"Patient" : petite méditation sémantique, lexicale et sociale
Notre mot français « patient » a doublement hérité du contenu sémantique du participe présent du verbe latin « patior » qui est à son origine et qui signifie à la fois « supporter » et « souffrir ».
Cette méditation sémantique, lexicale et sociale m'a été inspirée par de brefs séjours dans des lieux hospitaliers. Entendez par là que ces lieux étaient des salles d’attente de médecins ou d’hôpitaux ; l’adjectif « hospitalier » dérive, dans l’emploi que j’en fais ici, d' « hôpital » et de tels lieux n’en sont pas pour autant des endroits où l'on est aimablement et agréablement accueilli par des hôtesses charmantes et prévenantes. J’ai même failli dire « des lieux nosocomiaux », « nosokomion » étant le nom de l’hôpital en grec, comme vous pourrez le vérifier lors d’un prochain séjour dans ce pays, si, vu sa situation, cet Etat est toujours en mesure de s’offrir ce genre de service. Mais ce malheureux adjectif, récemment découvert par les Français, pour leur malheur, a vu son sens se restreindre et se spécialiser si fâcheusement que je n’ai pas osé me risquer à l’employer pour ne pas inquiéter sur ma propre santé.
Le « patient », pour en revenir à lui, est, en fait, le « client » du médecin, mais ce dernier terme soulignerait trop nettement l'aspect mercantile d'une pratique professionnelle qui se veut plutôt un art avec des aspects quasi-sacerdotaux (« Le serment d’Hippocrate » !) qu'une forme, même noble, de commerce. On va voir le médecin parce qu'on est malade (donc parce qu'on souffre) et, ce faisant, on devient son « patient ». Mais les mots prenant l’initiative, on doit alors aussi s'armer alors d’une « patience » qui est la première et quasi-définition vertu de ce patient, même s'il n'y a pas de vrai rapport sémantique entre ces deux mots, l'étymologie étant seule en cause.
Je ne crois pas être un patient impatient, même si au bout de quelques heures d'une attente dont les raisons mêmes et les bornes ne m’apparaissent pas évidentes, je commence à cesser d'être patient (adjectif), tout en restant hélas un patient (substantif). Je me sens d'autant moins porté à être patient (adjectif) qu'à force de m'exercer à ces exercices de patience (et aussi d’observation du milieu), je finis par deviner les motifs des attentes prolongées qui sont infligées aux patients.
On observe d'ailleurs facilement que, dans l'activité médicale privée, les patients ne sont pas contraints, en général, de faire preuve d'autant de patience que dans le secteur public, car ils ont parfois la possibilité de changer de médecin et par conséquent, dans un autre cadre, d'avoir à faire montre, éventuellement, de moins de patience, tout en restant des patients.
Comme les attentes prolongées invitent à la méditation, force est de prendre conscience qu'à la patience dont on aura fait preuve en attendant d'être reçu ou soigné, viendra s’ajouter, en outre, celle dont il devra faire preuve, le cas échéant, pour remplir d’éventuelles « feuilles de soins » (qu'on appelait autrefois « feuilles de sécu » ou même, plus anciennement encore, "feuilles de maladie") et qui constituent un exercice de méditation intéressant à la fois sur le plan du fonctionnement social et de l'économie nationale.
En effet, la principale réforme que notre système de santé français a opérée, dans le dernier demi- siècle, a été, sur ces feuilles de soins, la disparition de la mention de la date de naissance du patient. Chaque assuré social étant identifié par un nombre de treize chiffres (ce qui permet en théorie de coder, par cette méthode, 9.999 milliards d'individus, alors que la France ne comprend guère qu’une grosse soixantaine de millions d'habitants), on s'est avisé un jour, dans un louable et rare effort de simplification administrative, que l'identification supplémentaire de l'assuré(e) par sa date de naissance constituait en principe un luxe tout à fait superflu et par là inutile. On a donc supprimé (sous Raymond Barre je crois !) sur les feuilles de soins cette mention, dans une réforme administrative majeure annoncée alors à grands sons de trompe !.
Hélas, quelques années après, bien plus discrètement, on a dû rétablir en douce la date de naissance, après s'être aperçu que des Français ou des Françaises avaient le même numéro de sécurité sociale, ce qui paraît impensable du simple point de vue arithmétique.
Voulez-vous l’explication d’un tel mystère ? Je vous la livre !
Si vous regardez de plus près comment un numéro de sécu est formé, vous vous apercevez que les dix premiers chiffres peuvent être en fait communs à un nombre indéterminé, mais élevé, d'individus du même sexe (code 1 ou 2), nés le même mois de la même année (les quatre chiffres suivants), dans le même département (les deux chiffres de son code), dans la même zone de ce département (codée par trois chiffres). Dès lors, pour les milliers probables de ceux ou celles qui ont en commun ces informations, la distinction ne se fait que sur les trois derniers chiffres ; elle ne vaut donc que pour 999 hommes ou femmes qui ont en commun les dix premiers chiffres. Or, dans nombre de grandes villes, dans certains quartiers où se trouvent des hôpitaux ou des maternités, souvent peuvent naître en un mois bien des enfants du même sexe ; de ce fait, certains d’entre eux peuvent avoir exactement le même numéro de sécurité sociale! On a donc dû, la mort dans l’âme, rétablir la date de naissance sur les feuilles de soins pour pouvoir les distinguer par le jour de naissance ! Fatalitas !