Retraites ... et primes ( suite n°3)
L'administration française, qui a désormais ajouté à la vieille triplette nationale « Liberté, égalité, fraternité », la « transparence », est pourtant, sur bien des points, opaque sinon impénétrable ! Allez ainsi savoir, dans notre république si transparente, le nombre exacte des régimes spéciaux de retraites ou celui des agences ou officines diverses chargées de telle ou telle question! Vous y perdrez votre latin... si vous en avez encore !
La rémunération des fonctionnaires, censée être accessible à tout citoyen grâce à la « grille » très officielle des traitements de la fonction publique est loin d'être accessible en réalité, dans toute sa diversité, à commencer par celle des hauts fonctionnaires du ministère des Finances que protège, de façon inattendue mais perverse, « le verrou de Bercy ». Ce mystère est d'autant plus inattendu que ces derniers sont souvent en même temps les grands prêtres du culte de la baisse de la dépense publique !
Bernard Zimmern, co-fondateur des « Contribuables Associés », dont la lecture des textes est souvent éclairante, rappelle, dans son iconoclaste essai Changer Bercy pour changer la France (Tatamis, 2015), que Jean Arthuis, ministre de l’Économie et des Finances de Jacques Chirac entre 1995 et 1997, avait connu une telle expérience, mais en tant que... ministre, narrée dans un livre Dans les coulisses de Bercy. Le cinquième pouvoir (Albin Michel, 1998). Il y raconte comment il avait dû attendre six mois pour avoir le droit de consulter la liste des 250 agents les mieux rémunérés de son ministère. Il finira par l’obtenir, mais .... sur un « papier chimique impossible à photocopier ».
George Dupuy, en 2005 déjà, en empruntant l'intitulé de son article au film de Pierre Granier-Deferre (1982) « Que les gros salaires lèvent le doigt », a publié les résultats d'une enquête qu'il avait faite sur les salaires des neuf fonctionnaires les mieux payés de la République française. Rien ne pouvait indiquer qu'une telle recherche présentât des problèmes, de quelque ordre que ce soit, puisqu'il s'agissait là d'argent public et que la « transparence » absolue était de rigueur. G. Dupuy disposait d'ailleurs de sources d'information aussi rigoureuses qu'abondantes, à commencer par les trois rapports de la Cour des Comptes sur les " rémunérations et les primes dans la fonction publique d'Etat", même si on pouvait s'étonner que le rapport sur ce même sujet, commandé par Pierre Mauroy à Alain Blanchard, membre de cette Cour, et remis le 1/6/1984, ()établi, dit-on, en un seul exemplaire), eût disparu dans la suite, sous L. Fabius.
Bornons-nous ici à suivre fidèlement, quoiqu'en partie seulement, George Dupuy, afin de ne pas nous égarer nous-même :
« La quête fut édifiante. Ponctuée de vraies avancées et de fausses bonnes volontés. Première divine surprise : les services de Renaud Dutreil savaient au moins qui étaient les sept fonctionnaires les mieux rétribués, sans toutefois donner leurs rémunérations. Restait donc à affiner la liste. Ainsi, les Trésoriers-Payeurs Généraux occupaient la première marche du podium, mais le TPG d'Ile-de-France ne devait pas toucher les mêmes rémunérations que celui de la Creuse. Autre miracle, Bercy n'a pas hésité une seconde à communiquer les rémunérations qui relevaient de lui.
Les neuf fonctionnaires les mieux payés étaient (Salaire annuel)
- Trésorier-payeur général le mieux payé (recette générale des finances de Paris) Environ - 200 000 ?
- Conservateur des hypothèques le mieux payé - 185 000 ?
- Vice-président du Conseil d'Etat - 142 175 ?
- Premier président de la Cour des comptes - 134 000 ?
- Secrétaire général du gouvernement - Non communiqué
- Chef d'état-major des armées - Non communiqué
- Directeur régional des impôts - 103 000 ?
- Préfet de Paris et de la région Ile-de-France - 99 000 ?
- Recteur de l'académie de Paris - Non communiqué
Nous pensions donc qu'il nous restait le plus facile : les salaires attachés à des postes uniques et bien ciblés. Le troisième fonctionnaire le mieux payé de la fonction publique d'Etat, à savoir le Vice-Président du Conseil d'Etat, et le quatrième, le Premier Président de la Cour des comptes, ont sans hésitation fait connaître ce qu'ils percevaient, le Préfet de Paris et de la Région Ile-de-France nous a, lui, faxé sa feuille de paie.
Les autres nous ont purement et simplement baladés. Seul le chef d'état-major des armées a assumé en nous faisant savoir que « tout ceci ne nous regardait pas ». Le Secrétaire Général du gouvernement (classé 5e) a, lui, noyé le poisson en nous demandant «de ne pas confondre le palmarès des rémunérations avec l'ordre protocolaire». Sic ! Cela dit, nous n'avons plus eu de nouvelles de lui. ».
Fin 2017, la Cour des comptes a bouclé sa troisième enquête en huit ans sur les revenus des hauts fonctionnaires de Bercy pour la période 2013-2015. Les magistrats financiers ont dénoncé, dans un référé spécial, non seulement des salaires anormalement élevés, mais également "des dispositifs de rémunération sans base juridique !" On comprend par là que le sujet tente toujours les journalistes d'investigation à la fois par les difficultés qu'on oppose à leurs enquêtes et par l'énormité des information qu'ils découvrent. Nous reviendront donc pas sur l'essentiel des recherches ultérieures, inévitablement répétitives, en ne nous attachant qu'aux éléments nouveaux ou significatifs.
(La suite demain)