Des Chagos et de Diego Garcia (suite)
Pour la clarté du propos et pour ne pas avoir à reproduire l'intégralité du texte publié dans Mediapart sur les Chagos, je reprendrai ici la fin de mon précédent blog où je suggère les changements ou les corrections que je voudrais avoir apportées à ce texte (le texte initial sera en italique ou éventuellement pour certains passages en gras).
Sans que la chose soit indispensable, je vous recommande de consulter le diaporama "Portfolio" récent, accessible (un peu laborieusement) par internet et qui a pour titre "Entre Maurice et l’Angleterre, la vie en suspens des exilés des îles Chagos", Le Monde ( 08.04.2018 à 18h01 • Mis à jour le 10.04.). En dépit de multiples erreurs (ici comme ailleurs), on pourra y voir mieux la relation réelle et l'histoire de la plupart de ces "exilés" qui, en général, n'ont guère connu cet archipel ! Les types humains et l'histoire de chacun (e) sont néanmoins intéressants.
On lit dans le texte publié dans Mediapart :
« Expulsés de chez eux afin d’installer une base militaire américaine dans l’océan Indien, les Chagossiens bataillent toujours pour leur droit au retour. [....]
«Le 6 janvier 2017, deux semaines avant que Barack Obama quitte la Maison Blanche, sept Prix Nobel ont supplié le président américain de rendre justice au peuple chagossien en les aidant à retrouver leur terre, l'archipel de [ sic ] Chagos , dont la plus grande île, Diego Garcia, est occupée par 4 000 militaires américains. [...]
Quelques éclaircissements historiques et géographiques sont ici indispensables en raison des multiples erreurs ou parfois mensonges.
Géographie et géopolitique : L'archipel des Chagos (et non "de Chagos" comme dans le texte cité ci-dessus), situé dans le Nord de l'océan Indien, non loin de l'Équateur ( Coordonnées : 6° S, 72° E), est formé de 55 îles pour une surface totale de 60 km2. Le point culminant de cet ensemble, sur Diego Garcia, se situe à 15 m ; ces îles ont en effet un relief très peu marqué ( majoritairement moins de deux mètres). Toutefois l'éparpillement des îles confère à cet archipel une "zone économique exclusive" de 636 600 km2. Ces îles réparties, en sept atolls, sont situées à 1 174 km au Sud de Malé, aux Maldives, et à 1 832 km à l'Est de Victoria, aux Seychelles, à mi-chemin entre les côtes de Tanzanie à l'ouest et Sumatra (Indonésie).
L'intérêt stratégique des Chagos est donc immense comme on le verra par la suite et les Etats-Unis ( pas fous!) ne sont pas près de les lâcher. Diego Garcia est l'atoll le plus méridional de l'archipel. Ses terres émergées entourent un lagon qui constitue un port naturel pouvant accueillir les plus grands navires du monde. J'ai pu ainsi voir une photo aérienne ancienne d'une partie de la base militaire américaine de Diego Garcia montrant le porte-avion USS Saratoga accosté dans le port en 1985 ; dans le panorama général, ce porte-avions de 260 m de long, aujourd'hui désarmé après 34 ans de service, y avait l'air d'une simple barcasse !
Histoire : À date ancienne, outre les Maldives, les Chagos furent sans doute une escale sur la route de Madagascar, ( souvenons-nous que le malgache est une langue malayo-polynésienne), aussi bien depuis Sumatra que depuis le Sud de l'Inde, où des marins et marchands javanais et malais se rendaient pour le commerce. Les habitants des Maldives connaissaient les Chagos.
L'archipel est peut-être découvert en 1512 par Pedro de Mascarenhas qui le mentionne sur une carte. Cependant, les Portugais ne semblent pas s'y intéresser particulièrement et c'est en 1744 que Peros Banhos est revendiquée par une puissance européenne ... la France. Ce n'est qu'à partir de 1784 que l'archipel commence à être occupé, de façon sinon permanente, du moins un peu prolongée. Pierre Marie Le Normand, un planteur spécialisé dans le sucre et la noix de coco basé à l'Ile de France (aujourd'hui Maurice), demande une concession dans l'île de Diego Garcia au gouverneur Souillac afin d'y établir une plantation de noix de coco.
Le 4 mai 1786, les Britanniques prennent toutefois possession de Diego Garcia puis l'abandonnent par crainte d'un conflit diplomatique avec la France qui perdra toutefois ses droits sur ces terres avec la défaite de Napoléon. Plusieurs planteurs français de noix de coco venus de l'Ile-de-France rejoignent à leur tour l'archipel avec leurs esclaves pour s'y implanter et exploiter l'huile de coco et le coprah. Un autre entrepreneur, Danquet, choisit lui d'installer une entreprise de pêche sur l'île.
En 1808, les archives mentionnent que Monsieur Lapotaire possédait à une centaine d'esclaves sur Diego Garcia ; un nombre similaire de travailleurs pouvait être observé en 1813 sur Peros Banhos. Entre 1780 et 1828, l'archipel est aussi utilisé par les Français et les Britanniques pour isoler et soigner les lépreux dans l'espoir qu'un régime alimentaire basé sur l'abondance de viande de tortues leur sera bénéfique. La population reste réduite ; en 1826, on comptait, dans l'archipel, 375 esclaves, 9 blancs, 22 « libres de couleur » et 42 lépreux. . Au total, les Chagos étaient peuplées à cette époque par 448 habitants, dont la moitié vivaient à Diego Garcia.
Finalement, les Britanniques ne prennent formellement possession de l'archipel qu'avec le traité de Paris (1814). Les Chagos sont alors intégrées à la colonie des Seychelles puis deviennent colonie de Maurice le 31 août 1903. Après l'abolition de l'esclavage en 1834, les Britanniques ont employé, faute d'esclaves, les anciens esclaves comme travailleurs dans le coprah et importé quelques "engagés" indiens.
Pour résumer, la population de l'archipel des Chagos a toujours été très réduite (quelques centaines, d'hommes surtout) ces îles servant surtout, à dates plus récentes, d'escales provisoires pour des pêcheurs venus des Seychelles ou de Maurice qui repartent ensuite vers leurs port d'attache avec leur cargaison de poissons ou d'animaux marins séchés.
Au début des années 60, c'est encore en ces termes que j'ai toujours entendu parler, à Maurice comme aux Seychelles, de l'activité comme du peuplement, sporadiques, des Chagos
Le statut et l'évolution démographique et politique de l'archipel des Chagos :
On lit dans le texte de Mediapart cité et examiné ici « Les Chagossiens veulent ainsi donner le plus grand retentissement à leur cause qui est sans aucun doute la plus importante depuis les premières décolonisations d’après-guerre ; à la lumière de ce qui précède et de ce qui va suivre , on mesure ce qu'une telle formulation a de ridicule et pourrait-on dire même d'odieux, quand on compare le transfert à l'Ile Maurice surtout et aux Seychelles de deux ou trois centaines de "Chagossiens" avec les millions de morts des occupations et des déportations européennes, sans parler même de tous les autres drames survenus et qui surviennent encore, dans d'autres régions, comme la Birmanie ou le Yemen !
(Demain suite et fin)