Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

1484 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 juin 2014

Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

Intermittents du spectacle : Edwy Plenel 10 juin 2014.

Robert Chaudenson (avatar)

Robert Chaudenson

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce long article d’Edwy Plenel m'a paru un peu étonnant, d'abord par son sujet comme par sa longueur et, lorsque j'ai commencé à le lire, surtout par son contenu. J'espérais y voir le problème des intermittents du spectacle réellement évoqué voire traité, même si j'aurais dû me méfier, vu le titre : « Les intermittents luttent pour nos biens communs ».

Le premier étonnement que suscite la lecture de cet article est qu'il n'y ait à peu près rien sur la question précise des intermittents du spectacle, hors de la dénonciation de l’alliance diabolique entre le MEDEF et sa version populaire qu’est la CFDT. C'est toutefois moins étonnant qu'il n'y paraît, puisque, dès la deuxième ligne de ce texte, il y est mentionné que ce combat est « engagé depuis une dizaine d'années », alors que je crois me souvenir d’un débat à ce sujet dans le début des années 90 (1992 même pour être plus précis). Cette erreur chronologique est d'ailleurs si ancrée dans l'esprit du rédacteur, qu’elle est reprise au début de la troisième page, exactement sous la même forme (« Combat [… ] engagé depuis une dizaine d'années. Il recouvre un triple enjeu de civilisation : la conception du travail, la place de la culture, la définition de la démocratie. »). Cette dernière formulation est d'ailleurs une forme de résumé du vrai propos de l'article dans son ensemble dans lequel la question des intermittents du spectacle est à peine posée, les objectifs du rédacteur étant d’une autre nature !

Il s'agit d'abord dans ce texte, auquel Mediapart a donné la plus grande diffusion, de faire, en douce, de la publicité rédactionnelle, sous une forme de réflexion générale, au « récent et très beau » film de Pascale Ferran, Bird People ; il  se voit consacrer pratiquement toute la première page de ce texte, ce qui me gêne en rien, mais n'a pas, semble-t-il, de rapport très évident avec le sujet précis annoncé.

Si la publicité qui occupe la première page est celle d’un film, la seconde est consacrée à un livre, dont on nous offre même la reproduction de la couverture. Il s'agit de l'ouvrage, Intermittents et Précaires, d'Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato paru en 2008 aux éditions Amsterdam. Il s'agit là (semble-t-il car, bien entendu, par souci d’objectivité, je n’ai pas lu le livre) d'une histoire du mouvement des intermittents. À mes yeux, il a pour principale particularité d'être, et je cite « issu d'une convention entre le CNRS, l'université de Paris I et l'Association des amis des intermittents et précaires ». On trouve parmi les cosignataires de cette convention, non sans stupeur, le CNRS, où si l'on trouve effectivement nombre d'« intermittents », au moins dans leurs activités scientifiques, il n'y a guère de « précaires » ! Je rappellerai ici, comme je l'ai fait dans mon petit livre de 2013, que la réforme de Jean-Pierre Chevènement, qui a changé le statut des personnels du CNRS (de la contractualisation à la fonctionnarisation, c'est-à-dire à la titularisation définitive) a été vigoureusement combattue en son temps par une grande partie du personnel CNRS, qui s'arrangeait apparemment fort bien d'une forme de précarisation, fût-elle de façade.

Dans le texte en cause, il n'est toujours pas question d'intermittents du spectacle et l'on passe, en arrivant à la page suivante  à un « triple enjeu de civilisation », introduit par une formule que je reproduis ici « cette expertise citoyenne nourrit en retour la connaissance savante la plus aboutie. » Sur le point (semble-t-il, car je n'ai pas davantage lu les travaux cités), on évoque les savantes réflexions d'un sociologue, Pierre-Michel Menger et d'un « éminent juriste penseur de l'État social », Alain Supiot, l'un et l'autre étant Professeur au Collège de France (respectivement élus en 2012 et en 2013). Ils sont certes des « petits nouveaux », mais quand on connaît l’horaire hebdomadaire de travail, les conditions d'exercice et de retraite du Collège de France, on ne peut reconnaître dans ces savants que des « experts » en « intermittence du travail », au sens que lui donne E. Plenel qui nous en réserve la définition pour la fin de son texte : « Est « expert » celui-ci qui est expérimenté, c'est-à-dire celui qui a ou qui fait une expérience. Autrement dit […] Nous sommes bien des experts. Je suis un expert de ma vie ».

