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Billet de blog 2 février 2018

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Cheval ou tapis volant ?

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Cheval ou tapis volant ?

Bien malin qui comprend quelque chose aux insondables mystères de ce qui fut autrefois « l'Arabie heureuse ». Il me faut donc expliquer d'un mot, liminaire, cet étrange titre que les complications ultérieures de la situation auront sans doute fait oublier très vite.

Cheval volant ? Vous vous souvenez sans doute que Mahomet, endormi à la Mecque près de la Ka'bah, fut un beau jour réveillé par l'ange Gabriel et accomplit alors le voyage vers Jérusalem juché sur Bouraq, un cheval volant. Quant au  "tapis volant", ce n'est en rien celui d'Aladdin, mais le nom d'une opération qui de 1948 à 1954 permis à près de 50 000 Juifs yéménites de gagner Israël dans le cadre de la Alya.

En 1949 en effet, Israël, à peine créé, organisa une opération de grande envergure qui permit aux Juifs yéménites de gagner Israël. La plupart des quelques milliers de Juifs qui étaient restés au Yemen rejoignirent alors Israël dans le cadre d'autres opérations qui s'échelonnèrent jusqu'en 1954. 

Certes avant même la fondation de l'Etat d'Israël, des Juifs yéménites étaient déjà montés vers le Nord par de longs et pénibles périples à travers le désert. A la suite de la proclamation de l'ONU, les Arabes d'Aden, qui s'opposaient à cette décision, s'en prirent violemment aux Juifs (pogrom d'Aden en décembre 1947). Les menaces se multiplièrent et les Juifs d'Aden comme du reste du Yemen se sentirent en danger. 

En mai 1949, le nouvel imam qui avait pris le pouvoir au Yemen, permit aux Juifs de rejoindre Israël. Commencèrent alors des négociations avec les Britanniques qui siégeaient à cette époque à Aden, afin d'établir un pont aérien entre Aden et Israël. Des envoyés de l'Agence Juive furent envoyés au Yemen pour préparer l'opération et inciter le plus grand nombre possible de Juifs à gagner Israël. 

Cette opération fut appelée « Tapis volant », « Tapis magique » ou « Sur les ailes des aigles », car les Juifs du Yemen considérèrent cette opération, conduite à bord de près de 400 avions, comme l'accomplissement de la prophétie à laquelle ils étaient attachés de génération en génération. Profondément religieux, nourris de traditions ancestrales et le plus souvent analphabètes, les «Teymanim » ("Yéménites", en hébreu) pensaient s'installer enfin au "Gan Eden" (le paradis). En réalité, beaucoup y ont plutôt découvert l'enfer. 

Quelques éléments socio-économiques sont à mettre en évidence ici mais Wikipédia y suffit. Depuis des siècles, des juifs yéménites émigraient en Palestine animés par ces espérances messianiques. Cependant l'émigration qui eut lieu au début du xxe siècle n'obéit pas à ces raisons religieuses et n'est pas due, non plus, à l'oppression musulmane, mais davantage aux avantages économiques offerts par le mouvement sioniste avec la prise en charge des frais de voyage.

Selon le rapport de Shmuel Yavnieli, envoyé au Yémen par l'Organisation sioniste mondiale dès décembre 1909 pour y recruter des travailleurs, les communautés juives de ce pays sont prospères et vivent en sécurité, du moins autant que la société musulmane yéménite.

Un problème insurmontable se pose en effet alors en Palestine aux sionistes : de nombreux travailleurs juifs européens quittent cette région où ils n'ont pas d'avenir économique. En concurrence avec les travailleurs arabes, ils ne sont pas embauchés, même par les planteurs juifs, car leurs exigences salariales sont trop élevées. L'Organisation sioniste pense avoir trouvé une solution pour exclure des colonies juives les ouvriers arabes palestiniens : "employer des Juifs arabes", qui se contenteront de bas salaires. La main-d'œuvre juive yéménite est  donc destinée à "remplacer la main d'œuvre arabe des colonies juives tout en maintenant le caractère hébraïque". Dès 1910, 2000 juifs yéménites sont ainsi "importés" en Palestine.

Leur situation est toutefois loin d’être des meilleures ! Bas salaires (ils reçoivent des salaires inférieurs à ceux des travailleurs ashkénazes pour un même travail et ont souvent femmes et filles qui sont employées à plus bas prix que lorsqu'elles viennent de familles de colons) ; malnutrition, mauvaises conditions sanitaires (malaria), travail intensif, ségrégation ethnique, exclusion des kibboutz, etc.  

Les juifs yéménites ont d'emblée pâti du conflit israélo-arabe et du fait d'être considérés comme des "Juifs arabes", payés au "tarif arabe" et traités comme tels ! Le pire est toutefois sans doute les disparitions d'enfants. De trois à cinq mille enfants furent enlevés à leurs parents par des infirmières à de prétendues fins de « vaccination » avant d'être déclarés « morts ou disparus ».Cette affaire est sans doute la plus grave !

Depuis les années 1960, trois commissions d'enquête ont été créées pour élucider ce mystère, mais il a fallu attendre l'été 2016 pour que, contraint par les médias et par les familles d’enfants disparus alors dont certains membres avaient entre-temps été élus à la Knesset, le gouvernement de Benyamin Netanyahou autorise enfin la publication de 200 000 documents confidentiels.  "Nous devons vider l'abcès quoiqu'il en coûte", a proclamé Ygal Yossef, descendant d'une famille marquée par la disparition d'un proche. Après enquête, ce dernier a d'ailleurs fourni aux députés des copies de certificats de décès de l’époque en blanc et signés d'avance.  L'enlèvement et la mort de certains d'entre eux, étaient donc de toute évidence  programmés et anticipés.

Cheval volant ou tapis volant ? Le cas des Juifs du Yémen et d'Éthiopie pose à nouveau un problème que j'ai déjà abordé à plusieurs reprises et qui touche aux relations aussi anciennes que variables entre les juifs et les Arabes  (« Si loin ! Si proches ! »)  ! Je serai donc sans doute amené à y revenir une fois encore … sauf si d'imprévisibles événements ne conduisent un autre choix puisque j'en ai déjà parlé à diverses reprises.

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