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Billet de blog 5 novembre 2017

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Mariage, certificat de coutume et conversion obligatoire à l’islam

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 Mariage, certificat de coutume et conversion obligatoire à l’islam  

En décembre 2011, Charlie Hebdo a fait sensation, mais sans doute n'y prévoyait-on pas la suite, en publiant un reportage intitulé : « Quand les maires se prennent pour des imams. »

Le journal y faisait état des faits et des commentaires suivants que j'abrège car ils sont tirés du très long et excellent texte sur le sujet de Sigrid Choffée-Harouel, Maître de conférences (HDR) à la Faculté de droit de Paris-Est (UPEC).

Un citoyen français, Frédéric Gilbert, voulait épouser sa compagne, de nationalité marocaine. Il se rendit donc à la mairie d'Aubervilliers, son lieu de résidence  pour y accomplir les formalités nécessaires à la célébration du mariage. L'officier d'état civil lui indiqua que la future mariée devait fournir un document nommé "certificat de coutume", qu’il lui fallait demander auprès du consulat du Maroc. Les autorités consulaires demandèrent alors au futur époux, à cette fin, de se convertir préalablement à la religion musulmane. Scandalisé, Frédéric Gilbert constata, après enquête, que de nombreuses mairies exigeaient en effet ce certificat et que ce document n'était obtenu qu'après conversion à l'islam du futur époux. Il en tira la conclusion que, lorsqu'un Français désirait se marier sur le sol français avec une femme originaire du Maghreb, l'État français exigeait de ses citoyens une conversion religieuse. Journaliste de profession, Frédéric Gilbert décida de rendre cette affaire publique et après l'article publié par Charlie Hebdo, d'autres journaux relayèrent l'information. 

Parallèlement, conformément à la procédure applicable, F. Gilbert saisit le Procureur de la République qui rendit une décision ordonnant la célébration de l'union et le mariage en question eut lieu le 14 janvier 2012. L'affaire était close pour les deux intéressés. Mais l'était-elle pour les défenseurs du principe de la laïcité ? D’où la présente recherche. 

Des Français obligés de se convertir à l’islam pour se marier en France : la chose paraît par énorme ! "La première question qui se pose est donc la suivante : ce qui a été publié par la presse est-il vrai ? Peut-on imaginer que les officiers d'état civil de la République française puissent exiger, pour la célébration d’un mariage, la production d’un document dont la délivrance a pour effet d’astreindre un citoyen français à devenir musulman ?

Et si la chose est avérée, la seconde question qui se pose est de savoir pourquoi une pratique administrative si manifestement contraire à la laïcité de l’État et à d’autres grands principes du droit français peut perdurer, alors que les pouvoirs publics sont désormais alertés sur ces pratiques."     

"I – L’exigence du certificat de coutume comme mécanique de conversion forcée à l’islam ? 

Il apparaît d’emblée que l’exigence d’un certificat de coutume pour le mariage d’un étranger est une pratique courante des services de l’état civil. Reste à savoir si elle peut provoque vraiment des conversions forcées à l’islam, et par quel procédé.

Pour pouvoir se marier en France, un ressortissant étranger se trouve dans la nécessité de prouver qu’il n'est pas célibataire et que les conditions de capacité à se marier exigées par son pays d’origine sont bien respectées. En effet, la règle qui prévaut est que la loi appliquée à chacun des époux est respectivement celle de sa nationalité. Cela est logique car le mariage constitue un événement qui modifie l'état des personnes.

En France, les mariages et divorces sont inscrits sur l’acte de naissance. Dans d’autres pays, il n'y a pas de mention en marge de l'acte de naissance 

Mais il existe des pays où la polygamie est légale, et où un homme peut donc avoir en toute régularité plusieurs épouses. Un tel certificat pourrait en conséquence y être délivré à un homme alors que celui-ci est déjà marié. Concernant un futur conjoint de sexe masculin, le certificat de capacité matrimoniale n’atteste donc pas automatiquement de la qualité de célibataire de l’intéressé."  

À défaut, le problème semblerait pouvoir être réglé par la production d’un certificat de célibat. Et pourtant, un tel document n’est pas considéré comme suffisant. C’est que, généralement délivré par la commune de naissance, le certificat de célibat est établi par un « cheik » local, lequel se fonde sur sa connaissance de la personne concernée – et cela en échange d’un « pourboire ». L’origine du document est donc sujette à caution. C’est pourquoi, dans une circulaire de 2010, l’État français juge non probante la remise par le futur époux « d'un certificat de célibat établi par des personnes dont la compétence n'est pas garantie » .

Aussi pour s’assurer de l’effectivité de la capacité à se marier du futur conjoint étranger, l’officier d’état civil lui demande-t-il un autre document, appelé certificat de coutume. L'Instruction générale de 1999 relative à l'état civil est très claire sur ce point. En son article 530, le texte prend acte de l’usage qui s’est établi dans les mairies françaises, s’agissant d’un mariage concernant une ou des personnes de nationalité étrangère, de demander la production d’un certificat de coutume afin de connaître les actes et document permettant de s’assurer s’il n’existe pas déjà un mariage.   Et l'article 546 fait de cette exigence d’un certificat de coutume une obligation qui incombe à l'officier de l'état civil, afin de pouvoir s’assurer de la qualité de célibataires des futurs conjoints. Cette obligation faite à l’officier de l’état civil a été encore rappelée en 2010, dans une circulaire adressée par le ministre de la Justice aux juridictions, qui ajoute que ce certificat est délivré par le consulat du pays dont la personne désirant se marier possède la nationalité.  

Qu'est-ce qu’un certificat de coutume ? C’est un moyen de preuve qui, en droit international privé, prend historiquement la suite des actes de notoriété et certificats d’usage de l’Ancien Régime. 

C’est donc au certificat de coutume qu’ont recours les pouvoirs publics pour savoir comment vérifier qu’une personne désireuse de se marier en France n’est pas déjà mariée dans son pays 

Donc, lorsque le certificat de coutume n’est pas fourni pour des raisons légitimes – et on peut penser que le refus du futur époux de se convertir à une religion en est une dans un pays laïc –, les mairies peuvent passer outre et célébrer malgré tout le mariage. Ainsi, tout en faisant de la présentation d’un certificat de coutume une règle générale, le droit français rend en définitive ce document largement facultatif.

D’ailleurs, si une mairie se refuse à célébrer malgré tout l’union, le procureur de la République peut être saisi, comme cela fut le cas dans l’affaire du mariage d’Aubervilliers, et il aura, après examen, le pouvoir d’ordonner la célébration du mariage. Ce qui, en l’espèce, a coupé court au chantage à fin de conversion exercé par le consulat marocain. "

La suite demain.

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