J'ai déjà fait état de mon agacement devant ces « experts », toujours parisiens et causant de sujets que leur expérience personnelle ne semble pas destiner à être les mieux informés sur les sujets qu’ils abordent. J'ai déjà parlé de Monsieur Servent, expert militaire, que les affaires grecques ont fort heureusement quelque peu écarté de nos médias où le vol des explosifs et des détonateurs de Miramas a fait resurgir un nouvel expert, toujours sur la ligne de départ médiatique dès qu’apparaît un micro ou une caméra. Il s'agit du général Vincent Desportes qui, à en croire une source, commencerait à agacer le ministère de la défense. C'est sans doute pour cela que, ce matin même, sur France Infos, il affectait d’ignorer le nom du ministre qu'il appelle Monsieur Drian (et non Le Drian !). Petite et pauvre vengeance car ce dernier toutefois lui réservait un chien de sa chienne en rappelant que dans son ministère il préférait travailler « avec les généraux de terrain qu'avec les experts qui regardent tout ça de Paris » (Le message était direct et il a porté; cher général Desportes, mettez votre mouchoir dessus).
J'avoue que connaissant mal nos généraux (nous en avons tout de même plus de 600 « en première section, c’est-à-dire « en activité », sans qu’on sache trop de quelle activité il s’agit !), je me suis illico rendu sur Google à l'article Wikipédia concernant ce général. On ne vous y épargne aucune circonstance ni aucun détail sur les états de service et les activités de ce brillant militaire et cela d’autant moins que tout indique que, comme dans le Who’s who, il l’a rédigé lui-même, en toute modestie !
Je voulais en particulier voir quelles étaient les campagnes auxquelles avait participé ce jeune général (61 ans). Je n'en ai relevé aucune et ce n'est sûrement pas un oubli. Il a surtout fait la guerre dans les ambassades et les bureaux ; le perfide Le Driant avait donc bien dirigé sa flèche du Parthe : « Attaché militaire près de l'Ambassade de France aux États-Unis d'Amérique, puis conseiller défense du Secrétaire général de la défense nationale (SGDN), il fut ensuite directeur du Centre de doctrine et d'emploi des forces (CDEF) jusqu'en juillet 2008 ». De 2008 à 2012, le général Vincent Desportes prend alors la tête… non d’une armée, rassurez-vous, mais du Collège interarmées de défense.
Je vous cite encore un extrait tout à fait caractéristique, tant de la carrière de l'homme que du style de son écriture : « Vincent Desportes est un véritable intellectuel, nourri de la culture stratégique américaine. Il a été en poste aux Etats-Unis de 1998 à 2003, mais n'a jamais participé à des opérations extérieures. Il est l'auteur de nombreux livres et articles mais il a surtout joué un rôle essentiel en incitant les officiers à prendre la plume et à s'exprimer ».
À en juger par la liste exhaustive de ses ouvrages et même de ses articles, il donne l’exemple comme doit le faire tout chef de guerre ; on voit surtout par là que le métier de général laisse bien des loisirs pour l'écriture quand on a le goût et qu'on s'en fait une spécialité au point qu'au milieu de ses décorations militaires, elles prévisibles vu son parcours, figure le titre de « chevalier des arts et des lettres » plus insolite et qu’il n'a pas manqué de rappeler.
Il est plus discret sur le plan politique, même si son appartenance à la droite ne fait pas de doute car il a été un très proche conseiller du ministre de la défense Hervé Morin ; il est clair que le général Desportes est d’abord un fin stratège ; un militaire d'expérience comme lui voit loin et surveille, en vue de 2017, en permanence et à la fois, la ligne bleue des Vosges, le front politique et la direction de l'Ecole de guerre, ce qui de façon fort logique le conduit à assiéger en permanence les meilleurs de nos médias.
Il a plus d’une corde à son arc ! « Titulaire d'un DEA sociologie, d'un DESS d'administration des entreprises et docteur en histoire », dans son article de Wikipédia, il ajoute : « Conférencier, enseignant la stratégie à HEC, il est aujourd'hui professeur associé à Sciences-po Paris ». Qui ne l’est pas à vrai dire ?
