« Mixité sociale, école et sociologie. Lettre ouverte à Elisabeth Quin », tel était le titre de mon blog du 11 novembre 2015, que j’ouvrais par les remarques qui suivent à l’attention de la destinataire de ce billet :
« Pauvre Élisabeth Quin, vous n'avez pas eu la main heureuse dans votre choix d’hier, mardi 10 novembre 2015 ! Vous aviez trois sujets : la mixité sociale à l’école, les magouilles financières du Vatican et André Glucksmann ». Vous avez su éviter le dernier, André Glucksmann. Tout le monde le croyait journaliste alors qu’il a été, en fait, toute sa vie durant, planqué au CNRS où il entra … en mai 68, ce qu’aucun de ses innombrables et soudains hagiographes ne me semble avoir noté et qui était pourtant tout à fait remarquable pour ne pas dire « oxymorique » ! Il a fait, au sein de ce même CNRS, toute sa carrière qu’il a même achevée comme « directeur de recherches », ce qui l’était presque tout autant, sinon davantage, dans une discipline aussi scientifiquement majeure que la philosophie ! Rassurez-vous il n'y était pas le seul « philosophe » ; à cette époque encore heureuse, on comptait au moins une centaine de chercheurs « professionnels » en philosophie au CNRS, sans compter les « ingénieurs d'études » de la même farine, qualification un peu étonnante dans une telle discipline. Vous avez eu raison de n’en point trop parler car, ici comme ailleurs, « Tout est dit et l’on vient trop tard ». Sur Glucksmann, la lecture du superbe texte de Guy Hocquenghem (mort en 1988 si je ne me trompe pas) et intitulé « À André Glucksmann, stalinien renversé », tellement prémonitoire, dispense de toute autre lecture.
Petit extrait du début de ce texte :
« Cher et tortueux Glucks,
En gros, comme dirait July, BHL et toi balisez le terrain ; tous deux renégats affirmés du gauchisme, mais lui passé à gauche (après l’épisode giscardien) et toi à Marie-France Garaud (dont tu vins jouer les supporters, à la télé, avant les élections, flanqué de Kouchner). BHL retrouve l’antisémitisme et le fascisme sous l’anarchisme qu’il pourfend et les « philosophies du désir », toi tu déniches l’hitlérisme sous le masque pacifiste.
La police des idées est bien faite ; cette surenchère de dénonciations « paradoxales » vole bien au-dessus des différences politiciennes. Complémentarité : BHL, niché dans la gauche, son gagne-pain, comme le ver dans le fruit, déguise, comme les Castro et July, l’apostasie en fidélité (du gauchisme à la gauche) ; toi et les tiens, au lieu du reniement par continuité de façade, proposez le reniement par rupture répétée, la continuité dans le reniement ; et c’est au nom de l’autocritique, de l’imprévisibilité de la pensée selon Mai 68, que tu t’engages à droite.
Fidélité contre fidélité, toutes deux factices. Et je t’ai assez entendu rager contre Lévy, l’accusant de t’avoir volé, quand il t’édita, le contenu de ton livre pour fabriquer le sien, pour savoir que vos divergences sont autant d’attrape-nigauds. « Better dead than red », avec une tête de mort, entouré par « Revenge » (vengeance) et « No more Vietnams » : voilà le tract à la Rambo que « les officiers de la DGSE fabriquèrent pour revendiquer l’attentat contre le Rainbow Warrior ». ».
Les « fils de … » peuplent de plus en plus nos médias ! Si Raphaël Glucksmann, son fils chéri, lit ces lignes (ce dont je doute fort), qu'il n'aille pas plus loin, car je ne voudrais en aucun cas lui faire de la peine ; c'est en effet, pour l'avoir vu lui-même de plus en plus à la télévision ces derniers temps et dans les médias, que je suis revenu sur ce sujet que je pensais pourtant avoir abandonné. Toujours ce maudit hasard qui, comme vous le savez, dans sa malice perpétuelle, me joue sans cesse des tours.
Comme l'insinuait perfidement autrefois mon professeur de philosophie, Jean Lacroix (l'auteur de la chronique philosophique du Monde à l'époque) à propos du fils Lachièze Rey modeste professeur de philosophie quoique fils du grand Pierre Lachièze-Rey, spécialiste de l'idéalisme kantien et de la théologie spinoziste : « Le génie n'est pas héréditaire ! ». Papa Glucksmann, quoique « cloutard » (il n’a jamais dû s’en relever !) était agrégé de philosophie ; son fils, Raphaël Glucksmann, n’est que diplômé de Sciences-po. Fi donc ! On le sent, en revanche, aussi désireux qu’habile pour faire son chemin dans les médias et à s'y trouver des places… dans le sillage paternel. Cofondateur d’ESF (Pas l’Ecole du Ski Français, quoiqu’il négocie fort bien les virages), mais « Études sans frontières » ( ???) , il s'est occupé des missions concernant le Rwanda et la Tchétchénie. Membre du Cercle de l'Oratoire où il succède là aussi à son papa, il contribue à l'édition de la revue Le Meilleur des mondes qui relève de la même mouvance « néo-con » et « gauche libérale moderne » à la Macron. Ça ne vaut assurément pas un poste au CNRS, mais il a, par ailleurs, des ambitions politico-matrimoniales internationales ; il a même été l’un des « conseillers officieux » du président géorgien Saakachvili, ce qui ne constitue peut-être pas la meilleure et la moins discutée des références. Mais passons sur le fiston pour revenir à Papa Glucksmann.
