le dieu marché retire de la retraite par épargne ou de l’assurance santé privée. Sans doute se demanderaient-ils pourquoi dans un pays plus riche que jamais les populations sont plus mal traitées que jamais sans que l’on ne demande jamais rien aux quelques-uns qui sont de plus en plus riches. Eux ne savent pas que ce dieu marché n’est pas un souk géant où l’on commerce, mais un marché financier d’essence divine, virtuel, qui veut tout l’argent pour s’enrichir au géant casino du ciel et rêve d’une société entièrement dépouillée pour sa plus grande gloire. Malgré le décalage dans l’espace et le temps ils seraient peut-être moins lunaires qu’un grand nombre d’électeurs, votants ou non, trop bien sermonnés pour ne pas poser ces questions.
Mais ce qui les interloquerait bien plus c’est de constater que tous les grands partis en course sont d’accord sur l’essentiel, à quelques nuances près, gant de fer ou gant de velours mais gant quand même, tous voyant le salut dans le pilotage européen et l’austérité généralisée, les uns estimant qu’on ne serre pas assez la vis, les autres qu’il faut effectivement la serrer mais avec plus d’égards, les uns scandalisés que l’on supporte encore des cohortes parasitaires assistées, voire des fraudeurs jouant aux pauvres pour en tirer avantage, les autres se faisant un devoir de les aider avec les miettes restantes, tous soucieux de combattre les envahisseurs externes, les uns par devoir pénible mais inéluctable contre des malheureux, les autres par nécessité de vaincre une infestation que beaucoup désignent comme la cause de leurs maux. Les vérités de foi ne se discutent pas, tous voient le salut dans la politique menée par l’Union Européenne, pensent que la dette est sacrée et qu’il suffit de l’honorer pour être heureux. Nul ne songe à changer la formule, elle fonctionne depuis des décades et si elle s’accélère c’est que le salut mondial n’est plus très loin. Si les pays qui ont le mieux suivi le traitement ne sont pas très bien, Grèce et Espagne par exemple, c’est qu’ils l’ont fait tardivement, en traînant la savate et sans vraiment y mettre du leur. Tel est le message que psalmodient plus de cinq fois par jour les muezzins des medias.
Toutefois ces bons musulmans fidèles à Allah comprendraient mal que les émirs européens aient pu céder le pouvoir au dieu païen dit marché financier au point de n’être plus maîtres des dépenses et des recettes nécessaires à l’accomplissement de leur mission et au service des leurs. Les roumis ne s’en étonnent pas, le savent-il ? Ils trouveraient kamikazes nos candidats qui, insoucieux des dangers, courent au pouvoir avec ardeur à l’inverse de roi des troglodytes des mêmes « Lettres Persanes » lequel une fois désigné, tel le cardinal « d’Habemus Papam », se désespérait d’avoir lésé le peuple et ne se sentait pas à la hauteur. Eux se sont groupés en deux grandes guildes spécialisées dans la conquête des sièges, moins semble-t-il par idéologie que par souci d’efficience et qui en guise de programme appellent à voter pour eux les uns pour continuer sur le même chemin en épierrant autant que possible, les autres pour empêcher que le succès des premiers et leur souci d’épierrage ne ralentisse trop la marche.
La campagne déblatère, invective, cajole mais n’analyse rien, ne pose aucun problème de fond, ne tire aucun bilan des expériences en cours, ne propose aucune solution, n’apporte pas au peuple l’information nécessaire à l’exercice de sa souveraineté mais pour seulement, la peur aidant, lui demander un chèque en blanc : faites-moi confiance. Ils existe quelques voix discordantes plus soucieuses d’informer que de gagner ma is, réduits à nos medias, nos subtils Persans, à travers les flonflons et les rodomontades du cirque, les auraient-ils mieux perçues que l’ensemble des électeurs ? Auraient-ils décrypté les images caricaturales faites pour contrer, brouiller, ridiculiser ?
Auraient-ils mieux su à la fin de la campagne ce qu’est la dette souveraine, d’où elle vient, à qui elle profite. Auraient-ils réappris que Giscard d’Estaing sous la Présidence de Pompidou, ancien de la banque Rothschild , a, dès 72 en France, dans le sillage des USA, "libéré" les banques des Etats et soumis les Etats aux banques en les privant du droit régalien sur la monnaie, et qu’avec la BCE toute l’Union a fait le même choix dont personne depuis 40 ans ne souffle mot, feignant de croire que les dettes souveraines sont une catastrophe naturelle à génération spontanée et pour laquelle aucun remède n’existe encore.
