Rassurez-vous, je ne vais pas vous causer ici de la réforme de l'orthographe sur laquelle on entend dire encore plus de sottises que sur la déchéance de nationalité, ce que m’a confirmé, ce matin même, une écoute distraite, sur France Cu, du « Secret des sources ». Dans cette affaire, les seuls « gagnants gnangnans » (avec ou sans trait d’union ?) sont évidemment les journalistes qui ont « du grain à moudre » et « du foin dans leurs bottes » (comme dans leur mangeoire), tout en pouvant pisser de la copie sans trop de mal, en répétant à l'infini les sottises qu'on entend partout.
Il est amusant de constater qu’en Europe nous ne sommes pas, au même moment, les seuls à nous embarquer sur cette galère orthographique.
J'ai évoqué hier le cas des Allemands et je le rappelle d'un mot. La réforme de l'orthographe allemande de 1996 concerne des domaines variés (les mots d'emprunt, les mots composés, les irrégularités orthographiques, la césure, la virgule),mais, en revanche, elle a été imposée fermement, par exemple en donnant une date limite aux écoles (2005) pour s'y conformer.
Le cas du portugais tout à fait contemporain est plus compliqué, car la pauvre quinzaine de millions de Portugais continentaux se trouve face aux 200 millions de Brésiliens qui les regardent désormais de haut et les inonde de leurs telenovelas.
À l’avènement de la République portugaise en 1910, on avait fait une importante et profonde réforme orthographique de la langue portugaise : c’est à ce moment là que les Da Sylva se sont changés en simples Da Silva et que la « pharmacia » est devenue « farmácia », en une sorte de révolution du nénuphar. Le problème est que les Portugais avaient fait cette réforme sans demander leur avis aux pauvres Brésiliens qui, à cette époque, n'étaient certes pas dans les BRIC et n'organisaient pas les Jeux Olympiques et les Championnats du monde de foot. Subsistaient donc nombre de différences entre les deux orthographes (portugaise et brésilienne) comme entre les langues d'ailleurs. Une réforme importante en 1943 a permis de résoudre un certain nombre de ces problèmes de différences entre les deux orthographes. Il fallut toutefois attendre juillet 2008 (le 21 juillet pour être précis) pour que soit enfin promulguée la loi qui change l'orthographe des deux variétés de langue et les rend identiques. Cet accord était toutefois prêt depuis 1990, mais il a fallu, comme chez nous, une vingtaine d'années pour qu'il parvienne à triompher des résistances venant, vous imaginer aisément, essentiellement du Portugal où se trouvent les d’Ormesson et Pivot lusitaniens !
Toutefois, comme en Allemagne, les responsables se sont montrés plus courageux que les Français (ce qui en général n'est pas très difficile), en imposant un terme au-delà duquel la réforme devait être nécessairement appliquée dans les écoles.
Chez nous comme vous le savez, l'Académie française elle-même, qui n'est pourtant guère menacée dans cette affaire, a persisté sur sa ligne de l’époque de la réforme Rocard en se refusant à trancher entre les deux orthographes (ancienne et modifiée) ce qui, vous l'imaginez, crée une situation peu propice à une réelle évolution (mais n’était-ce pas le but visé ?).
Des esprits pervers, (dont je ne suis pas comme vous l'imaginez) ne vont pas manquer de souligner que cela changera pas grand-chose pour la plupart des élèves. Ils écrivent déjà à peu près n'importe quoi, puisqu'on estime qu'une proportion très importante des enfants qui entrent en sixième ne savent ni lire ni écrire. Les choses ne s'arrangeront certainement pas, quand ils seront en outre exposés à deux systèmes orthographiques différents, l’un en usage dans la plupart des livres, l'autre celui de l'orthographe réformée utilisée à l’école. « Nénuphar » ou « nénufar » ? Je pense que la coexistence des deux formes ne troublera en rien leur sommeil !
Il paraît d'ailleurs que l'initiative de la résurgence de cette réforme reviendrait aux pressions exercées sur la Rue de Grenelle par certains éditeurs (scolaires non ?) plus qu'au ministère de l'éducation nationale lui-même qui se serait soudain réveillé de sa somnolence post rocardienne au bout de deux décennies. Je n'en sais rien et, me semble-t-il, les éditeurs évoqués dans cette affaire seraient Hatier, spécialisé dans les livres scolaires (et ce choix se comprend alors aisément pour bien des raisons), et le Seuil, au moins pour la Nouvelle histoire de la langue française à laquelle j’ai moi-même autrefois contribué.
En réalité et, pour dire tout de même un mot sur le fond du problème de la réforme de l'orthographe, celui qui avait le point de vue le plus raisonnable et le mieux fondé sur cette question était sans doute Maurice Gross que sa formation et ses intérêts rendaient sensible à cet aspect du problème. La réforme dont il rêvait visait en effet à rendre compatible avec l'usage des ordinateurs l'orthographe de la langue française, qui ne l'est pas du tout, en particulier en raison surtout de la présence des signes diacritiques qui l'encombrent. (accents divers, tréma, cédille, apostrophe, etc.). Qui d'entre vous n'a jamais mis dans une adresse électronique un de ces funestes signes qui entraînent le rejet de cette adresse par l'ordinateur avec, peut-être, des conséquences très fâcheuses, si vous ne vous êtes pas aperçu que le courriel que vous pensiez avoir envoyé avait été rejeté. Ce point est suffisamment évident pour que je n'y insiste pas, la seule remarque que je voudrais faire et qui est peut-être un peu plus originale que la précédente, tient à l’origine même de ces signes diacritiques.
Ces signes qui font le charme désuet et exotique de notre belle langue résultent en effet, pour la plupart, de choix souvent fantaisistes de grammairiens anciens . L’un des plus pittoresques d’entre eux est Jacques Dubois, plus connu sous le nom de Jacobus Sylvius. Médecin et grammairien, Dubois (mort en 1555) est l'auteur de la « première grammaire du français écrite en France par un Français ». C'est évidemment en latin qu'il l'écrit, « pour que, dit-il, ces principes de notre langue puissent servir à la fois aux Anglais, aux Allemands, aux Italiens, aux Espagnols, à tous les étrangers enfin ». Hors de la médecine. J. Sylvius est l’inventeur de l'apostrophe, du tréma et de l'accent circonflexe !
Je ne sais qui faisait observer que Proust écrivait « nénufar » ; ce détail n’étonnera pas bon nombre d’éditeurs, dont les techniciens doivent corriger les fautes d’orthographe de leurs auteur(e)s (Vous voulez des exemples et des noms ?). Tous ceux d'entre vous qui ont eu le malheur d'avoir à lire des manuscrits de nos grands écrivains jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, savent qu'ils écrivaient à peu près n'importe quoi et qu'ils n'avaient, comme on dit, « aucune orthographe ». J'ai personnellement fait cette expérience pour Bernardin de Saint-Pierre dont j’ai établi et publié la seconde édition inédite de son Voyage à l'Île-de-France qu’il n'avait finalement jamais faite.