Francophonie ou Francofolie ? (suite 8)
Début 1989, on pouvait donc penser que, pour ce qui concernait les questions linguistiques, on allait assister, surtout dans le nouveau contexte géopolitique africain, à d’importants changements d’orientation dans la politique de la Francophonie qui, en gros, demeurait celle qui avait été définie à Niamey vingt ans auparavant.
Un tel changement semblait d’autant plus possible que le nouveau Haut Conseil de la Francophonie avait choisi pour thème de sa session de février 1989 « La pluralité des langues en francophonie » . Ma candeur naturelle me poussa alors à penser qu'il y avait là une convergence remarquable avec des projets que j'avais engagés depuis l'année précédente dans le cadre d'un programme soutenu par la Sous-Direction de la Recherche du Ministère français de la Coopération et du Développement. Le titre de ce programme était en effet parfaitement explicite « Langues africaines, français et développement dans l'espace francophone » (en abrégé LAFDEF). Financé directement par le ministère français de la Coopération et du Développement et exécuté par des chercheurs du Nord comme du Sud, ce projet LAFDEF aura comme résultats, dans les années qui suivent ; de 1995 à 1997, trois ouvrages collectifs et une grille spécifique pour l’évaluation des compétences linguistiques en français destinée à des locuteurs africains : Chaudenson Robert et al., Vers un outil d’évaluation des compétences linguistiques dans l’espace francophone, Paris, Didier-Erudition, 1995 ; Chaudenson Robert et al., Test d’évaluation des compétences linguistiques dans l’espace francophone, Paris, Didier-Erudition, 1996 ; Chaudenson Robert et al., L'évaluation des compétenclinguistiques en français. Le test d'Abidjan, Paris, Didier-Erudition, 1997. Ce test, conçu volontairement sans références culturelles trop précises, d’usage simple et de correction facile, demeure à la disposition de chacun, son emploi étant en outre gratuit !
Avant de mette en œuvre le programme LAFDEF, j’avais écrit, à la hâte, début 1989, un livre pour exposer mon point de vue sur la francophonie africaine et l’avenir du français en général. Rédigé avant le Sommet de Dakar, cet ouvrage avait un titre à mes yeux parfaitement explicite quant au projet qu’il proposait : 1989 Vers une révolution francophone ? (1989, Paris, L’Harmattan, 224 pages).
J’avais pensé d’abord donner à ce livre quelque peu un ton un peu polémique ; il demeure présent dans les titres de quelques chapitres : le troisième « De la francofaune : francophones, francophonoïdes, franco-aphones », le cinquième « Francophiles, francolâtres et francomanes », le sixième « Francocacophonie ou francopolyphonie », ou le septième« Francophonie et fricophonie » ; j’avais cependant renoncé à user de ce ton dans tout l’ouvrage dont la quatrième de couverture (rédigée par l’auteur, comme toujours et qui suit ici) expose le point de vue.
« 1789, Révolution française. 1989, Révolution francophone ? ». Dès 1789, en effet, la Révolution avait engagé la réflexion sur la langue et l'éducation et elle l'a conduite au milieu des pires épreuves. La francophonie de 1989 aurait-t-elle le même courage et la même lucidité ? Ferait-elle à son tour sa « Révolution » ? Reconnaîtra-t-elle enfin que son avenir se joue sur le continent africain où, faute d'une version gestion raisonnée du multilinguisme, l'éducation, la formation et la vulgarisation agricole présentent des bilans catastrophiques ?
Le français se rangera-t-il dans l'Europe du XXIe siècle parmi les langues mineures, aux côtés de l'italien et du grec ? Saurons-nous saisir notre seule et dernière chance en favorisant l'émergence d'une Afrique enfin réellement francophone et engagée, par là, sur la voie du développement, ou nous bornerons-nous à essayer de bétonner sottement une ligne Maginot linguistique contre l'anglophonie ? »
Aurais-je aujourd’hui, près de trente ans plus tard, à réécrire ce texte que je n’en changerais pas une virgule car, hélas, à mes yeux du moins, il n’a pas pris une ride. J’avais été d’autant plus encouragé à écrire ce livre que, dans la préparation de sa session de février 1989, le Haut Conseil de la Francophonie marquait enfin son souci de dégager des « propositions en faveur de la convivialité des langues du monde francophone » (Documents de la Ve Session du HCF, p.18). Cette perspective avait été baptisée par Stelio Farandjis lui-même, « francopolyphonie » ; le sens de ce néologisme étant ainsi précisé ( op. cit.1989 : 34) :?
« L'aménagement linguistique (compromis entre l'intervention politique, l'expertise scientifique et la vie des langues) doit s'attacher dans l'aire francophone autant à la conservation et à l'enrichissement de la langue française qu'à la gestion de la coexistence du français avec les créoles, la langue arabe, les langues africaines. Cet aménagement doit être conçu et mené d'une manière partagée entre partenaires. Cette gestion linguistique partagée est la seule démarche qui permette à la fois de concilier la vie bourgeonnante de la langue française avec le maintien d'une intercompréhension entre les continents et les générations et de dépasser les conflits de langues pour aboutir entre partenaires de la francophonie à une convivialité linguistique heureuse, créatrice de dynamique. ».
Début 1989, du côté de la francophonie multilatérale, tout allait pourtant pour le mieux ! On organisait, à l'ACCT, à l'initiative de Christian Valantin, le président sénégalais du Comité Préparatoire du Sommet de Dakar, des réunions de concertation prometteuses qui, pour la première fois, s'ouvraient aux milieux non institutionnels et recueillaient auprès de certains, dont j'étais, des avis extérieurs et quelquefois hétérodoxes.
Les circonstances paraissaient donc favorables et le Sommet de Dakar s'ouvrit par l'approbation d'un texte important (" Enjeux et défis ") et fut conclu par l'annonce solennelle de la mise en œuvre d'un « Plan décennal d'aménagement linguistique de la francophonie » pour 1990-2000.
(La suite demain)