Borloo : le retour
Dans le cadre de la mobilisation nationale qu'il souhaite à propos de la politique de la ville, notre Président de la République avait confié , en novembre 2017 et pour mars 2018, à Jean-Louis Borloo, ancien ministre de la Ville et initiateur, en 2003, de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) une mission sur ce thème ; il devait la conduire en étroite relation avec le ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard et son secrétaire d'Etat, Julien Denormandie en s’appuyant sur les services du CGET et de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), de façon à dresser un état des lieux concret et complet fondé sur des données statistiques et selon quatre axes ainsi définis :
- les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) cumulent des difficultés ;
- la prise en charge des habitants des QPV par les politiques publiques ;
- les quartiers de la politique de la ville ont des potentiels quil faut identifier et mettre en oeuvre ;
- les besoins de ces quartiers sont insuffisamment objectivés.
En parallèle, dix groupes de travail avaient été mis en place sur thématiques suivantes :
- évaluation et indicateurs de suivi (co-piloté par Jean-François Cordet, président de l’ONPV) ;
- secteur associatif ;
- image des quartiers ;
- apprentissage et formation professionnelle ;
- emploi ;
- orientation et parrainage ;
- culture ;
- lutte contre les discriminations ;
- éducation ;
- sport.
Ces groupes de travail devaient être suivis par le Conseil national des villes (CNV) et par les associations d’élus, l'ONPV travaillant notamment avec I'INSEE, l’Agence nationale du renouvellement urbain et l’Union sociale de l’Habitat pour aboutir à des indicateurs permettant d’évaluer les évolutions de la situation de ces quartiers prioritaires. Chaque groupe de travail comprenait une douzaine de membres (élus, associations, entreprises, institutionnels, citoyens, experts). Il bénéficiait de deux copilotes et d’un animateur, ces travaux bénéficiant du soutien et de l’accompagnement des équipes du CGET et du ministère compétent.
Si le passé ministériel et les activités municipales à Valenciennes de Jean-Louis Borloo le rendaient assurément apte à une telle mission et quoiqu'il se soit retiré de la vie politique proprement dite depuis 2014 pour cause de maladie, on ne peut s'empêcher de penser que ce choix était aussi à certains égards un geste politique en direction du Parti centriste (UDI) où, aux côtés de François Bayrou (dont la vie ministérielle récente fut des plus brèves), Jean-Louis Borloo continue à tenir une place non négligeable. On pourrait en trouver une preuve indirecte dans le "fake new", d'un goût plus que douteux, dont il vient d'être victime, il y a quelques jours (le 20 avril 2018), avec l'annonce, bien entendu fausse, du décès de son épouse, Béatrice Schönberg.
Pour ce qui est de la remise au Premier ministre de son rapport de 160 pages intitulé « Vivre ensemble, vivre en grand la République. Pour une réconciliation nationale », de son seul fait ou non, Jean-Louis Borloo n'a pas manqué une mise en scène intéressante de cette circonstance. Au matin du 26 avril 2018, il est en effet arrivé à pied à Matignon où il a été, à en croire les journalistes qui ont été témoins de la scène, ni accueilli à son arrivée ni raccompagné à sa sortie. Le couple que forment E. Philippe (1,94 m) et J.L. Borloo (1,67 m) est à vrai dire un peu cocasse !
« Vous savez ce que vous allez en faire ? » a -t-on demandé à Edouard Philippe sur Europe 1. « Ben, je vais le lire ! » a prudemment répondu le Premier ministre qui bien entendu en connaissait déjà l'essentiel. Pour savoir ce que le gouvernement finira par en retenir, il faudra attendre le discours sur la politique de la ville que notre Président devrait prononcer mi-mai.
Selon quelques-uns de ces mêmes journalistes témoins, l'ancien Ministre de la ville et de la cohésion sociale de Jacques Chirac a néanmoins témoigné de sa tranquillité d'esprit quant au contenu de son texte, sans toutefois perdre sa verve habituelle : « Je n'ai aucune espèce d'inquiétude. À chaque fois que quelque chose est robuste et pertinent, il n'y a pas de problème. ». Il n'a pas non plus fait mystère de divers aspects de son rapport tout en signalant les responsabilités de certains dysfonctionnements qu'il dénonce.
J.L. Borloo dans son rapport n'est pas tendre pour certains aspects de la politique actuelle et on comprend, de ce fait, la prudente réserve de l'accueil par le Premier ministre. La division par deux des emplois aidés, annoncée sans ménagement en début de quinquennat, a provoqué le chaos dans les associations des "quartiers" relevant de la politique de la ville : « Les associations pallient souvent la faiblesse des pouvoirs publics dans ces territoires qui en ont tant besoin : l’activité éducative et culturelle, le rattrapage scolaire, l’accompagnement а l’emploi, l’informatique, la bureautique, les activités sportives, l’aide а la parentalité, etc. Or les associations sont au bord du burn-out.
Les contrats aidés – « qu’on devrait qualifier d’aidants » – ont été divisés par quatre. Le rapport demande donc de sanctuariser le nombre de « parcours emploi compétence » (les PEC, ce contrat aidé unique conçu par le gouvernement) au niveau de 2017, afin d’« éviter une hémorragie dramatique touchant les parcours d’insertion ».
L'éphémère ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi de Nicolas Sarkozy, (du 18 mai au 19 juin 2007), n'a pas hésité en effet à "allumer" ses anciens services de Bercy, sur le ton de la colère froide :
« C'est 40.000 emplois par an, ça n'emmerde personne, et pourtant l'État met seulement trois balles. C'est le plus grand chantier civil de l'histoire... et on a réussi à l'arrêter ! ». À qui en imputer la responsabilité ? La réponse est nette ! « Je l'impute à la désinvolture et à la bureaucratisation de Bercy. Ils ont pris le pouvoir. C'est fou ! Ils ont même fait croire qu'on avait mis beaucoup d'argent, alors que ça s'est arrêté sans que personne ne s'en rende compte. Pas une grue n'est arrivée ! ». Après le "verrou de Bercy", voici "les véreux de Bercy" !
Bien des points de ce rapport vont donc déplaire à certains ! Rendons toutefois justice à Jean-Louis Borloo qui propose notamment de remplacer l’Agence de rénovation urbaine (ANRU) qu'il avait lui-même créée en 2003, par une « Fondation » [ ce qui, entre nous n'est guère mieux ! ] regroupant les collectivités territoriales, les financeurs ainsi que les partenaires sociaux et bailleurs, et bénéficiant d’actifs et de ressources d’Action Logement, ( l’ex-1 % Logement depuis 2010, acteur privé du logement social).
Si Jean-Louis Borloo ne fait pas mystère de ses sentiments et de ses opinions, il ne manque cependant pas d'humour puisque le titre du développement qui sert d'introduction à son volumineux rapport est : " L'heure n'est plus aux rapports d'experts, l'heure est à l'action"
Wait and see mais vu les circonstances, pour le salut et la bonne "marche" de la majorité, la discrétion sera assurément de rigueur !