90 km/h ou 80km/h ? Qui qui casque ?
20 000 nouveaux panneaux portant la mention 80 km/h doivent être installés en France le long des routes "secondaires" avant le 1er juillet 2018, date à laquelle doit entrer en vigueur la nouvelle limitation de vitesse.
Il ne reste donc moins d'un mois aux élus locaux pour adapter les 400 000 km de départementales à la nouvelle limitation de vitesse. Mais, de toute évidence, ils ne sont pas pressés de commander des panneaux nouveaux indiquant 80 km/h. « Il y plus de 20 000 panneaux à changer mais nous n’avons reçu pour l’instant que quelques centaines de commandes », explique Aly Adham, curieux personnage, patron de la société Isosign (spécialisée dans les panneaux de signalisation) mais également Président du Syndicat des équipements de la route (SER), fonction dans laquelle il vient d'être fort opportunément réélu.
Aly Adham, qui suit tout cela de très près, on le devine, prévoit un « pic de commandes dans le courant du mois de juin » ; il prend néanmoins toutes ses précautions pour éviter les échappatoires. En effet, comme dans bien des cas où une « ardoise » est à l'horizon, on nous laisse entendre que l’Etat paiera la facture ! « Entre les débats qui opposent les membres du gouvernement et les interrogations sur ce que va leur coûter cette mesure, les collectivités se posent beaucoup de questions, observe Aly Adham. Sous prétexte d’économies, certains élus nous demandent même s’ils peuvent bricoler leurs panneaux en peignant par exemple un 8 à la place du 9 ».
Cette solution de bon sens n'est pourtant pas envisageable à ses yeux comme à ceux de la loi ; ce n'est pas le patron d'Isosign, spécialisée dans les panneaux de signalisation et en outre Président du Syndicat des équipements de la route, qui va mollir sur ce point ! Il tranche d'avance : "Pas question de bricoler les panneaux ! car ces panneaux doivent être certifiés pour être légaux". ( pas "Lego" !!!) ; or les panneaux légaux de signalisation routière ne sont pas simplement peints, mais « émaillés », ce qui implique des procédures de fabrication complexes pour y porter les mentions souhaitées ; elle y sont fixées, de façon définitive, par la cuisson ! Vu la complexité de notre système administratif qui fait que nos routes peuvent dépendre de différents organismes (de l'État lui-même jusqu'à la commune…), il y a là sans doute des possibilités quasi infinies de litiges quant à la détermination des véritables responsabilités et des prises en charge des coûts.
Quant à la facture, c’est l’Etat qui la paiera nous dit-on. Mais combien coûtera le remplacement des panneaux sachant qu’il faut en installer plus de 20 000 sur des portions de route qui n'ont pas toute le même statut administratif et financier ? Il existe quatre types de routes, qui ont chacun un code de couleur et une lettre : A pour autoroute, N pour nationale, D pour départementale et C pour chemin communal.
Les autoroutes, qui ne sont pas en cause ici; sont entretenues soit par le Ministère des transports, soit par des entreprises qui font payer leur services (pour les autoroutes à péage). Les routes nationales étaient autrefois entretenues par le Ministère des transports, mais elles le sont désormais par les Départements. Certaines ont changé de nom et sont devenues "départementales" (ex : la nationale N 6 dans l’Yonne, est désormais appelée D 666). Les routes départementales enfin sont entretenues par leur département.
D’après Emmanuel Barbe, la facture totale sera comprise entre 6 et 12 millions d’euros. La variation est due aux différences de coûts de pose suivant le lieu et l’emplacement du panneau. Le coût brut d’un panneau sorti d’usine est d’environ 80 €, mais avec la pose et tous les travaux d’aménagements annexes, la facture peut monter beaucoup plus haut. Toutefois d'après Auto Plus, la limitation de vitesse rapportera 335 millions d'euros par an avec les flashs bien plus nombreux des radars.
Du côté de ces contrôles radar, c'est plus simple en effet ; « la règle, c’est la règle », affirme Emmanuel Barbe, qui précise que les machines seront « recalibrées » sur la limitation à 80 km/h. Ce point ne pose pas trop de problèmes bien évidemment, ce qui n'est pas le cas s'il s'agit d'instaurer des limitations de vitesse « sur mesure » en fonction de la dangerosité des routes, ce que réclament certains élus locaux alors que le gouvernement s’y refuse. « A l’échelle d’un pays, plus la règle est simple, mieux c’est, estime le délégué interministériel. Ne pas appliquer les 80 km/h sur les belles routes très fréquentées, comme le voudraient certains élus, priverait la mesure de son efficacité car ce sont justement ces routes qui sont les plus mortelles ».
C’est là précisément ce que devrait montrer une étude prochainement dévoilée par la Ligue contre la violence routière qui a analysé les zones les plus accidentogènes dans 91 départements au cours des dix dernières années. Elle prouve que les « belles routes » sont souvent les plus dangereuses.
Alors que le Premier ministre, Édouard Philippe, doit signer avant le 1er juillet le décret validant le passage de 90 à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles, la Présidente de la Ligue, Chantal Perrichon, l’appelle à maintenir le cap. « Édouard Philippe sait très bien que s’il amoindrit la portée de cette mesure nationale en faisant du cas par cas dans les départements, cela aura moins d’effets sur la route. Quand les premiers radars automatiques ont été mis en place, il y avait eu les mêmes demandes d’assouplissement, mais Jacques Chirac avait tenu bon et on sait l’effet qu’ont eu les radars sur la mortalité routière. »
Comme dit Gad Elmaleh : « On n'est pas sortis de la berge ! » et, comme les marchands de panneaux de signalisation, les avocats spécialisés en affaires routières de tous poils, se frottent les mains !