Auraient-ils pu déduire de l’exemple grec le rôle de la troïka infernale, banques- FMI- Europe, au service d’une crise déclenchée "artificiellement" alors que la situation du pays restait maîtrisable, par volonté délibérée de quelques spéculateurs qui s'engraissent incroyablement sur les dettes. Auraient-ils perçu l’entêtement de tous les pouvoirs libéraux, de droite comme de gauche, à refuser de juguler et réglementer la liberté totale laissée aux spéculateurs, à n’envisager sérieusement aucune régulation des "produits dérivés", chef d’œuvre financier et aberration économique s’il en est, sans parler de leur parfaite connivence pour, non seulement ne jamais remettre en cause mais même seulement d’évoquer le fait qu’eux-mêmes ont offert ces pouvoirs aux spéculateurs sans contrepartie ni nécessité pour les peuples et les Etats, au contraire, et cela de de longue date et de manière sans cesse accentuée. Sauraient-ils mieux que ce sont les Etats souverains qui se sont mis entre les griffes de la finance et permis la naissance des dettes souveraines, oxymore du pouvoir régalien comme de la souveraineté des peuples, qu’ils se sont eux-mêmes offerts en pâture et qu’ils ont sacrifié leurs peuples et la démocratie sur l’autel du veau d’or.
Auraient-ils compris qu’il est radicalement impossible de rembourser la dette et d’opérer la reprise pour n’en pas contacter d’autres autrement que par accroissement de la compétitivité universelle, qu’ils l’ont voulu en mettant en place, parfois contre les peuples comme en France, ou sans rien leur demander comme ailleurs, des mesures telles que « la concurrence libre et non faussée » qui contraint à défaire les services publics indispensables à la nation (pas de dépenses autres que pour les finances), à honorer les emprunts ou à organiser la relance uniquement par baisse des coûts du travail, ce qui à terme aligne tout travailleur sur le moins disant mondial et de l’Europe des partenaires fait une Europe de concurrents. Auraient-ils constaté comme les mêmes veillent (cf conseils à la Grèce) à ce que n’augmentent pas les impôts des riches faute de quoi les actionnaires n’alimenteraient plus les bulles seule exception, la TVA qui par compensation représente l’essentiel de l’impôt mais qui est payée par tous et, proportionnellement, plus par le pauvre que par quiconque.
Sauraient-ils enfin la nature des récentes mesures, MSE et "règle d'or" qui dessaisissent peuples et parlements de l’acquis Révolutionnaire du vote du budget repris sur le Roi, par qui et grâce à qui elles ont été adoptées chez nous, par les mêmes qui ont fait gonfler la dette d'année en année tout en connaissant le mécanisme, et pourquoi elles ont été adoptées, pour maintenir la politique sociale et économique dans les mêmes rails.
Auraient-ils entendu dire que le chômage dont on ne parle pas dans la campagne, toutes les autres promesses et les espoirs suscités par l’idée du « changement » ne sauraient être tenus qu’en remettant dans le circuit économique la finance massivement égarée dans les spéculations, et en assurant la reprise autrement que par la compétitivité universelle accrue, source au contraire de la récession comme tous peuvent constater partout.
Pendant que se prépare au grand jour en Europe un véritable coup d’Etat, préparé pièce par pièce et de longue date, « l'Europe mettra sous tutelle de son administration les Etats et parlements incapables d'appliquer le programme Européen », la campagne législative se déroule comme un jeu de chaise musicale, sans souci des causes réelles de la crise, dans l'inconscience des dégâts inhérents au système pourtant criants en Grèce comme en Espagne, les uns sans avouer qu'ils sont plus que complices du système mis en place depuis quarante ans, les autres fiers de ce système et de cette politique qu'ils rêvent encore de renforcer, tout émerveillés des prodiges réalisés pendant cinq ans par NS, certains agitant le leurre de l'émigré comme seul responsable, tous couvrant le bruit que pourraient faire ceux qui parlent autrement, employés , tous blocs confondus, à abattre ceux qui parlent au peuple au risque de provoquer l’effondrement du système à produire l’alternance, (M.Aubry incapable de remplacer S. Andrieux dans un coin où le FN est fort n'appelle pas à voter pour l'un des candidats de gauche, Libé et le nouvel obs tirent dans le dos de Melenchon qui affronte le FN ...) N’en ressort-elle pas suffisamment claire la frontière qui sépare la gauche de la droite ? Et la volonté républicaine et démocratique de parler au peuple non pour le bercer dans ses bras mais pour l’informer, l’éclairer et lui rendre la souveraineté qu’il a perdu inconsciemment tandis que le libéralisme en privait sciemment ses mandants, les Etats.
Ces législatives ne sont pas digne d’une démocratie et qu’en reste-t-il dans ce contexte européen. Les promesses ne seront pas tenues, et ceux qui les font le savent mieux que quiconque, puisque rien n'est entrepris sur le fond pour que la crise galopante se tarisse. La charpente de la vieille maison est mangée aux termites, mais on se garde bien de le dire si ce n’est de le voir, on ne désinfectera pas, on va repeindre par-dessus. Pauvre Europe, pauvre pays, pauvre campagne, en sortira-t-il assez de contestataires pour pousser le Président vers la bonne porte ?