Xyloglossolalie (suite et fin)
« Il ne faut jurer de rien » ; l'activité de blogueur, naguère innocente voire libératrice, devient de plus en plus incertaine et même risquée. On passe en une journée, de Musset au théâtre de boulevard et de « Il ne faut jurer de rien » à « Embrassons-nous Folleville », des égouts du Troisième homme au théâtre de la Porte Saint-Martin.
Le seul avantage de ces incessantes et soudaines révélations est qu'elles conduisent, contre toute attente, à justifier somme toute un titre initial ("le troisième homme"), qui était devenu totalement incompréhensible, par la montée inattendue, au sein de la Police et de la Gendarmerie pour une fois réunies, de la figure d'un modeste major de police secrètement élevé au niveau des plus hauts dignitaires de l'Élysée et de la place Beauvau.
Dans "l'affaire Benalla" à laquelle il faut bien conserver cette dénomination, le rapport de l’IGPN souligne la responsabilité d’un haut gradé, Laurent Simonin, chef d’état-major adjoint de la direction de l’ordre public et de la circulation, qui a « donné rendez-vous » à M. Benalla le 1er mai « sans solliciter d’autres garanties ». Ce dernier avait en outre pris sur lui de s'adjoindre son ami et comparse Vincent Crase, employé de « La République en marche » alors qu'il était seul, dans le meilleur des cas, à disposer légalement du statut d'" observateur". (le Monde, 27 07 ; Élise Vincent).
L’IGPN ajoute que, depuis l'élection présidentielle, A. Benalla « est présent à toutes les réunions préparatoires à l’organisation des déplacements du Président de la République où il côtoie professionnellement un grand nombre de policiers affectés à ces missions » ; et qu’il a, de ce fait, « manifestement noué avec certains d’entre eux des liens de proximité, facilités par le tutoiement qu’il pratique volontiers ». De ce fait, M. Simonin le rencontre très régulièrement. Donc, lorsque M. Benalla lui dit avoir « toutes les autorisations nécessaires (…), sans solliciter d’autres garanties, « convaincu de la véracité des dires de son interlocuteur et sans évoquer plus avant sa présence en tant qu’observateur sur le service d’ordre avec ses supérieurs hiérarchiques, M. Simonin lui donne rendez-vous le 1er mai, en début d’après-midi, à la Préfecture de police ».
Comme on l'a vue l'IGPN, circonspecte, signale, que « des évolutions sont possibles dans le cadre de l’enquête » judiciaire en cours. Alain Gibelin, responsable de la Direction de l'ordre public et de la circulation (la DOPC est l'une des six grandes directions de police, dites « directions actives » de la Préfecture de police de Paris ; elle est chargée, en particulier, de la protection du siège des institutions de la République) est, à ce titre mis en difficulté, actuellement, par les commissions d’enquête parlementaires. Bien qu’il affirme ne pas avoir été informé de la venue de M. Benalla le 1er mai, deux témoignages le contredisent (celui de M. Benalla lui-même et surtout celui du général Eric Bio-Farina, Commandant militaire de l’Elysée) mais le rapport de l’IGPN n'en fait pas mention, le premier relevant d’un entretien donné au Monde, le second d’une audition devant les députés.
L’IGPN met en avant, dans cette affaire, le "trop faible rang hiérarchique" du policier « référent », Philippe Mizerski, chargé d’encadrer M. Benalla le 1er mai. Là encore, compte tenu « du statut » de M. Benalla, le major de police « ne demande pas d’explications »lorsqu’il le voit accompagné de Vincent Crase que M. Benalla présente comme un collaborateur. Lors des comportements violents de M. Benalla, très étranges pour un "observateur", le major se borne à observer les faits, attitude que l'IGPN juge normale vu le grade modeste du policier à l'égard d'un « personnage de première importance, recommandé par le chef adjoint d’état-major de la DOPC ».
Des éléments nouveaux conduisent toutefois à s'interroger davantage sur ce « troisième homme » qui pourrait bien finalement comme M.Benalla et le Dieu Janus avoir un double visage.
En effet, sur les images de la Place de la Contrescarpe, le 1er mai dernier, reproduites à l'infini, il y a Alexandre Benalla et Vincent Crase mais aussi notre "troisième homme" Philippe Mizerski . Toutefois, ce même homme a été "formellement" reconnu par Jean-Luc Mélenchon, qui le désigne comme "l'homme qui lui a donné l'ordre de se retirer" de la marche silencieuse en l'honneur de Mireille Knoll, en mars 2018. (Matthieu Jublin ; 26 juillet 2018).
Dans une autre vidéo obtenue par Libération, on le voit également aux côtés de ces deux hommes, désignant les deux manifestants violentés par les deux hommes par la suite. Opération au cours desquelles le "chargé de mission" de l'Elysée multiplie les directives, et durant lesquelles Philippe Mizerski, pour reprendre les propos de Libération, "paraît détaché des événements pendant toute la séquence", ce que confirme et surtout justifie le rapport de l'IGPN.
Jean-Luc Mélenchon, qu'on ne peut guère soupçonner de complaisance envers le pouvoir macronien confirme : "Sur une photo, j'ai reconnu formellement l'homme qui m'a demandé, ainsi que mes camarades parlementaires, de me retirer de la marche silencieuse où nous avons été agressés par des membres de la Ligue de défense juive", Et de se demander : "Qui est ce personnage ? Combien y en a-t-il de cette sorte ? Voilà pourquoi il nous faut une réponse. Est-ce qu'à côté des services de sécurité de l'État, qui n'ont jamais été défaillants, il y a un groupe privé qui s'est auto-attribué le rôle de protection du chef de l'État et d'infiltration des manifestations ?"
