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Billet de blog 12 septembre 2018

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De l'arabe, des Arabes et des arabes ( Suite)

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De l'arabe, des Arabes et des arabes ( Suite)

On se souvient que l'École des « langues orientales », plus familièrement dite « Langues O' », (Langzo),  devenue aujourd'hui Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), est un établissement d’enseignement supérieur et de recherche chargé d’enseigner les langues et civilisations autres que celles de l’Europe occidentale, le turc et l’arabe comptant parmi ses principales spécialités. « Langues O' » est le nom donné traditionnellement (et maintenant encore) par des générations d’étudiants à l’École spéciale, puis royale, puis impériale, puis enfin nationale, des langues orientales de Paris, qui n’a pris son nom actuel d’INALCO qu’en 1971, sans pour autant perdre totalement son ancienne dénomination. 

L’idée d’une telle école remonte à François 1er qui voulait peut-être ainsi pouvoir causer plus commodément avec Soliman le Magnifique ? J'entendais, l'autre jour, je ne sais quelle bavarde de notre PAF qui, à propos de notre accès aux trésors de l'Arabie, de moins en moins "Heureuse", évoquait l'usage linguistico-diplomatique que nous pourrions y faire de notre belle jeunesse « beur » ou maghrébine des « quartiers » qui nous pose par ailleurs bien des problèmes, mais qu’elle jugeait « arabisante » ! On retrouve là cette belle et générale ignorance des réalités qu'on constate à peu près partout, dans les aberrations de la gestion de notre système éducatif comme dans les stupidités constantes de nos politiques à l'égard du monde arabe, sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur. 

Pourtant, chacun ait, ou devrait savoir, que le mot « arabe », appliqué à la langue, peut désigner, comme on l'a vu hier) des réalités linguistiques très sensiblement différentes qu’on tend trop souvent à confondre, en y ajoutant désormais le turc !

L'arabe dit « coranique » est celui dans lequel est rédigé le Coran (l’immense majorité des Musulmans du monde n’en a d’ailleurs qu’une idée très lointaine, hors de quelques sourates apprises par cœur et à coups de triques), mais on le trouve mais aussi dans d'autres textes, préislamiques ou islamiques, qui ne sont pas religieux et qui rendent quelque peu ambiguë la formule « arabe coranique »; l'arabe « littéral », qu'on appelle parfois aussi de façon assez inexacte « littéraire » (impropriété soulignée par la précédente remarque sur des textes qui sont littéraires mais non religieux, quoique de l ‘époque coranique) est l'arabe standard moderne dont usent les grands médias et l'enseignement général ; restent enfin la foule des arabes dialectaux, qui sont les parlers vernaculaires des différentes régions où des variétés de cette langue sont en usage et qui souvent sont, entre eux, difficilement compréhensibles voire même parfois non inter-compréhensibles. 

C'est ce qui explique d’ailleurs que, lorsque l'Algérie indépendante, se voulant arabophone, a décidé de faire de l'arabe la langue de son école, en lieu et place du français, le nouvel État s'est trouvé devant un manque criant d'enseignants ; on a dû alors faire venir des maîtres étrangers (on cite toujours le cas de chauffeurs de taxis du Caire devenus instituteurs) pour enseigner en arabe dans les écoles algériennes.

Anecdote personnelle vécue : me trouvant un jour à Beyrouth en compagnie de deux professeurs d'université algériens et, ayant commis, au passage de la police des frontières, je ne sais quelle erreur, je me suis trouvé exposé à un discours véhément d'un policier libanais ; mes collègues algériens ont été incapables de m'en faire connaître la teneur exacte, faute de bien comprendre eux-mêmes l'arabe du gabelou local. Je pourrais donner bien d'autres exemples du même genre, au Maroc par exemple où j'ai connu des situations voisines, en compagnie d’amis tunisiens cette fois et tout simplement au restaurant ! 

Dernière illustration personnelle. Me trouvant à Moroni (Comores), comme Président de jury du bac mais aussi comme chef de centre, j'ai dû affronter la légitime colère des candidats comoriens  quand ils ont constaté qu'à l'épreuve d'arabe, le texte proposé n'était pas dans l'arabe auquel ils s'attendaient ( c'était le texte pour le Liban !). Je n'ai dû mon salut qu'au fait que, par bonheur, il y avait alors au lycée de Moroni, une Française agrégée d'arabe (d'ailleurs charmante) que j'avais rencontrée et qui m'a tiré de ce mauvais pas en fournissant illico l'épreuve d'arabe prévue et attendue ! J'en ai bien sûr rendu grâce à Allah ! 

Je suis déjà bien long et je finirai demain dans une autre perspective !

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