C’est encore loin l’Amérique ?
Vous connaissez sans doute la vieille blague du père qui veut gagner l’Amérique à la nage avec son fils et à qui l'enfant demande au bout d’un moment : « C'est encore loin l'Amérique, papa ? » pour s’entendre répondre : « Tais-toi ! Nage ! ».
Nous autres Français adorons moins les Américains que leurs pratiques et cherchons toujours à les imiter en tout ; d’abord dans leurs mots mais en particulier dans ce qu'ils renoncent eux-mêmes à faire, et cela de préférence au moment même où ils y renoncent.
Un bel exemple de tels faits nous est donné par le TFF, le « Teach For France » que la stupeur que je devine chez vous me conduit à donner quelques éclaircissement sur le sujet ! Paul Devin a consacré un blog au TFF dans le Club de Mediapart le 10 août 2016 sous le titre : « Formation des enseignants : la rhétorique des fausses évidences libérales ». Il y précisait qu’il abordait le sujet suite à la lecture dans L'Humanité du 9 août 2016 d'un entretien de Sylvie Ducatteau sur les dangers de « l’implantation en France d’une branche du réseau Teach for All, né aux États-Unis pour recruter et former des enseignants à bon marché ». Voilà le cadre posé et si la question vous intéresse, je vous invite à lire ces deux textes ou au moins le second, plus long, plus détaillé et plus éclairant de ce fait que le premier car je n’ai guère ici la possibilité d’être long !
Le mirage de l'enseignement à bon marché (ou en tous cas à moindres coûts), quels qu'en soient les niveaux (de l'université avec les « moocs » aux étages plus modestes de l’éducation ) exerce une séduction constante sur les politiques dont les signes les plus clairs et les plus forts ont été donnés chez nous par Madame Pécresse (conseillée par Monsieur Coulhon) avec sa fameuse LRU, imposée presque sans problèmes grâce à l’achat préalable des présidents d’université et que Madame Fioraso, qui lui a succédé, comme elle peu familière de l’université, n’a guère modifiée.
Le témoignage de Maria Noland est l’élément essentiel de l’article de l’Humanité. Anthropologue américaine spécialisée dans l’étude des politiques éducatives et parfaite francophone, face au développement du réseau Teach for All (« l’enseignement pour tous ») dans le monde, elle a créé une page Facebook intitulée « Stop TFF », « branche française nouvelle de « Teach for America » » qui tend à s’implanter partout.
Maria Noland déclare à l’Huma : « Je m’intéresse depuis longtemps à Teach for America. Lorsque j’ai pris connaissance qu’une filiale s’implantait en France, j’ai voulu réagir. Au début, naïvement, je me suis laissé abuser par la générosité du discours de cette organisation. Elle affirmait combattre les inégalités scolaires [dont nous serions désormais les quasi-recordmen !] et favoriser la mobilité sociale des jeunes pauvres. Comment s’y opposer ? J’ai cru que le capital se mettait au service de l’éducation. Que des entreprises françaises donneraient de l’argent pour améliorer la situation des écoles dans le besoin. L’inverse est advenu : l’éducation se retrouve au service du capital. Cette association ne compte aucun enseignant en activité. Elle n’affiche aucun parti pris pédagogique. Il s’agit d’une machine de diffusion de l’idéologie de marché. ».
« (Sylvie Ducatteau ) Comment s’y prend-elle ?
Maria Noland : Teach for France use d’un discours très idéaliste pour convaincre les jeunes diplômés des grandes écoles. Ils sont appelés à être des nouveaux hussards, des acteurs du changement du système éducatif. Les responsables de Teach for France se déplacent dans leurs écoles ou participent aux forums de l’emploi des entreprises que fréquentent ces étudiants. Les anciens des écoles sont très actifs dans les recrutements et très présents dans les équipes de direction. […ici des noms sur lesquels je reviendrai car là se trouve le centre de mon propos]. Le message est simple. On leur dit : « Engagez-vous avec notre association. Nous allons retrousser nos manches et enseigner directement… » En clair, pas besoin de passer par le concours et toute cette paperasserie associés au service public et au fonctionnariat. Les recrues sont engagées dans les écoles publiques pour une durée de deux ans. ».
Ce qui me semble le plus significatif dans tout cela tient moins à l’esprit idéaliste et généreux mis en avant et exalté par l’entreprise qu’à l’équipe dirigeante et aux figures majeures de Teach For France.
Pour qui connaît un peu le paysage politique et académique français, les noms des protagonistes majeurs de l’entreprise sonnent un peu étrangement à l’oreille : jetons un coup d’œil sur l’organigramme de TFF : Patricia Barbizet, une ancienne de l’ESCP, administratrice de TFF, dirige Artémis, la société d’investissement de la famille Pinault. Laurent Bigorgne, Vice-Président de TFF, est Directeur de l’Institut Montaigne ( le think tank ultra néolibéral qui prône la réduction du budget de l’éducation), proche de V. Pécresse et ami personnel d’Emmanuel Macron. Bernard Ramanantsoa qui a été directeur général de HEC Paris de 1995 à 2015, désormais administrateur de TFF, après avoir travaillé avec McKinsey & Co, l’un des soutiens financiers majeurs de TFF. Ramanantsoa fréquente également les cabinets ministériels et la haute fonction publique comme conseiller. Vous en faut-il davantage ?
La cerise sur le gâteau est toutefois la Déléguée Générale de TFF (ne lésinons pas sur les majuscules) qui n’est autre que … Nadia Marik-Descoings, la veuve de feu Richard Descoings, le pittoresque ex-patron de Sciences-Po Paris. Sa fin, aussi dramatique que mystérieuse dans un grand hôtel de New-York, a fait beaucoup jaser (cf. mes billets de l’époque), mais moins toutefois que, dans la suite, les découvertes stupéfiantes sur ses modes de gestion et surtout de rémunération. Ajoutons toutefois qu’en dépit de ses mœurs affichées, il avait toutefois l’élémentaire courtoisie de faire bénéficier son épouse et adjointe de ses privilèges !
Faut-il en dire davantage pour vous éclairer sur cet étrange TFF ?