Le baccalauréat vu du Sénat
Que la décision de supprimer le baccalauréat, (du moins dans sa forme actuelle, vu le degré de ridicule que cet examen a désormais atteint), soit parfois mal perçue et en particulier par les sénateurs, voilà qui n'a rien d'étonnant. L'article publié par Claude Lelièvre dans Mediapart du 26 février 2018 sous le titre « Les sénateurs contre toute forme de "contrôle continu" pour le bac » a l'avantage de nous offrir des extraits d’un rapport sur le baccalauréat adopté très largement par la Commission des Affaires culturelles du Sénat … en juin 2008.
On s'étonne toutefois de la date (2008) de ce texte et, si ce rapport ne datait pas du mois de juin, j'aurais volontiers conclu à une faute de frappe, 2008 étant donné pour 2018 ! (J’ai bien entendu évoquer avant-hier sur France-infos, dans la nuit il est vrai, le jeudi .... 29 février !). En effet, il y a eu d'importantes modifications du « décret n°2002 - 481 du 8 avril 2002 relatif aux grades et titres universitaires et aux diplômes nationaux » que cite ce même rapport de la Commission des affaires culturelles du Sénat ; or plusieurs de ses articles ont fait l'objet de modifications par le décret n°2013-756.... du 19 août 2013.
L'hypothèse d'une erreur de date (au demeurant peu vraisemblable) est d'ailleurs immédiatement écartée puisque l'article de Claude Lelièvre s'ouvre ainsi : « Le rapporteur Jacques Legendre, après avoir rappelé que " le 17 mars 2008, le baccalauréat fêtait ses deux cents ans et que la Commission des affaires culturelles du Sénat avait souhaité saisir cette occasion pour faire l'état des lieux de ce véritable " monument national "».
L'esprit général du rapport des sénateurs est aisé à deviner ; leurs critiques tiennent essentiellement au recours important prévu à un « contrôle continu » qui constitue, à leurs yeux, une violation regrettable des « modalités d'évaluation des élèves au baccalauréat qui doivent respecter les principes qui gouvernent tout examen républicain et en particulier l'anonymat et la correction par des examinateurs extérieurs. Ces principes sont en effet le socle de notre monument national. Les mettre en péril, ce serait compromettre l'existence même du baccalauréat. Aussi le contrôle terminal est-il voué à rester la modalité d'évaluation quasi exclusive de l'examen, à l'exception des quelques épreuves pour lesquelles un contrôle en cours de formation se justifie et où il est déjà pratiqué "».
On pouvait s'attendre naturellement à une telle réaction dont on comprendrait mieux les fondements si le baccalauréat n'était pas désormais donné à peu près à tout le monde ! Plus étrange toutefois de la part des sénateurs (et Claude Lelièvre ne fait pas mention de cette étrangeté) « ce rapport préconise un rôle nettement accru des enseignants du supérieur ».
« Originellement attribut de l'université, qui prenait en charge seule la collation du grade, le baccalauréat est à présent l'affaire du seul enseignement secondaire. Aussi, les derniers vestiges de la compétence universitaire en matière de baccalauréat sont-ils devenus des dispositifs pour une part purement formels : les présidents de jury ne sont que rarement [ souligné par moi ] des universitaires et la confection des sujets, qui associe inspecteurs généraux et professeurs d'université, fait l'objet d'une attention extrêmement variable de la part de l'universitaire concerné. ».
Ce paragraphe du rapport des sénateurs appelle plusieurs remarques. Tout d'abord - et ce point est essentiel - , le baccalauréat demeure le premier titre de l'enseignement supérieur français comme le rappelle encore l'article troisième du décret n°2013-756 du 19 août 2013 - art. 4 : « Les grades sont le baccalauréat, la licence, le master et le doctorat ». Les sénateurs le reconnaissent d'ailleurs en évoquant, le « décret du 8 avril 2002 qui classe le baccalauréat parmi les grades et diplômes universitaires ».
Je ne saurais préciser, en revanche, quel pourcentage de présidences de jury est réellement assuré par des professeurs d'université ; pour ce qui me concerne, j'ai rempli à plusieurs reprises cette fonction dont j'espère qu'elle ne constituait pas une forme de punition ! Ce que je trouve plus étrange, en revanche, ce sont les pressions que l'administration de l'éducation nationale m'a semblé toujours exercer sur les présidents de jury pour les inciter à la clémence et à la majoration des notes. J'ignore tout en revanche, du rôle éventuel des présidents de jury dans « la confection des sujets » !
Je n'évoquerai pas, car j'en ai déjà parlé dans les blogs précédents l’important taux d'échecs (60%) dans les trois années de licence. Le baccalauréat, ayant cessé d'exister comme sanction réelle et efficace des années d'enseignement secondaire et l'ancienne année initiale de « propédeutique » ayant été supprimé dans l'enseignement supérieur, il n'y a pas lieu de s'étonner que le taux d'échecs en licence corresponde à peu près à celui auquel pouvaient conduire naguère un baccalauréat sélectif puis une propédeutique qui l'était aussi !
Je me garderai aussi de discuter la proposition des sénateurs à propos de la définition des sujets de baccalauréat : « La définition des programmes étant de la seule compétence du ministre de l'éducation nationale depuis l'adoption de la loi du 23 avril 2005 précitée, il conviendrait, pour pallier la possible séparation des compétences ministérielles entre l'enseignement supérieur et l'enseignement secondaire, de mettre en place une commission composée à parité d'inspecteurs généraux et de représentants des universités ». Pour ce qui me concerne , j'étais déjà professeur d'université bien avant 2005 et je n'ai aucun souvenir d'avoir été alors consulté, en quoi que ce soit, sur le choix des sujets du baccalauréat !
Je m'étonne en revanche (mais pas trop, somme toute, vu ce qui précède) de ne pas avoir vu évoquer ce qui me paraissait être la principale difficulté à donner une place importante au contrôle continu dans la délivrance du baccalauréat. Le problème tient en réalité au rôle croissant de l'enseignement privé que j'ai toujours entendu évoquer à cet égard et qui deviendrait alors décisif.
Les taux actuels de réussite au baccalauréat ont naturellement conduit à une forme de quais-disparition de ce qu'on appelait autrefois les « boîtes à bac » qui accueillaient, aux rentrées scolaires, les candidats recalés aux précédentes sessions de cet examen. L'importance envisagée pour le contrôle continu, c'est-à-dire pour les notes obtenues dans l'année scolaire précédant le baccalauréat, conduirait sans doute les faire renaître ; il leur suffirait en effet de garantir à leurs inscrits des notes merveilleuses aux épreuves du contrôle continu que leur assurerait la totale soumission à leur direction privée des enseignants de ces établissements qui ne seraient pas, bien entendu, des fonctionnaires de l'éducation nationale !
Notre ministre a-t-il songé qu'avec cette réforme, il allait peut-être concourir modestement à la création de nouveaux emplois, ce qui est une des préoccupations majeures de notre gouvernement ?