Le nombre même de ces « ménages » et de ces « piges » m’inquiète ! La République française ferait-elle si peu de cas de ses généraux en retraite ou plutôt « en deuxième section » (car le système de fin d'activité des généraux ne saurait être évidemment celui des pékins, fonctionnaires ordinaires) qu’elle les obligent, au terme de tous les risques d’une carrière héroïque, à occuper les emplois subalternes pour survivre et accroître un peu leurs maigres émoluments ?
Je ne peux pas, sur ces détails mesquins, me substituer aux spécialistes et je vous renvoie à ce sujet à l’excellent article de Rue 89 « Moins de soldats mais toujours autant de généraux » de Jean Guisnel, spécialiste des problèmes de défense et auteur de Les Généraux : enquête sur le pouvoir militaire en France (Éd. La Découverte, Collection Enquêtes, 1990. Nouvelle édition revue et augmentée : Collection Poche essais, 1997).
Pour faire ici une confidence personnelle, travers dont je suis peu coutumier, j’avais espéré en 1981 avec l'arrivée de la Gauche et plus encore, un peu plus tard, avec la fin de la Guerre froide, voir enfin réduit notre budget de la défense. Il n'en a rien été, du moins dans des proportions fortes, vu le gouffre financier que représente la défense nucléaire sur l'utilité et la nécessité de laquelle il est raisonnable de s'interroger. Mais passons car cela nous entraînerait trop loin !
L’un des thèmes favoris du général Desportes contre la réduction du budget militaire (Vous êtes orfèvre Monsieur Josse… et vous militaire Monsieur Desportes !) est que les menaces terroristes actuelles doivent conduire à maintenir et même à augmenter le budget de la défense ; il trouve le moyen de ressortir cet argument absurde à propos de l'affaire du vol de détonateurs et d’explosifs dans le dépôt militaire de Miramas ! Il est fort le bougre !
Quiconque qui, comme moi, (deuxième classe de l’infanterie de marine, un corps d’élite les « marsouins » !), a fait autrefois son service militaire et donc, par là même, connu quelque peu les habitudes et les comportements de l'armée française, sait à quel point l'efficacité et la rationalité sont des vertus qu’ignore à peu près totalement notre Grande Muette.
Ce dépôt stratégique et militaire (oxymore !) de Miramas où étaient stockés des produits qui sont une vraie bénédiction pour le moindre des terroristes, était protégé par un vague grillage et le dépôt le plus sensible stocké dans un bâtiment pourvu d’une porte des plus ordinaires, elle-même munie d’une vulgaire serrure qu'il suffisait de forcer, dans l'hypothèse (par ailleurs à vérifier) où elle aurait bien été fermée à clé ! Pas de garde permanente mais, semble-t-il, nous dit le brave général, quelques rondes assurées, en principe, par une société privée et qui, durant le week-end, devaient être pour le moins sporadiques sinon oubliées.
Pour trouver quatre sous afin de pouvoir équiper de tels dépôts d’explosifs des plus dangereux de fermetures efficaces, d’un vrai système d’alarme et surtout d’une garde permanente, peut-être pourrait-on décider, par exemple et sans chercher plus loin, de réduire au régime de retraite normale des agents de l’Etat les 5500 "généraux de deuxième section" qui continuent à toucher leur salaire jusqu'à leur mort et qui, en outre, s'emploient en grand nombre dans toutes sortes d'activités comme consultants, conseillers, experts, prestataires de services en tous genres dans diverses sociétés privées ; ils le font sans doute grâce à la création, en 2005, d'une « Mission de reconversion à la vie civile des officiers généraux » (la MIRVOG), financée par le ministère de la défense (Monsieur Le Driant pourrait ainsi punir ces ingrats qui en outre se payent sa tête comme ce brave Monsieur V. Desportes! ).
Plus simple et plus radical encore : ne peut-on affecter, en permanence, à la garde de ces dépôts de matériaux stratégiques importants comme ceux du dépôt militaire de Miramas, quelques-uns de ces 5.500 « généraux de deuxième section », experts en attaque comme en défense et si grassement payés à ne rien faire ?