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Billet de blog 6 février 2018

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Les chevaux et tapis volants de la politique moyen-orientale (suite 3)

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Les chevaux et tapis volants de la politique moyen-orientale (suite 3)

Je ne ferai toutefois pas ici mon savant en évoquant, de mon seul fait, l'ingénieuse et passionnante hypothèse d’un érudit, Christoph Luxenberg, (souvent regardé à tort comme allemand ; il enseignait certes en Allemagne, mais il s'agit, en fait, d'un philologue islamologue chrétien libanais), exposée dans sa thèse soutenue en 2000. J'ai découvert ce savant, un peu par hasard, mais j'ai été très impressionné par sa théorie sur le Coran ; elle apporte en effet des explications plausibles et satisfaisantes à nombre de mystères que présente ce texte, au plan linguistique en particulier. 

Christoph Luxenberg est donc un pseudonyme ; ce savant philologue était en effet menacé de mort par des fatwas en raison de ses recherches et de ses idées et il a dû user de ce subterfuge  pour publier sa thèse, d'abord en allemand en 2004, Die Syro-Aramäische Lesart des Koran : Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache ( " Lecture syro-araméenne du Coran. Contribution pour décoder la langue coranique "), puis en anglais en 2007. De telles hypothèses ne sont pourtant pas totalement nouvelles, mais on voit d'emblée quelles réactions peuvent susciter de tels travaux qui ne sont pourtant pas des caricatures de Mahomet, bien loin de là. 

Un érudit allemand, Theodor Nöldeke, avait écrit en 1860 une Histoire du Coran. Pour la première fois, des chercheurs s’interrogent sur la création de l’islam, en dehors des légendes musulmanes. (Geschichte des Quorans, Leipzig 1919). Force est de constater que le Coran, loin d’être tombé du ciel, obéit à des règles de composition humaine : compilation laborieuse, réécritures permanentes, falsifications, mensonges, erreurs... Un autre érudit, Adoph von Harnack, affirme, dès 1874, que le « mahométisme n’est qu’une lointaine dérivation de la gnose judéo-chrétienne, et non une religion nouvelle ».

L'idée défendue par Luxenberg que le Coran a des bases araméennes avait déjà été avancée, en 1927, par Alphonse Mingana, dans " Syriac Influence on the Style of the Kur'an " (11e Bulletin of the John Rylands Library). L'interdiction formelle, depuis douze siècles, de toute exégèse du Coran (L'exégèse, < exegesis en grec ancien : " explication " - est, en philologie, l'étude approfondie et critique d'un texte) n'encourageait évidemment pas ce genre de recherche hors des pays musulmans, et l'interdisait totalement en leur sein.

Toutefois, grâce à de nouveaux travaux et hors des pays musulmans, la recherche sur le Coran a connu depuis deux décennies de très sensibles avancées et surtout un profond bouleversement. Pour s'en tenir au domaine francophone, tout récemment, a été créé par Mehdi Azaiez, professeur d'études islamiques à Louvain et spécialisé en particulier dans l'histoire des premiers siècles de l'Islam, un site désormais très fréquenté, voué aux études coraniques et nommé  de ce fait " Coran et sciences de l'Homme ". Le titre de la thèse d'islamologie de M. Azaiez est à soi seul tout un programme : « La polémique dans le Coran. Essai d'analyse du contre discours et de la riposte coranique ».

On lit ainsi, dans la présentation d'un récent ouvrage collectif publié par CNRS-Éditions et auquel a participé mon collègue et ami Pierre Larcher : « L'élargissement notable des sources (manuscrites, épigraphiques ou archéologiques), l'apport de méthodes d'analyse renouvelées, particulièrement de la réflexion herméneutique, dégagent des problématiques fécondes et ouvrent des perspectives originales. Les chercheurs français et étrangers réinterrogent donc désormais l'histoire du Coran en s'appuyant sur des sources inédites : manuscrits omeyyades, sources chiites, ou graffitis du désert.

Ils examinent les conditions de son émergence dans un contexte qui est celui de l'Antiquité tardive. En questionnant les relations entre le Coran et les traditions scripturaires antérieures, ils parviennent à éclairer le travail de réécriture et de réappropriation de textes bibliques et talmudiques. Les outils de la linguistique leur permettent enfin d'analyser les formes littéraires et la langue du Coran. La relation complexe entre oralité et écriture apparaît ici en pleine lumière, de même que les spécificités de ce texte en matière d'argumentation, de polémique ou de composition »  (Mehdi Azaiez, Sabrina Mervin (éd.), Le Coran. Nouvelles approches, CNRS Éditions, 2013).

Même si, comme on peut s'en douter, tous les spécialistes ne sont pas en total accord avec la thèse de C. Luxenberg, celle-ci s'inscrit naturellement dans cette évolution des études coraniques comme le souligne, on l'a vu, son titre " Lecture syro-araméenne du Coran. Contribution pour décoder la langue coranique " (L'araméen était la langue parlée par Jésus Christ). Il y a là d'abord, de sa part, une méthode de lecture du Coran fondée sur une connaissance de la langue syro-araméenne, mais aussi et surtout, au-delà, une prise en compte, précise et informée, de faits historiques et linguistiques auparavant ignorés, omis ou négligés. 

Dans ses travaux d'exégèse coranique, C. Luxenberg , se réfère aux données syriaques qui lui permettent d'expliquer bien des bizarreries, des obscurités et des contradictions du Coran par le fait que les textes araméens et arabes s'y mélangent. Les données anciennes sur l'importance du peuplement juif en Arabie avant les débuts de l'Islam plaident naturellement en faveur de cette hypothèse et peuvent expliquer que certaines des sources du Coran proviennent de l'adoption d'éléments syriaques et araméens introduits en Arabie par les tribus juives.

(La suite, un peu inattendue, demain !)

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