La police et les universités
Notre presse nationale, comme souvent hélas, ne se préoccupe guère d'informer, de façon exacte et précise, ses lecteurs ou ses auditeurs car cela l'obligerait elle-même à s'informer un peu et nos "journalistes-sic" ne s'en préoccupent guère ! Toutefois à cette ignorance se joignent parfois la perversité et la dissimulation de certaines informations ce qui épond parfois à des intentions précises.
Je ne suis pas un lecteur très assidu du Figaro mais force est de reconnaître que, de temps en temps, ce journal est bien préférable aux autres. C'est ainsi que c'est là, et nulle part ailleurs, que j'ai découvert Jean-Marc De Jaeger, le seul journaliste qui semble avoir jugé bon de consacrer un article à la question que je voulais aborder dans ce blog.
Son texte est paru le 9 avril 2018 sous le titre « La police peut-elle déloger les bloqueurs des universités ? ». Il évoque cette question à propos de l'université Paris VIII à Saint-Denis, mais son propos concerne, tout aussi bien et mieux encore peut-être, car la situation s'y est prolongée, Paris I (Panthéon Sorbonne).
Jean-Marc De Jaeger a fait l'effort de s'informer de l'aspect juridique des choses, en interrogeant Maître Valérie Piau, avocate en droit de l’éducation ; je reprendrai donc ici des éléments du témoignage de cette dernière, quoique moi-même, en tant qu'ancien président d'université, j'ai eu connaissance de cette disposition légale dont fort heureusement je n'ai jamais eu à me servir.
Les règles de droit sont simples : « Les forces de l’ordre peuvent intervenir dans les universités mais seulement à la demande du président d’université et avec l’accord du préfet ».
Les choses sont donc des plus claires : les forces de l’ordre ne peuvent intervenir dans les universités qu'à la demande du président d’université et, bien entendu, avec l'accord de leur propre hiérarchie. Elles ne peuvent en aucun cas prendre une telle initiative, ce qui montre la parfaite et totale mauvaise foi de la plupart des comptes-rendus de la presse qui signale l'intervention des forces de police, sans mentionner à aucun moment qu'elles se font sur demande du président de l'université en cause et non sur un simple accord de sa part. Ce point, qui est évidemment capital, est assez systématiquement omis, comme il l'a été dans les cas des universités de Paris I (Tolbiac) et de Paris VIII (Saint-Denis).
Le Figaro - Les étudiants ont-ils le droit de bloquer leur université et de faire grève?
MaîtreValérie Piau : « Le terme de grève étant propre aux travailleurs et au droit du travail, il ne s’applique pas aux étudiants. Ceci dit, les étudiants peuvent décider de ne plus aller en cours. Ils peuvent «occuper» une salle ou un amphithéâtre de leur université dans le but d’y débattre, comme le précise l’article 811-1 du Code de l’éducation: les étudiants «disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public». Autrement dit, les étudiants n’ont pas le droit d’empêcher d’autres étudiants de se rendre en cours ou en examen. Ce qui constitue une «entrave à la liberté d’aller et venir dans un lieu public». ».
Le Figaro : La police peut-elle intervenir dans les universités pour déloger les bloqueurs?
Maître Valérie Piau : Les forces de l’ordre peuvent intervenir dans les bâtiments des universités mais seulement à la demande du président d’université. Ils ne peuvent pas entrer dans l’enceinte de l’université sur un simple appel d’étudiant. Le président doit être avisé au préalable. Celui-ci «est responsable du maintien de l’ordre et peut faire appel à la force publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État», comme l’indique l’article 712-2 du Code de l’éducation. Il doit au préalable demander l’autorisation du préfet. En cas de refus, le président sollicite le juge administratif des référés. En revanche, la loi interdit aux milices privées (agents de sécurité, groupes d’étudiants, etc.) d’intervenir. À Montpellier, le doyen de la faculté de droit avait demandé l’intervention de la police, qui avait été refusée par le préfet. Des personnes cagoulées sont alors venues chasser les bloqueurs avec violence. Le professeur a été accusé de complicité d’intrusion et violences en récidive» - en raison d’une condamnation datant de 2013. Et le doyen lui, a été accusé de «complicité d’intrusion».».
Le Figaro : Que risquent les étudiants "bloqueurs"?
Les étudiants bénéficiaires d’une bourse sur critères sociaux sont soumis à une obligation d’assiduité. En s’absentant des cours, le CROUS peut supprimer leur bourse voire demander le remboursement des certaines mensualités. Les bénéficiaires d’une bourse au mérite, qui se sont engagés à être assidus aux cours, peuvent aussi se voir retirer leur aide. Le manque d’assiduité peut en effet se traduire par une mauvaise note aux examens voire à un redoublement. À noter que les présidents d’université peuvent suspendre cette obligation d’assiduité lors des blocages pour ne pas pénaliser les boursiers. En cas d’agression ou de dégradation, l’agresseur peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire et peut, en plus, être poursuivi au pénal.
« Un président d’université peut fermer l’établissement pour une durée maximale de 30 jours si le risque de troubles est trop important».
Maître Valérie Piau : " L’intervention de la police doit avoir un but préventif. Elle devient illégale dès lors que le trouble à l’ordre public a disparu, mais elle peut mettre fin à un trouble déjà réalisé. L’université est responsable si l’inaction du président cause un dommage. Le recteur et/ou le ministre peut se substituer au président en cas d’inaction de sa part. En outre, le président d’université peut fermer l’établissement pour une durée maximale de 30 jours s’il estime que la sécurité des personnels et étudiants n’est pas assurée. Le cas de la faculté de droit de Montpellier est une bonne illustration : l’irruption d’un groupe d’hommes cagoulés lors d’une assemblée générale entraîne la fermeture de la faculté puis sa réouverture dix jours plus tard sous le contrôle des forces de l’ordre.".
Q'on se le dise !