Au début de la troisième page de ce long texte, il n'a toujours pas été question de façon réelle et précise des « intermittents du spectacle » (mise à part l'erreur chronologique que j'ai déjà signalée). Je ne peux pas poursuivre dans son détail l'analyse du texte écrit d’E. Plenel qui va sans doute m’attirer les foudres de la censure de Mediapart ;  je ne le redoute en rien, étant habitué aux interdits comme aux exclusions et m'interrogeant depuis longtemps sur la pertinence de mon maintien chez cet hébergeur. Pour gagner du temps je dirai tout bêtement et tout simplement mon point de vue sur la question qui est d'une grande simplicité.

Le problème principal à mes yeux que ce régime d'intermittence est la question des employeurs. Tout le monde le sait y compris E. Plenel lui-même, quoiqu’il n’y fasse qu'une allusion de TROIS mots est, en outre, entre parenthèses. Quoiqu'il sache (il nous le dit) qu'il y a 110 000 intermittents du spectacle en France, à aucun moment, il ne s'intéresse pas à leur  véritable activité et moins encore à leurs employeurs !

Pour faire court, je me borne ici à deux remarques.

  1. Dans certaines universités que je pourrais citer sans problème, les enseignements de français langue étrangère sont assurés par des enseignants vacataires qui ont le statut d'« intermittents du spectacle » !
  2. Edwy Plenel sait parfaitement et le mot qu'il glisse (« notamment dans l'audiovisuel ») montre qu'il sait très bien que les grandes sociétés de l’audiovisuel et de la télévision (en particulier France Télévision) sont les plus gros employeurs d’intermittents du spectacle pour bénéficier de ce régime flexibles, fiscalement et « patronalement » très favorable, pour faire travailler des gens qui sont tout simplement des employés normaux qui devraient donc être déclarés comme tels.

E. Plenel aurait dû plus et mieux lire le professeur P.M. Menger qui a proposé la création d'un « compte employeur » qui ferait apparaître ce que chaque employeur fait dépenser à l’UNEDIC par ses pratiques d’emploi, fussent-elles abusives, génératrices de droits à indemnisation ; la fraude correspond à près de 20% du coût total ! Tout le monde sait, y compris la Cour des comptes, Certaines entreprises du spectacle, notamment dans le secteur de la télévision, abusent notoirement du système, multipliant les contrats d'intermittents en lieu et place de contrats de travail à temps plein. Ce régime est aussi utilisé pour des techniciens ou administratifs (standardistes, chauffeurs, maintenance, etc.).

L'absence totale de référence à la réalité de la condition d'intermittents du spectacle montre qu’E. Plenel ne s'intéresse en rien à cette question ; il cherche tout simplement à lancer un débat idéologique et à gagner des abonnés en assimilant d'une part « spectacle » et « culture » (Qui osera dire que les spectacles que donnent nos grandes chaînes de télévision ne sont  pas hautement culturels ?), d'autre part, « culture » et « tourisme » pour essayer de nous démontrer que c’est là notre seconde source de revenus (et même à l'aide d'un graphique consacré à « la comparaison de la valeur ajoutée des activités culturelles avec la valeur d'autres branches de l'économie en 2011 »).

E. Plenel reprend ici la vaste blague qui consiste à nous faire croire que tous les touristes qui entrent en France y y viennent et y demeurent pour la visiter (« Première destination touristique mondiale avec 83 millions d'entrées touristiques internationales en 2012 largement devant les États-Unis, la France est aussi un pays que la culture enrichie produisant de la valeur et créant des emplois »).

Nul doute que tous les foules des touristes européens du Nord ou d’ailleurs qui traversent la France pour gagner l'Espagne, le Portugal et l'Italie (voire le Maghreb), le font pour venir jouir des spectacles culturels qui leur sont procurés grâce au statut favorable de l'intermittence dans ce domaine. Monsieur Plenel ne devrait tout de même pas nous prendre à ce point pour des imbéciles, même s'il veut, et c'est son droit, faire en douce un peu de pub rédactionnelle et nous persuader que la lutte des intermittents (dont il ne se soucie guère comme tout le démontre) pose la question d'une « réinvention de la démocratie face au risque de la nécrose autoritaire ». 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.