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Billet de blog 2 avril 2018

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De la F/francophonie (6)

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De la F/francophonie (6)

2.3. L’Afrique post-coloniale

Le quart de siècle qui a suivi les indépendances africaines (en gros 1960-1987) a été marqué essentiellement par la rivalité entre l’Est et l’Ouest qui a réparti les nouveaux États entre les deux blocs, communiste (« les Républiques populaires ») et occidental.

Sur les plans linguistique et culturel, les différences, en dehors du discours officiel, superficiel et convenu, ont été minces, pour les résultats en tout cas. Pour ce qui est des langues africaines, l’État qui, en Afrique a eu la politique la plus active a été, de toute évidence et bien qu’on l’ignore le plus souvent, à dessein ou non, la République Sud-Africaine. Les mobiles de telles politiques étaient naturellement, en effet, dans la logique de l’apartheid et de la division des majorités noires. 

2.3.1. Les changements de contenus et de dénominations des Sommets francophones 

On a vu (ci-dessus 1.2) comment l’antagonisme entre le Canada et le Québec avait conduit à limiter à la seule « coopération culturelle et technique » le « Commonwealth à la française » que certains avaient imaginé. Cette idée n’est pourtant pas abandonnée et L.S. Senghor est même chargé, en 1980, d’en reprendre le projet qu’une fois encore la « querelle entre grands Blancs » (entendre le Canada et le Québec) fera échouer (Cf. R. Chaudenson, 1989 ; 35).

Il faudra à la fois les échecs électoraux des indépendantistes québécois et l’acceptation de la formule « Canada-Québec » pour qualifier la délégation des représentants du Québec (qui est un « gouvernement » et non un « État ») pour lever les réticences et parvenir à réunir à Paris, en 1986, le premier « Sommet des chefs d’États et de Gouvernements ayant en commun l’usage du français ». A Niamey, on avait choisi d’éviter le problème terminologique (État vs Gouvernement ») en ne parlant que de « pays liés par l’usage commun de la langue française ».

Une évolution terminologique majeure se produit, lors du Sommet de Maurice, en 1992 ; on passe, en effet, de « ayant en commun l'usage du français » à « ayant le français en partage ». Selon le témoignage du Sénateur Jacques Legendre (communication personnelle), la formulation aurait été proposée au Président Mitterrand dans l'avion qui amenait à Maurice la délégation présidentielle par Maurice Druon, Secrétaire Perpétuel de l’Académie Française, que choquait l'usage du mot « commun ». La motivation officielle alléguée pour cette modification n'est, en tout cas, pas très sûre; on la présente en effet comme une initiative de l'État-hôte (Maurice), mais rien dans les documents officiels ne traduit une telle démarche de la part des Mauriciens, dont on ne voit pas, en outre, les motivations dans la demande d'un tel changement. 

Quels que soient l'initiateur et les conditions de la modification, les finalités paraissent, en revanche, claires. Il s'agit d'entériner, dans cette entité géopolitique, l'évolution vers une cohérence linguistique moindre, pour favoriser l'entrée de nouveaux États dans la francophonie. Cette intention me paraît plus française que mauricienne. N'oublions pas par ailleurs que le Sommet de Maurice est celui où la France fait approuver par les instances francophones son combat pour l'exception culturelle.

On entre donc de façon claire dans une phase où la Francophonie essaye de mettre en place des formes de résistance à la mondialisation regardée comme dominée par les États-Unis et plus généralement par les Anglo-Saxons. Le sens de cette évolution est confirmé par l'émergence, après Cotonou (1995) et surtout Hanoï (1997), du concept de « francophonie d'appel »  cher au nouveau Secrétaire Général, B. Boutros Ghali, (un Copte égyptien). L'Organisation internationale de la francophonie tend à devenir désormais, à une échelle plus modeste, « un petit clone de l'ONU » selon la formule utilisée par Denis Tillinac, lors d’une Table ronde sur la gouvernance organisée par l'Ambassade du Canada à Paris en 1999.

2.3.1. Gorbatchev et la Francophonie 

Revenons toutefois un peu en arrière. L’homme dont l’action a été, en Afrique francophone, la plus déterminante sur le plan géopolitique est … M. Gorbatchev. Il n’avait pourtant sans doute jamais mis les pieds sur ce continent, lorsque, en 1986-1987, il décide en effet, pour faire des économies, dans le cadre de la « perestroika », de mettre un terme à l’appui et au soutien accordé par l’URSS, dans le passé, aux républiques populaires africaines. Celles-ci s’écroulent alors comme des châteaux de cartes, leur chute entraînant, en général de façon moins rapide et moins systématique, celle des régimes africains qui soutenus par l’Occident, en étaient les pendants et les contre-feux géopolitiques. 

Ce changement de cap décisif fait que l’Occident semble prendre soudain conscience des vertus de la démocratie et du multipartisme pour l’Afrique, ce qui, dans les précédentes décennies, n’avait pourtant jamais frappé les dirigeants occidentaux ; ils s’accommodaient d’autant mieux des régimes dictatoriaux en place qu’ils leur paraissaient constituer alors les meilleurs remparts contre l’influence soviétique.

Pour en revenir de façon plus précise à la Francophonie, c’est ce que marquera, de la façon la plus nette, F. Mitterrand dans son fameux discours de La Baule en juin 1990. Il constitue de ce fait le terme, ultime et explicite, d’une évolution de la coopération engagée dans les deux années précédentes : l’aide de la France aux États africains sera désormais liée au processus de démocratisation. Comme un tel point de vue ne plaisait pas nécessairement aux chefs d’États présents, même s’ils y avaient été déjà préparés, il est clairement explicité lors de la conférence de presse qui suit le Sommet, par François Mitterrand lui-même. Il y établit une nette distinction entre « une aide tiède » aux régimes autoritaires qui refuseront toute évolution démocratique et « une aide enthousiaste » qui sera celle de la France aux États « qui franchiront le pas avec courage » [ le soulignement est de moi ].

La perestroika ayant été engagée par Gorbatchev depuis 1986-1987, comme on l’a vu, les premiers signes de l’évolution de la politique de la France, pour le domaine linguistique qui nous occupe ici, se sont déjà manifestés depuis le changement de majorité politique en France même (F. Mitterrand a été élu Président de la République en mai 1981) ; cet aspect est donc aussi à prendre en considération. On pourrait même voir un signe d’évolution dans le fait que F. Mitterrand crée, dès 1984 un « Haut Conseil de la Francophonie », dont il confie le Secrétariat général à un historien socialiste, Stelio Farandjis, alors que, comme on l’a vu, Georges Pompidou (agrégé des lettres dont M. Bruguière rappelle la méfiance pour « L'épouvantable mot « francophone  » ) avait mis en place, vingt ans avant, un « Haut comité de la langue française ».

(La suite demain)

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