BuzzFeed ( BuzzFeed est un site d'information et une société américaine de médias Internet) a indiqué que ce "troisième homme" est présenté comme un policier par la Préfecture de police. Selon les informations de LCI, cet homme en civil est un major de police affecté à la "Brigade d’information de la voie publique" (BIVP), les policiers en civil qui identifient et interpellent les casseurs dans les manifestations, et qui dépendent de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la Préfecture de police. Tout cela montre que Benalla est officiellement pris en compte", a indiqué au Monde David Le Bars, membre du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). L'attitude de Philippe Mizerski, qui a assisté aux violences sans réagir, ne résulte donc en rien de sa pusillanimité, mais est adoptée en conformité aux ordres qui étaient les siens et à la fonction réelle qui était la sienne.
La plupart de ces mensonges et des contradictions qui apparaissent entre les différents services et, en gros, entre l'Élysée et la place Beauvau tiennent à la volonté secrète du Président de la République de rendre autonome son système personnel de protection. La multiplication des témoignages vidéo que l'usage des téléphones portables rend quasi infinie et pratiquement incontrôlable ont conduit à mettre en évidence l'action cachée de l'ancien chargé de mission de l'Elysée. Après la perquisition à son domicile avant laquelle un ami d'Alexandre Benalla, informé, a "mis en sécurité" certains objets dont des armes et sans doute autre chose. S'ajoutent désormais à tout cela les déclarations de policiers, mis en examen pour "violation du secret professionnel" et "détournement d'images issues d'un système de vidéo-protection"
Ce n'est pas là du menu fretin ! On reproche à ces trois policiers, très expérimentés et haut-placés dans la hiérarchie policière, mais qui, après "l'avoir mangé souvent" ne veulent pas « porter le chapeau », d'avoir transmis les images des caméras de la Préfecture de police afin "d'aider" l'ex-chargé de mission à préparer sa défense. Leurs versions des faits diffèrent sensiblement, mais tous s'accordent sur un point essentiel : ils n'auraient jamais agi de la sorte si Alexandre Benalla ne leur était pas apparu comme l'homme de confiance du Président de la République. En somme ils croyaient "fayoter", certes en marge des lois, mais est-ce si rare ?
Face aux enquêteurs, il y a aussi le haut- gradé Laurent Simonin. Trente années de carrière dont plus de quinze au sein de la Direction de l'ordre public et de la circulation à la Préfecture de police, il est contrôleur général et chef d'état-major adjoint. Il y a aussi Jean-Yves Hunault, officier de liaison à l'Elysée. Il venait de passer dix ans à la direction de l'ordre public et de la circulation et "avait pour mission d'assurer un lien étroit entre l'Elysée et la PP, tout en s'occupant de " l'entourage" de l'Elysée", précise Le Monde. Et puis, il y a Maxence Creusat, jeune commissaire dont les déclarations ont le plus retenu l'attention, car elles reviennent avec plus de précisions sur le rôle d'Alexandre Benalla au sein du dispositif de sécurité présidentiel et souilgnent les craintes qu'inspire sa proximité avec le Président :
"Depuis l'élection de M.Macron, les chefs du groupe de sécurité de la Présidence de la République [étaient] ostracisés par la présence de M. Benalla", aurait-il déclaré aux enquêteurs, selon les informations du journal. "Lors des déplacements (...), [il communiquait] les souhaits et les volontés du Président." D'après ce policier de la DOPC, en poste depuis 2011, M. Benalla était, en outre, destinataire, "au quotidien, des télégrammes et notes confidentielles". "Pour nous, Benalla [représentait] Macron pour tous les sujets sécurité"
Plus précis encore, le policier donne des exemples des situations dans lesquelles il a vu Alexandre Benalla en action, au plus près du Président de la République : "quand le chef de la DOPC, du GSPR et M. Benalla [étaient] ensemble sur un service d'ordre, et que le président communiquer une volonté en matière de sécurité (...), il M. Benalla sur son téléphone". Lors de la descente des Champs-Elysées du bus de l'équipe de France de football, "plusieurs témoins" auraient été impressionnés de son "lien direct téléphonique avec le Président de la République afin de caler le timing", signale Le Monde. "Pour nous, M. Benalla [représentait] Macron pour tous les sujets sécurité."
Il y a clairement, et on le comprend, un antagonisme entre l'Elysée et la Place Beauvau sur la question de la sécurité présidentielle ; le Président, déterminé sur le plan administratif, comme on l'a vu, est embarrassé, sur le plan politique par la position de G. Collomb à qui il doit, pour une bonne part, son élection et qui est, de ce fait même, un "fusible" très gênant ! Si Benalla est un peu trop bavard, il y a sans doute des moyens de le faire taire, vu le personnage. Le problème Collomb est plus gênant, même avec la perspective électorale !
On a pourtant préparé le terrain ! Le chef de cabinet de Gérard Collomb, Jean-Marie Girier, a affirmé à la Commission d'enquête du Sénat à propos de l'affaire Benalla que son ministre ne connaissait de l'ex-collaborateur d'Emmanuel Macron "ni son nom, ni son prénom, ni ses fonctions", confortant par là des déclarations de son ministre. "Il le connaissait de vue", a affirmé ce proche du ministre de l'Intérieur et ancien directeur de campagne d'Emmanuel Macron. Lors de son audition, Gérard Collomb avait convenu, vu les images on s'en souvient, qu'il avait "croisé" Alexandre Benalla et qu'il pensait qu'il était "policier". Le brave homme !
Défense de rire mais à suivre !