Loin de mettre un terme à ses malices, ce facétieux hasard, comme je le rappelais dans mon blog d’hier, m'a fait découvrir Bertrand Redonnet ; en parcourant son blog, fort intéressant tant par la diversité des sujets traités que par son écriture, je suis tombé sur le texte suivant que je prends la liberté de reproduire ici sans en solliciter le permission auprès de son auteur car je ne sais pas trop comment le joindre, exilé qu’il est au fin fond la Pologne. Qu'il veuille bien me pardonner cette indélicatesse mais le concert des dithyrambes et des thrènes lors de la mort d'André Glucksmann a été tel que je ne peux résister à la tentation d'y adjoindre une voix quelque peu discordante, mais qui témoigne d’une parfaite connaissance du sujet..
« Un philosophe mort bien longtemps après la philosophie
Dans quel abominable désert de la pensée vivons-nous donc ! Dans quelle idiotie lénifiante évoluons-nous ! Dans quel vide sidéral sommes-nous contraints de chercher à nous exprimer ! C’en est tout simplement effrayant !
Le « philosophe » André Glucksmann est mort. Destin normal de tous les hommes en leur condition de mortel. La mort est en soi un drame. Une infinie tristesse. Mais de grâce, qu’on se taise et qu’on n’encense pas celui-ci plus que n’importe quel quidam de mes campagnes ! En rien, il ne l’aura mérité.
Quand j’entends les éloges de Hollande, de Valls et de Macron, j’en frémis d’horreur et je mesure toute la pauvreté stéréotypée de ces gens de pouvoir ! Je vois quels étudiants besogneux et sérieux, premiers de la classe et lèche-cul pétant dans la soie, ils ont dû être, cherchant partout un modèle pour formater leur cerveau désespérément stérile de toute originalité et de toute initiative poétique.
Glucksmann anti-totalitaire ! Quelle belle affaire ! Quelle découverte et de quelle témérité il faut faire montre pour être un anti-totalitaire ! Quelle brillante et audacieuse personnalité ! Trouvez-moi un homme qui ne se dise pas contre le totalitarisme ! Si tous avaient alors la prétention d’être écrivains-philosophes et intellectuels engagés, il ne resterait plus grand monde pour faire autre chose !
Rappelons alors, en guise d’oraison funèbre, que Glucksmann tire sa première notoriété d’un livre où il dénonçait - fort tardivement car il était déjà à l’aube de la quarantaine - les crimes du Goulag et le totalitarisme des systèmes dits communistes, après avoir été pendant des décennies un maoïste pur et dur, intransigeant, partout où il avait l’occasion de le faire savoir ! La cause du peuple, ça vous dit quelque chose ?
Nous qui ne sommes pas des philosophes, nous qui n’avons pas emmené Sartre et Aron la main dans la main chez Valéry Giscard D’Estaing, nous qu’on n’a jamais invités à venir s’exprimer sur un plateau de télé ou derrière le moindre micro de radio, nous que les grands éditeurs ont toujours refusé de transmettre, nous qui mourrons sans un mot gentil jeté sur notre sort, nous avons dénoncé avec force et combats tous les stalinismes, sous quelque forme qu’ils se soient manifestés, de Staline, Mao, Trotski, Kamenev, Duclos, Geismard, à Sartre en passant par Aragon, et même Glucksmann et tutti quanti, alors que nous n’avions même pas encore vingt ans !
Nous nous sommes battus dur contre tous les groupuscules dits révolutionnaires et qui ne faisaient que chanter la messe marxiste-léniniste à une époque où Glucksmann en était un grand prêtre, voire un évêque, de cette grand’messe du mensonge collectiviste ! Nous lisions Debord et Vaneigem, crachions sur la Révolution permanente et levions, dans des tavernes obscures, à Barcelone, Amsterdam, Paris ou Hambourg, nos verres à la mémoire de Nestor Makhno, quand Glucksmann avait les yeux rivés sur Pékin, brandissait encore le petit livre rouge et décortiquait Lénine !
Nous servira-t-on après ça, ce genre de salades : que nous avons mis « notre formation intellectuelle au service d’engagement public pour la liberté »(Hollande), que « nous guidions les consciences », (Valls), que « nous avons fait partie de ces philosophes courageux qui ont éclairé très tôt… et blabla blabla » (Macron) ? Mon dieu, quelle horreur d’avoir passé sa vie dans l’erreur pour finir encensé par des menteurs aussi creux ! Nous, nous étions du côté de nous-mêmes, des vauriens, des loosers, de la racaille et des poètes enivrés… Des anarchistes toujours trop en retard, mais arrivés partout avant tout le monde. C’est pour cela que nous ne méritons rien et que nous ne sommes pas peu fiers du mépris formulé à notre adresse par les gens du pouvoir et leurs acolytes, les penseurs à la gomme. Un seul de leurs compliments anéantirait tout ce que nous avons pu trouver de joie et de vérité sur le chaos de notre chemin !
Glucksmann aura passé sa « carrière », tout comme son compère Lévy, à énoncer des suites interminables d’erreurs lamentables et à contretemps – les Serbes, le Kosovo, Poutine, le soutien à la guerre en Irak, le soutien à Sarkozy, etc – mais il aura réussi à faire passer ses apostasies intellectuelles successives pour autant de nouveaux chemins de Damas, soudainement ouverts sous ses pas ! Certes. Ils furent et sont encore des milliers et des milliers comme ça ! Mais quelle tristesse puante que de voir les socialistes qui vous gouvernent, ceux qui vous font cracher l’impôt, lui lécher d'aussi indécente façon le linceul ! La nullité d'esprit rendant hommage à l'esprit de nullité ! Ce monde est bien misérable et peu sont encore les hommes qui prennent la peine d’en souffrir ! ».
Pas mal non ? Merci Monsieur Redonnet et encore toutes mes excuses !
